Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
b) Une prise en charge volontaireA travers le témoignage de Clara, la question de la prise en charge est abordée d'une toute autre façon. La jeune fille a décidé elle-même « d'aller voir un psy » puis « d'aller dans les Alpes dans un centre spécialisé pour les comportements anormaux ». En conséquent, aucun anti-sujet n'est mentionné et aucune indication ne révèle une résistance quelconque une fois à l'hôpital. Clara relate brièvement son hospitalisation et la phrase « j'étais coupée du stress d'ici, de la famille » laisse penser qu'elle a été isolée. Toutefois, cet isolement n'est pas décrit en termes péjoratifs, bien au contraire. Le personnel médical est présenté dans le rôle d'adjuvant : « grâce à la psy »667(*). Ce modèle de prise en charge thérapeutique correspond à l'un des programmes narratifs que nous avons identifié (cf. supra partie 2, IV.) mais c'est celui qui est le moins courant. Nous pouvons supposer que L'Humanité a voulu mettre en valeur la volonté de la malade. Même si nous sommes en présence d'un témoignage qui rend « impossible » l'intervention du journal, aucun indice linguistique péjoratif ne vient discréditer, disqualifier les propos de Clara. Enfin, notons que c'est surtout la prise en charge psychologique qui est mise en avant dans les propos de Clara, même si l'aspect nutritionnel est implicitement suggéré quand elle évoque le centre spécialisé pour les comportements anormaux. c) L'isolement, un mode de prise en charge rejetéUn dernier article668(*) nous présente en quelques lignes l'isolement thérapeutique qui est donc la seule modalité de prise en charge évoquée dans les discours de L'Humanité669(*). Le terme d' « isolement » n'est pas employé par le journal qui indique juste que l'entrée à l'hôpital « se fait sur la base d'un contrat de poids ». Cependant, le récit qu'il fait de cette hospitalisation nous permet de dire qu'il s'agit de l'isolement. La description est assez schématique comme l'indique les termes suivants : « contrat de poids », « ingurgiter », « chambres, avec toilettes, fermées à clé », « les glaces sont en hauteur »... Nous pouvons d'ores et déjà souligner le manque de rigueur du quotidien dans la façon dont il décrit cette prise en charge. En effet, comme nous l'avons dit, l'isolement n'est quasiment plus pratiqué aujourd'hui, la séparation familiale étant privilégiée. L'Humanité choisit donc de décrire un traitement thérapeutique qui nous donne une représentation erronée de la prise en charge telle qu'elle s'effectue aujourd'hui. Tous les détails que nous donnent le récit servent à dénoncer ce mode de prise en charge dans lequel la vie des anorexiques semble être réduite au néant. Le terme d' « internées » met en valeur l'isolement des malades. Les patientes sont ingénieuses et mettent en place des stratégies de résistance, elles « planquent des laxatifs dans leurs chaussettes ou boivent deux litres d'eau juste avant la pesée du médecin pour augmenter leur poids ». Aucun adjuvant et aucun anti-sujet n'apparaissent dans ces quelques lignes cependant, le médecin est désigné de façon implicite comme anti-sujet puisque les malades boivent avant « la pesée du médecin ». De plus, les stratégies de résistance des anorexiques sont bien destinées à mettre en échec le protocole de guérison, « l'arsenal » mis en place par les médecins. Cette description de l'isolement thérapeutique est en réalité extraite du témoignage d'une ancienne anorexique que L'Humanité reprend à son compte. Cette stratégie discursive qui consiste à s'approprier les propos d'un autre sans les présenter comme un discours rapporté, nous indique que le journal fait siennes les paroles de cette anorexique. * 667 L'Humanité, 27 juin 2000. * 668 L'Humanité, 7 septembre 2000. * 669 Nous parlons ici des discours propres du journal et non des discours rapportés comme le témoignage de Clara. |
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