II.2. La théâtralité des
personnages.
a) La présentation des personnages.
La présentation d'un personnage est un acte
théâtral qui passe par les mots, que ce soit en aparté,
à l'insu de celui qui est visé, ou publiquement. Des coulisses
des Funambules, le directeur et Anselme Deburau, très fier de son fils,
regardent le spectacle. Tous deux s'émerveillent des performances
d'acteur de Baptiste et de Frédérick Lemaître.
Anselme : ... des lauriers semblables à ceux qui
ornent le front de son père ont poussé d'un seul coup sur la
tête de mon fils !
Le directeur : Et celui-là, vous croyez qu'il n'est
pas prodigieux... lui aussi.
Anselme : Evidemment, il a quelque chose dans le ventre...
Mais ce n'est pas un mime.
De sa loge, le comte de Montray, venu avec deux amis voir
Phoebé, s'extasie devant la beauté de Garance. Nous apprenons par
ses amis que le comte vient tous les soirs voir le spectacle, mais qu'il n'a
pas encore abordé Garance. Ainsi, nous apprenons sa position sociale qui
en fait pour Garance un protecteur éventuel.
Dans les coulisses des Funambules le régisseur commente
l'humeur rêveuse de Nathalie touchée par l'amour. L'amour nous est
décrit comme un virus qu'on attrape en posant ses yeux sur ce qui est
défendu. Nathalie est condamnée à rêveuse.
Rongée de l'intérieur par l'amour qu'elle ressent pour Baptiste,
elle est insensible à tout ce qui l'entoure.
Le régisseur : Pas possible, c'est contagieux. La
voilà, elle aussi, changée en statue de sel. Ah ! c'est beau
l'amour..., ça rend gai !
Pendant la parade, Anselme Deburau présente son fils,
comme étant la honte de sa famille, aux badauds qui passent. Garance se
présente au cours d'un interrogatoire imposé par le commissaire,
le sergent de ville, de l'encaisseur agressé et madame Hermine.
Frédérick Lemaître, lui, se
présente sans l'aide de personne, en faisant un numéro de
comédien. Devant l'entrée des artistes, il improvise une
chorégraphie et oblige le concierge à changer de place pour
prendre la sienne. Il prend le bras de ce dernier, et lui désigne
Garance traversant le boulevard. Le concierge est spectateur de la façon
dont le jeune acteur débutant aborde les femmes. Pour ne rien louper du
spectacle de Frédérick se déplaçant jusqu'à
Garance, la
caméra recule rapidement en panoramique et le suit. Il
dépasse Garance en feignant de ne pas l'avoir vue.
b) Le jeu du geste.
Un bon comédien de théâtre est contraint de
parler fort, avec emphase. Il amplifie ses gestes s'il veut être vu et
entendu. Au cinéma, le comédien qui adopte ce jeu peu naturel, se
couvre de ridicule. Dans les Enfants du paradis, tous les personnages
ou presque ont un jeu particulièrement théâtral. Cela ne
choque pas, par l'absence quasi totale de gros plans. Carné, filme comme
s'il s'agissait d'une pièce de théâtre en multipliant les
plans généraux, les plans moyens et les plans américains.
Ces différents plan créent la distance nécessaire au
théâtre, alors que le cinéma va issister sur les gros plans
et les plans rapprochés. Nous nous amusons des comportements des
protagonistes typiques des pièces de Molière.
La théâtralité des personnages dans leur
vie.
Après le départ en plein spectacle, des
Barrigni, le directeur s'effondre sur une chaise. Il voit le public
mécontent. Il joue son effondrement et adopte l'attitude d'Arpagon face
à la disparition de sa cassette. Les artistes
de son théâtre sont autour de lui. Il
l'écoutent gémir, sans rien dire, comme un public docile. Au mot
Remboursez ! s'en suit une rupture dans le jeu du directeur qui se
lève d'un bond. Ce procédé comique très
utilisé en théâtre, est une véritable prouesse
d'acteur, qui garde toujours une grande énergie en lui, même
lorsqu'il semble ne plus en avoir. Le directeur et l'avare de Molière,
ont cette aptitude de passer d'un état extrême à l'autre
sans transition en faisant de grands gestes. Comment répondre à
l'excès autrement qu'en se taisant en attendant que l'orage passe ?
Anselme Deburau sait ménager ses effets quand il
intervient auprès du directeur. Il s'oppose vivement à ce que
Baptiste interprète le rôle de Pierrot. Très droit, il
entre côté jardin. Comme le théâtre l'exige, il ne
parle pas pendant son déplacement pour ne pas parasiter le message du
geste qui introduit le contenu du discours. Il ne prend la parole qu'une fois
placé près du régisseur et du directeur. Le
régisseur se trouve pris en sandwich entre l'autorité du
père et celle du directeur.
Jeux décalés.
L'encaisseur, qui vient d'être agressé, se
comporte comme un acteur de mélodrame dédramatisant une
situation. Blessé, il hurle à la cantonade : A l'assassin
! Cette situation n'a de
vraisemblance qu'au théâtre. Un homme
véritablement blessé n'a pas la force de pousser sa voix à
qui veut l'entendre. Madame Hermine, en parfaite comédienne comique,
confie ses états d'âme qui ne correspondent pas à ce que
nous voyons. Ce décalage créée un effet comique. Vous
comprenez, je suis affolée, moi ! dit-elle calmement, assise
à son aise sur une chaise.
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