IV. Les Enfants du paradis : une comédie
de boulevard.
Des personnages romantiques dans un mélodrame.
Les protagonistes des Enfants du paradis, seraient
des personnages de mélodrames si Jacques Prévert ne leur avait
pas ôté le manichéisme de rigueur dans ce genre
théâtral. Le scénariste, dans ses dialogues, s'attache
à nous les faire mieux connaître, pour que nous comprenions ce qui
les pousse à agir. Lacenaire ne se repent pas de son crime à la
fin du film, comme il le ferait dans un mélodrame classique. Nous
n'attendons pas non plus qu'il le fasse. Il accomplit son rêve de tuer un
homme important. Il assume son geste avec fierté. Dans sa confession
à Garance au début du film, il nous explique en quoi il se sent
un être rejeté par la société. Ce grand criminel,
metteur en scène et auteur, à l'instar de la prestation
remarquable de Frédérick Lemaître dans l'Auberge des
adrets, choisit sa place et son moment. En toute circonstance, il a le
phrasé élégant. Il révèle la liaison
adultérine de Baptiste et Garance en un coup de rideau, et provoque un
duel. Le comte de Montray lui fournit le motif qui lui manquait pour le tuer,
en voulant l'exclure comme un malpropre, une première fois de son
hôtel
particulier par son domestique, la seconde au foyer des
artistes, par ses amis. Il se confie à son complice :
(...)Si tu n'es pas témoin d'un duel, il y a beaucoup de
chance pour que tu sois témoin d'autre chose(...)Parce que tout de
même dans cette affaire d'honneur, c'est tout de même moi,
Lacenaire, qui ai été offensé.
Avril, que nous ne voyons jamais sans Lacenaire,
représente Bertrand, le complice de Robert Macaire.
Plus tard, Victor Hugo écrit Les misérables.
Le héros, Jean Valjean, homme sans aucune morale, est envoyé
au bagne pour vol. La rencontre du bagnard avec un homme d'église plein
de sollicitude envers lui, et surtout qui ne le juge pas, va le
métamorphoser en homme de biens. Pierre-François Lacenaire n'a
pas eu la même chance. Il souffre de se sentir exclu. Sa condamnation
à mort est une sorte d'évasion du monde des humains qui ne
l'accepte pas. En tuant un homme, il devient important. Le prix à payer
pour exister, c'est sa mort contre celle d'un autre. Tel un metteur en
scène, c'est lui qui décide des tournures des
événements. Frédérick fait de Robert Macaire un
héros d'un mélodrame à succès. Lacenaire devient le
héros de sa propre histoire.
Les personnages fonctionnent en doublons, comme si Jacques
Prévert voulait nous montrer les personnages du mélodrame, sous
deux facettes différentes, et qu'un seul personnage ne suffisait pas. Le
scénariste imagine deux amants, Baptiste et
Frédérick, pour deux amantes, Garance et Nathalie.
Il y ajoute un protecteur qui devient amant par nécessité.
Baptiste est le jeune homme pur des premiers rôles. Mais il faut vraiment
que Pierrot soit dans la lune pour laisser tomber sa Colombine/Nathalie.
Prévert rajoute à ce personnage un réalisme absent dans
les mélodrames trop soucieux de la bonne morale. Le héros ne peut
pas commettre d'adultère. Il se marie avec sa promise, la femme qu'il
est censé aimer. Baptiste se marie avec Nathalie par dépit et
c'est à Garance qu'il pense. Sa liaison avec Garance est donnée
en spectacle dans le tout Paris. Quant à Frédérick
Lemaître, il est, d'entrée de jeu, trop intéressé
par sa petite personne pour donner véritablement de l'amour à une
femme. Cet homme volage aime qu'on le regarde. Il n'a pas assez de toutes les
jolies femmes qui passent pour leur faire son irrésistible numéro
de charme. A la deuxième époque, on le voit trôner dans sa
calèche, une jolie fille à sa droite et à sa gauche.
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