La vie dans le théâtre.
Les nombreuses improvisations de Frédérick
Lemaître sur son personnage de Robert Macaire, décontenancent ses
partenaires à la grande joie du public, et les obligent à rompre
avec une tradition au théâtre de jeux convenus et figés.
Marie et le brigadier sont pris au dépourvu. Ils ne retrouvent plus les
repaires fixés lors des répétitions. Quand
Frédérick Lemaître sort, laissant le brigadier seul sur la
scène, celui-ci est complètement perdu. Il reste
pétrifié, les bras au ciel. Dans son angoisse de réaliser
qu'il travaille sans filet, il oublie la pièce et appelle le
comédien par son prénom. Dans L'Auberge des Adrets, la
personnalité du comédien a pris le dessus sur la fiction.
Frédérick choisit sa place parmi le public pendant que le
brigadier essaie de retrouver son texte, mais l'acteur s'est
échappé de son personnage. Le brigadier s'adresse au personnage
et c'est l'acteur qui répond. Frédérick Lemaître
nous signifie que l'acteur est devenu plus important que son personnage.
Frédérick tue le brigadier qui refuse de s'éloigner du
texte de la pièce, alors que c'était lui qui devait mourir
tué par le brigadier.
Marie, toujours inquiète pour ses entrées et
sorties, attend le coup de feu, qui ne vient pas quand il aurait dû. Dans
la panique, la porte lui résiste. On voit le décor qui a failli
s'écrouler sur son passage. Elle vient enfin pleurer sur la
dépouille de son mari Robert Macaire et découvre le brigadier.
Cette séquence illustre que la pièce de théâtre est
figée, mais le jeu du comédien. Frédérick
Lemaître n'est pas une marionnette. En tant qu'être vivant, son
comportement évolue, le personnage aussi. Le comédien adapte son
jeu en fonction de sa réplique, à condition de l'écouter.
Les comédiens de ce mélodrame, ne jouent pas ensemble. Ils ne
vivent pas leur texte. Ils sont comme des marionnettes qui s'écroulent
sans vie, dès que le marionnettiste a lâché les ficelles.
Pendant la répétition, les auteurs, bien que très
enthousiastes à la vue de la mise en scène, regrettent la fade
interprétation du personnage de Marie. Les auteurs sont conscients que
l'interprétation des comédiens manque de profondeur, de
sincérité, de vie. Ils interrompent la répétition.
Excusez-moi. J'étais emporté par l'action. Toutefois,
j'aimerais, si c'était possible un peu plus d'émotion.
Frédérick se rebelle contre le théâtre
larmoyant. L'effet voulu est parfaitement représenté sur
scène par les déplacements et la gestuelle, mais les mots sonnent
creux et les acteurs jouent faux. Frédérick éclipse son
personnage. Il met en avant sa personne, devenant lui même son propre
personnage. Le public ne s'y trompe pas. Il applaudit l'acteur
qui sauve la pièce par la sincérité de son jeu. Il s'en
explique aux auteurs : Puisqu'elle est vide, votre pièce, il faut
bien la meubler un peu.
Le théâtre n'est pas une image figée que
les artistes en font. Il est ce qu'on en fait. Qu'on soit sur scène ou
qu'on soit dans le public, on est tous au théâtre et le
théâtre, c'est la vie.
Frédérick Lemaître : C'est justement
cela qui est beau, qui est étourdissant : sentir, entendre son coeur et
celui du public qui bat en même temps.
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