c) La théâtralité du récit.
Les trois unités.
La structure narrative des Enfants du paradis
fonctionne comme une pièce de théâtre. Prévert
et Carné suivent les grandes règles du théâtre. Le
déroulement de l'action suit l'ordre chronologique de l'histoire. Il n'y
a pas de flashback. Des scènes d'exposition nous informent de ce que
nous avons besoin de savoir pour comprendre ce qui se passe. Malgré
cela, il nous est difficile de nous repérer dans le temps, car nous
n'avons pas de repère spatio-temporel. Le prologue du début de la
seconde époque en surimpression sur le rideau de scène, donne un
résumé de la première époque. Il nous indique que
quelques années ont passé. L'absence de transition
spacio-temporelle immobilise le temps, comme une eau stagnante qui renvoie aux
personnages une image inchangée d'eux-mêmes. Le seul
élément qui contrarie cette immuabilité est l'apparition
du petit Baptiste. La présence de l'enfant, nous indique de façon
implicite, le mariage de Nathalie et du mime, et matérialise le temps
écoulé entre les deux époques. Prévert et
Carné privilégient un monde essentiellement limité
à un lieu, le boulevard du Temple. Les protagonistes baignent dans la
théâtralité, au théâtre comme dans leur
vie.
Le fait même qu'ils se présentent revêt un
caractère théâtral, sous forme de commentaires discrets en
aparté ou publiquement.
L'intervention d'une tierce personne empêchant les
amoureux de se dire leur amour, procédé classique au
théâtre, est reproduite dans le film. L'arrivée de Nathalie
interrompt les confidences amoureuses de Baptiste et Garance. Les dialogues de
Prévert, riches en poésie évoquant la
réalité concrète, justifient pleinement le statisme de la
caméra et le parti pris du réalisateur, de donner à
l'image un aspect pictural. A ce propos, Marcel Carné confiera, dans un
documentaire qu'il a accordé à Arte, en 1994 intitulé
Ma vie à l'écran de Jean-Denis Bonan, sa frustration de
ne pas avoir pu filmer en couleur.
Un monde cloisonné.
Carné nous plonge dans un univers cloisonné, qui
trouve sa respiration dans le mouvement des portes qui s'ouvrent et se ferment
sur les entrées et sorties des protagonistes. La plupart des
scènes sont tournées en intérieur, au
théâtre, à l'hôtel, on encore dans une auberge. Le
boulevard du Temple est tourné dans les studios de la Victorine. La
masse humaine qui s'y presse, renforce l'impression d'étroitesse qui y
existait avant les travaux du baron Haussmann. Les personnages sont
entourés d'une double cloison ; celle des
hommes et celle des murs des bâtiments dont la hauteur
nous prive d'horizon. Après l'agression de l'encaisseur, Garance doit
fendre la foule pour atteindre le porche du Grand- Relais. La vision du ciel
apparaît au lever de rideau, mangé par la façade des
théâtres qui sont au centre de l'oeuvre. Nous retrouvons ce
sentiment d'asphyxie, dans le métro aux heures de pointe où le
moindre mouvement est une atteinte à l'espace vital de l'autre. Un mur
humain obstrue les issues et nous empêche de monter. Nous regardons,
impuissants, les trains bondés s'en aller, sous nos yeux.
Baptiste court après Garance. Des Pierrots,
insouciants, dessinent une farandole autour de lui, l'empêchant
d'avancer. Nous sommes saisis par cette image de Baptiste retenu par la foule
qui l'empêche de suivre son instinct qui est de rejoindre Garance.
Baptiste, retenu par la foule ne peut pas s'en aller. Les Pierrots lui
rappellent qu'il est un enfant du spectacle. Son ciel, c'est le paradis. Il
appartient au boulevard du Temple et ne peut en partir. Le public est là
pour le retenir.
La seule scène du film réellement tournée
en extérieur est la scène de duel dans la deuxième partie.
Elle rappelle la partie de chasse de La règle du jeu
tournée par Renoir, juste avant la guerre. Elle représente,
un hymne à la nature. Le paysage en plan général,
légèrement en contre-plongée, est la plus importante
ouverture sur le ciel que nous ayons dans le
film. Cette séquence se distingue des autres
scènes du film dans lesquelles l'action principale se situe sur un
même lieu, le boulevard du Temple. L'espace contigu filmé nous
rappelle celui du théâtre.
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