Jeux caricaturaux.
Les comédiens L'Auberge des Adrets, ont un
jeux très figé qui manque de naturel. Les comédiens
montrent ce qu'ils ressentent en exagérant leurs gestes et en
déclamant comme s'il s'agissait d'une tragédie. Ils parlent face
public. De toute évidence, Marie est une comédienne
chevronnée, mais elle n'incarne pas son personnage. Ce qui lui importe
c'est de savoir à quel moment elle doit entrer et sortir. Elle est
tellement obnubilée par ses déplacements sur scène que son
personnage n'a aucune substance. Le pathétique de la situation est
tellement forcé qu'il en devient grotesque et nous fournit le sujet
d'une pièce comique. Nous rions d'autant plus que l'extrait de la
répétition nous est montré ensuite lors de la
représentation. Frédérick change le cours de l'histoire de
Robert Macaire en improvisant sur son texte. Il casse le jeu convenu de ses
partenaires et les
déstabilise, comme s'il voulait leur imposer de jouer
juste. Il y réussit.
Les trois auteurs, quant à eux, semblent sortis
directement du théâtre de Guignol. Leur jeu est très
codifié. Le premier commence à parler, les deux autres continuent
en coeur. Pour casser le rythme, les trois reprennent en même temps. Il
ne manque que la musique pour faire de leurs mots une chanson.
Les sentiments des hommes théâtralisés.
Les personnages principaux théâtralisent souvent
leurs sentiments. Est-ce par pudeur ou bien est-ce parce que c'est au
théâtre qu'ils s'expriment le mieux ? Frédérick
Lemaître a besoin de ressentir de la jalousie envers Baptiste pour jouer
Othello, comme si la vie n'avait d'intérêt que parce qu'elle
nourrit l'interprétation de ses personnages au théâtre.
Baptiste utilise la théâtralité pour exprimer son
désespoir à Garance sans que celle-ci ne puisse intervenir dans
le jeu. Il a gardé son costume de scène.
Désespéré, il se donne en spectacle à la femme dont
il est éperdument amoureux. Le théâtre contamine la
fiction. Baptiste fusionne en Pierrot, qui voit la femme qu'il aime, lui
échapper dans le Palais des Mirages. Comme son personnage il a
des tendances suicidaires. Avec les fleurs il exprime la violence qu'il aura
dans Le marchand d'Habits. Garance reprend son rôle de statue.
Il se
détache de lui. Il utilise le personnage qu'il est sur
scène pour exprimer ce qu'il ressent en tant que personne. Il parle de
lui à la troisième personne du singulier. Le fait de ne pas
s'adresser directement à Garance, est une façon pour le mime,
d'éviter le dialogue et de montrer à la femme qu'il aime qu'il
est lui-même le personnage qu'il incarne. L'autre n'a d'autre fonction
que celle d'être spectateur. Garance, face à ce monologue, est une
spectatrice passive. Rien de vient obstruer le fil de la pensée de
l'artiste. Baptiste monopolise la scène, avec une jouissance morbide
à exprimer sa souffrance et à aller jusqu'au bout, comme s'il
voulait exorciser le mal qui le ronge. Il joue celui qui rit, qui fait le
clown. Il mime le marié qui danse sans sa mariée. Ses rires
cachent sa nervosité. La fin de son numéro s'achève sur la
croix en guise d'épitaphe qu'il trace sur sa pierre tombale
représentée par le miroir de Garance, détournant ainsi
l'objet de son signifiant. Ce rôle tragique improvisé marque une
volonté de catharsis de l'artiste. Il communique sa souffrance à
Garance pour qu'elle le prenne en pitié, comme un SOS. Il l'implore de
le retenir de sombrer dans le gouffre de la dépression amoureuse. En
mettant en scène son enterrement, Baptiste fait du chantage affectif
à Garance. Il veut que celle-ci se sente responsable de sa mort
imaginée. En la mettant au pied du mur, il l'oblige à prendre
position, ce qu'elle fait : Qui vous dit, qui vous dit Baptiste que
je
ne vous aime pas ? En jetant par terre, et en
piétinant les fleurs du Comte, il montre la violence de sa jalousie
quelque peu puérile.
Frédérick Lemaître avec son costume
d'Arlequin sent que Garance lui échappe. Il lui joue un numéro de
commedia dell'arte pour tenter de la reconquérir. Son enthousiasme
exubérant se heurte à la lassitude de Garance.
Frédérick cache son malaise derrière le masque d'Arlequin
et ses sentiments derrière celui du tragédien, tantôt
Othello, tantôt Arlequin.
Lors de sa première entrevue avec Garance, le comte
derrière une attitude précieuse, extrêmement posée
voire glaciale d'un homme sûr de lui, cache son trouble face à la
jeune femme.
Pleins feux sur la sortie de Garance.
Carné met l'accent sur personnage de Garance, et met en
valeur sa belle allure. Il fait un plan semi-général sur Garance
dans les escaliers du Grand-Relais, alors qu'elle est interpellée par la
police. C'est également en plan général, que Garance fait
sa sortie. Fièrement, elle tend la carte du comte au commissaire. Elle
prend soin de porter le regard vers chacun de ses accusateurs individuellement.
Ce jeu, trop long pour du cinéma, accentue l'effet théâtral
voulu par Garance, ce qui est conforté par les plans de la
caméra.
L'actrice nous communique son sentiment de victoire. Nous sommes
de tout coeur avec elle.
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