b)Nous sommes des spectateurs mutants.
Carné nous invite à devenir des enfants du
paradis en nous entraînant au théâtre. Nous nous identifions
aux spectateurs. Nous attendons patiemment que le rideau s'ouvre. Sa lente
ouverture excite notre curiosité.
Nous observons la scène à travers le regard de
différents protagonistes placés à divers endroits de la
salle. Ensemble, nous nous émerveillons devant le spectacle du
Palais des Mirages. Nous sommes au poulailler avec le peuple de Paris, au
balcon avec le comte de Montray. Nous aurions pu aussi retrouver Madame Hermine
dans l'orchestre. La gérante du Grand-Relais, était venue, elle
aussi, au spectacle, admirer secrètement Frédérick
Lemaître dans un numéro de pantomime intitulé Le Palais
des Mirages. Le scénario de L'Avant-scène Cinéma,
nous indique que cette séquence a été coupée au
montage définitif. Nous regardons la scène des coulisses en
compagnie du père de Baptiste et du directeur. La caméra fait un
plan moyen de la scène vue par eux. Nous voyons à travers leurs
yeux, ce qui nous donne l'illusion de faire partie intégrante du film.
Cette sensation est renforcée par le fait que nous sommes
également des spectateurs, assis dans une salle de cinéma,
remplie par d'autres spectateurs. Peut-être même que nous nous
trouvons dans un ancien théâtre à l'italienne, sur le
modèle de celui
des Funambules, transformé en cinéma. La mise en
abîme est totale. Nous sommes dans la même contexte que le public
du paradis. Nous partageons son enthousiasme pour la pantomime. Nous nous
évadons du monde clos du théâtre. Nous nous frayons tant
bien que mal, un chemin dans l'univers saturé du boulevard du Temple
grouillant de monde, où règne une atmosphère de
fête. Il semble que l'écran n'est pas assez grand pour contenir la
foule qui s'entasse. Nous nous confondons aux badauds qui assistent à la
parade, devant la façade des Funambules et assistons aux premiers pas de
Baptiste sur l'estrade de la parade.
Nous surprenons la vie privée des protagonistes acteurs
et nous les voyons vivre comme s'ils étaient sur scène et nous au
théâtre. Quand Garance et Frédérick Lemaître
se retrouvent au Grand-Relais, chacun se penche à son balcon respectif.
La plupart des plans sont des plans américains en champ et contrechamp
sur les deux protagonistes. Nous passons d'une chambre à l'autre au
gré de la caméra. Puis, un plan américain sur la chambre
vide de Frédérick nous indique que nous pouvons prendre place sur
le balcon, les deux protagonistes se sont rejoints. Comme au
théâtre, nous sommes au balcon.
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