I.2. Le théâtre de la rue.
Au levé de rideau, nous découvrons les baraques
foraines du boulevard du Temple. Une immense tente se dresse devant nos yeux.
Un aboyeur se trouve devant l'entrée sordide de la baraque. Des
roulements de tambours nous annoncent qu'un événement important
va avoir lieu. Un panneau en toile représente le spectacle.
L'entrée sert de rideau de scène. L'aboyeur soulève la
toile, invitant les curieux à entrer.
L'aboyeur : Entrez, entrez !... La vérité est
ici... Venez la voir...
Garance est assise dans un tonneau, que nous devinons rempli
d'eau.
Plus loin, nous découvrons l'entrée des artistes
du théâtre des Funambules, puis sa façade. Sur une
estrade surélevée, des danseurs à corde et des
comédiens aboyeurs rameutent le public par le biais du
théâtre, comme il est de coutume. Les artistes, en faisant preuve
d'une inventivité remarquable, mettent en scène des mini
spectacles qui donnent un avant goût de ce que le public pourra
découvrir dans le théâtre. Deux personnages sont
représentés, opposés dans leur caractère : l'un est
malin, l'autre balourd.
Anselme Deburau, père de Baptiste, en costume de
Cassandre est l'aboyeur. Baptiste, a une perruque aux cheveux filasses sur la
tête, avec un chapeau. Son visage enfariné laisse entrevoir le
futur Pierrot qui fera la gloire des Funambules. En retrait, assis sur
un tonneau, il semble complètement détaché de ce qui se
passe.
On entre dans le temple de la pantomime et des Arlequinades. La
majorité des pièces se jouent dans des théâtres
à l'italienne où la scène, disposée en demi-cercle,
permet de mettre le décor en perspective. Elle donne ainsi l'illusion
d'un espace plus grand que les limites véritables de la
scène.
I.3. Les théâtres dans les Enfants du
paradis.
Le Théâtre de Madame Saqui
Epoque 1. Aux Funambules. Le directeur :
« Mais ce n'est pas possible ! Vous n'allez pas travailler chez Saqui
? »
Madame Saqui naît quatre ans avant la Révolution
Française, et meurt quatre ans après la destruction du Boulevard
du Crime par Haussman.
Elle est la fille de l'acrobate Jean Baptiste Lalanne. Elle
travaille dans la même troupe que son père, chez Nicollet et
apprend à être danseuse de corde. Rapidement, elle se
révèle être une acrobate particulièrement
douée. Très populaire, elle fait de nombreuses tournées en
province. Elle parcourt l'Europe, à la suite de l'empereur.
Elle ouvre une salle de spectacles boulevard du Temple : le
Spectacle Acrobate spécialisé, dans les pantomimes, danses
à corde et les arlequinades à la manière italienne.
Ses danseurs s'appellent, Rovel, Williams, Charigni, Boigni.
Le théâtre de madame Saqui est situé
à côté du théâtre des Funambules. Ces
deux théâtres se font une concurrence acharnée en proposant
les mêmes types de spectacles : pantomimes, arlequinades et danses de
corde.
Le 31 mai 1821, Les Funambules et le théâtre de
Madame Saqui s'associent, et redéfinissent la répartition des
genres de spectacles représentés. Les Funambules se
spécialisent dans la pantomime, et le spectacle Acrobate de Madame Saqui
opte pour les danses de corde et les exercices de tapis. On voit alors des
artistes comme les Chiarigni, qui travaillent pour madame Saqui, jouer aux
Funambules. Cette association n'est que de courte durée,
puisqu'elle ne dure que neuf mois. Selon Beaulieu, c'est madame Saqui qui rompt
cette union. Celle-ci trouve que les Funambules s'accaparent le public. Cette
concurrence entre les deux établissements se répercute sur les
relations entre les artistes. Selon Tristan Rémy, les Chiarigni et les
Deburau ne s'entendent pas du tout. Eclate une bagarre non jouée, sur
scène pendant un spectacle.
C'est logiquement de cette bagarre dont il est question dans
le film de Carné, au début du boulevard du Crime, que nous
entrevoyons des coulisses des Funambules. Le directeur des Funambules
se confie au régisseur sur les tensions internes qui cohabitent dans son
théâtre. Il n'est pas question des Chiarigni, ni des Boigni, qui
travaillent tous dans l'équipe de Madame Saqui, mais d'un nom
très voisin, qui pourrait être
un amalgame : les Barrigni. C'est à la suite de cette
dispute que Jean Gaspard Baptiste apparaît comme l'artiste providentiel
à qui Bertrand fait appel, sur le vif, pour rétablir la
situation, en interprétant le rôle de Pierrot Selon Tristan
Rémy, c'est à ce moment là qu'il s'appellera Baptiste tout
court, car Bertrand, le directeur, le présente par cet unique
prénom au public. C'est là que Carné et Prévert
font leur entrée en scène. Frédérick Lemaître
joue le lion et Baptiste reprend Pierrot dans le même spectacle. Ce qui
ne correspond pas à la réalité historique.
Frédérick Lemaître n'a jamais joué avec Deburau.
C'est également la seule fois où nous entendrons prononcer le nom
de madame Saqui. Elle représente l'esprit belliqueux de la concurrence.
Il est clair qu'il y a deux camps : celui des Saqui et celui des Deburau.
Rétrospectivement, nous n'avons que les témoignages de
l'époque pour nous éclairer sur les faits. Ces deux
théâtres, aujourd'hui disparus, laissent place aux mythes : Les
Funambules avec le Pierrot de Deburau, et les acrobates de Madame Saqui.
Toujours si l'on en croit l'anecdote rapportée par Beaulieu, la
création des Funambules ne serait pas sans rapport avec Madame Saqui,
elle-même.
Les Funambules.
Le théâtre des Funambules, se spécialisant
dans la pantomime, voit le jour en 1816. Henri Beaulieu, dans son ouvrage
Les théâtres du Boulevard du Crime, nous conte l'anecdote
de ce qui pourrait être à l'origine de la création des
Funambules par MM Bertrand et Fabien.
Bertrand est voiturier à Vincennes. Il assure le trajet
Paris/Vincennes, Vincennes/Paris. Un jour, alors qu'il transporte Madame Saqui
et son mari, il a une violente dispute avec elle. Mme Saqui l'injurie. Il jure
de se venger et s'associe avec son ami Fabien, qui vend des parapluies, mais
qui est grand amateur de spectacles de boulevard. Ils fondent alors Les
Funambules, juste à côté du théâtre de Madame
Saqui, pour lui faire concurrence. Pour se faire, ils engagent
Frédérick Lemaître, pensionnaire de l'Odéon, puis la
famille Deburau. Jean Baptiste, cadet des trois garçons est le seul des
Deburau à faire toute sa carrière aux Funambules. Quant
à Frédérick Lemaître, il n'y fait qu'un bref
passage, à ses débuts. C'est à Jean-Gaspard Baptiste
Deburau et à son immense talent, que le théâtre devra son
succès. Bientôt, Les Funambules détrônent le
Spectacle Acrobate de Madame Saqui. Relogé, après les travaux du
baron Haussman, le théâtre des Funambules, ne survivra pas
à la disparition du mime.
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