II) Réflexion théorique sur
Martine :
2.1) « Voyage d'une adolescente dans la crypte
maternelle » :
-2.1.1)
Adolescence et puberté :
L'adolescence,
jusqu'au milieu de 20ème siècle était plus une
donnée sociologique que psychologique. En effet, celle-ci
représentait le passage de l'enfance à l'âge adulte par des
rites de passage, mais surtout par l'acquisition d'attributs sexuels rendant la
procréation possible ; même si dès 1885, le
psychanalyste S.Freud commence à aborder cette question. Cette
année là, S.Freud décrit la puberté comme un temps
d'après coup, idée qu'il va affiner en 1905 dans « Les
Trois Essaies sur la Théorie Sexuelle » en situant le
début de la sexualité dans la prime enfance.
L'avènement
de la puberté inaugure les transformations menant à la vie
sexuelle infantile à la vie sexuelle adulte, sous sa forme
définitive. A l'adolescence se construit le psychisme adulte
définitif à partir d'une réécriture du vécu
infantile. Cette période oblige le sujet à surmonter les
résurgences du complexe OEdipien infantile18(*).
L'adolescence,
vient après le complexe d'OEdipe : second temps d'organisation et
de transformation faisant évoluer la sexualité infantile vers une
sexualité adulte « définitive et normale »,
ceci avec l'arrivée de la puberté (Freud 1905).
La
puberté, appelée aussi : phase génitale, de par la
maturation des organes génitaux, impacte d'une façon certaine sur
l'organisation psychique de l'adolescent, tant dans son mode relationnel aux
autres que dans l'établissement de sa future personnalité.
Ce
qui se manifeste psychiquement en premier lieu est le passage de la pulsion
sexuelle infantile auto-érotique à la pulsion sexuelle adulte
tournée vers l'objet. Les pulsions partielles infantiles se regroupent
sous le spectre de la génitalité pour satisfaire le choix d'un
objet dans un but de procréation. Selon Freud, ce choix est
préparé dès l'enfance et ceci en trois temps : celui
de la petite enfance, de l'enfance et de la période de latence puis, de
la puberté.
S.Freud,
par ses écrits, ouvre la voie à la théorisation sur
l'adolescence et c'est Peter Blos, psychanalyste, qui fut le premier à
publier une théorie dès 1962, en s'inspirant des ses
écrits. Pour lui, la période de l'adolescence représente
le deuxième processus d'individuation durant lequel le jeune
intègre sa sexualité d'adulte.
P.Blos,
parle d'un second processus de séparation individuation, où se
répète le premier, mais d'une façon un peu
différente puisque cette fois-ci : il ne s'agit pas de remplacer la
mère réelle, par un objet symbolique, maitrisable par la
pensée, mais de par de nouvelles représentations non parentales,
des objets totalement nouveaux. Généralement l'adolescent y
parvient par une série d'expérimentations avec de nouveaux objets
non pas intérieur, mais extérieur, c'est en recourant à un
groupe de copains ou aux aventures amoureuses que petit à petit, il va
investir des objets qualitativement différents des parents dans la
réalité, pour créer dans un temps second une
centralité d'investissement psychique sur les objets non
parentaux.
L'investissement
des ces nouveaux objets, autres que parentaux, permet à l'adolescent de
se dégager de la problématique incestueuse et infantile, d'un
mode trop puérile de relation à l'objet.
Pour
Anna Freud, il n'y a pas d'adolescence sans qu'il y soit à un moment
donné, l'expression de quelque chose de pathologique, et
d'anormal.
L'adolescence
serait un moment où il y aurait une sorte d'appétence, pour
mettre en scène un mélange de symptômes appartenant
souvent à des registres et à des domaines nosographiques et
nosologiques différents, comme si on essayait différents
costumes, différentes identités. Souvent cela passe par une sorte
d'auto caricature du côté pathologique, comme si l'adolescent
mettait en scène un personnage qui renvoyait au miroir, aux membres de
sa famille.
Au
moment de l'adolescence, ce n'est pas tellement la question pulsionnelle qui
est centrale mais la question d'un deuil à faire à la fois d'un
soi-même infantile, d'un soi même enfant, ludique, avec une
virtualité à la fois masculine et féminine, une
créativité liée aux pulsions partielles donc un deuil
narcissique à faire. En même temps il y a un deuil des premiers
objets essentiellement parentaux, plus exactement de la façon dont ils
ont été investis. L'adolescent s'ouvre d'une façon
nouvelle au monde pour accéder à ces identifications oedipiennes
adultes requises par la culture, par la civilisation, par son propre surmoi,
ses propres idéaux.
L'intérêt
de cette notion de cassure chez Laufer, c'est qu'elle applique le schéma
freudien classique du développement de l'enfant en utilisant les phases
orales, anale, sadique, génitale et le complexe d'Oedipe infantile, la
phase de latence, en faisant fonctionner cela pour des pathologies graves de
l'adolescence, dont on dirait a priori qu'il s'agit plutôt
d'éclosion et des débuts de psychoses.
La
notion de cassure, révèle un refus chez l'adolescent
d'intégrer psychiquement ce passage à l'âge adulte. Cette
cassure peut être le résultat d'un non intégration d'une
représentation de soi comme homme ou femme (identité
génitale).
-2.1.2)
Le Corps adolescent : mue, fonction et place :
A
l'adolescence, le corps est remanié malgré lui et c'est à
ce moment là que les troubles sont apparus chez Martine.
Martine,
de par ses symptômes vient interroger ce que le corps détient
comme vérité sur les premiers liens à l'objet : la
mère. Mauses et Eglée Laufer19(*) expliquent que le retour aux origines est
indispensable pour comprendre la relation affective qu'a eue la mère
avec le corps de son enfant. A voir comment Martine à du mal à se
départir de sa mère, et comment son corps en raconte l'histoire,
il questionne sur comment ont pu se dérouler les premières
expériences psychosensorielle censé offrir une
représentation psychique du corps du bébé, dont un
schéma des limites de celui-ci. Ces limites permettent au
bébé d'avoir une identité propres et
différenciée de celle de la mère et du reste du
monde20(*) .
X.Gasmann20(*) interpelle la position
sociétale centrée sur le corps visible où nous pouvons
lire les variations induites par la puberté. Ce centrage
suffit-il à considérer les transformations internes, psychiques
chez le sujet adolescent ?
La
société façonne et investit le corps, par la mode, les
tendances et l'adolescent se prête volontiers à ce
conditionnement. Sans doute parce que celui-ci lui accorde une certaine
sécurité identitaire familière et reconnue, alors
même qu'il baigne dans un nid de transformations, de changements
imposés par la puberté. Cette situation créant un
sentiment d'étrangeté, l'adolescent a besoin de repères
sociétaux pour se réapproprier ce corps : mais est ce
suffisant ? Cette question, car la société est vaste et
anonyme, plutôt, ne s'agirait-il pas de l'affaire du groupe auquel
s'identifier, avec qui faire corps ?
Le
corps, versus société, devient un objet de médiation, de
rencontre, c'est ce qu'on voit en premier avant d'entendre !
Cette
considération, repose sur le
« corps-matière » car il remet le sujet dans sa
chaire où se trouvent les éléments constitutifs de son
identité, comme l'indique X.Gasmann, ceci évoque le
« corps-mater » (Lacan), avec la dépendance à
la mère du sujet rejeton biologique de celle-ci.
La
question de la dépendance à la mère soulève la
problématique centrale de l'adolescence qui est la
séparation-individuation (P.Blos)21(*). Comment se départir de cette
dépendance pour se constituer comme sujet singulier
sexué ?
Mais
le corps avant d'être une affaire de société, est avant
tout le siège de ce qui se joue dans la prime enfance ente la
mère et le bébé. Le regard maternel est la clef de
voûte entre le bébé et le monde extérieur. En effet,
le regard suffisamment bon de la mère autorise le bébé
à se différencier d'elle, à saisir ses propres sensations
corporelles pour explorer le monde qui l'entoure. Le stade du miroir qui
intervient au 6ème mois de la vie offre au bébé
qui reconnaît son visage l'appropriation, avec les sensations corporelles
de jubilation, du corps (Freud). Le corps est alors engagé, dès
le plus jeune âge, dans cette quête de soi, dans cette
reconnaissance.
Jean
Bergès22(*) parle
d'une prise d'image, qui fait accéder au bébé à la
position dépressive puisqu'il perd l'omnipotence de la mère qui
ne lui obéit plus. Mais c'est par ce passage, que le bébé
devient sujet distingué de l'autre maternel.
Dans
la philosophie l'attention portée au corps, remonte au début du
20ème siècle. Les philosophes abordaient le corps
pour mieux en définir ses limites et les nouvelles façons de le
vivre.
Comme
le précise R.Schustermann23(*), le corps est ce qui constitue l'identité de
l'humain, mais aussi l'instrument de base de toute réalisation
indispensable aux perceptions et à toute pensée.
La
question du corps renvoie l'adolescent au paradoxe du choix : on ne
choisit pas son corps, on ne décide pas de sa puberté. Le moyen
pour l'adolescent de se différencier de ce corps imposé, de
reprendre une certaine maîtrise est d'adopter un style vestimentaire bien
à lui, même s'il se moule à la mode pour se forger une
identité singulière. Ce mouvement est nécessaire pour
qu'il se réapproprie ce corps nouveau ou changeant, car finalement ce
corps n'est pas si nouveau que ça !
Le
style vestimentaire, parfois très spécial, servirait-il de contre
poids à la blessure narcissique qu'impose la puberté qui fait
voler en éclat les repères de l'enfance ?
En
plus de devoir faire avec ce sentiment d'étrangeté, comme
l'indique F.Marty24(*),
l'adolescent doit gérer la menace du rapproché parental avec son
nouveau corps sexué. Pour mettre ce rapproché à distance,
sa fronde contre l'incestueux est souvent l'attaque en se rendant
« ingrat », repoussant.
D'un
point de vue psychanalytique, voici quelques notions éclairantes pour
tenter de comprendre ce qui se passe au niveau du corps chez Martine.
Pour
commencer, il y a Evelyne Kestemberg qui en 1962 propose de considérer
les remaniements de l'adolescence sous le versant corporel. Ces transformations
pubertaires sont actrices des modifications physiologiques faisant d'un enfant
un adulte.
Elle
insiste sur l'importance du corporel dans la recherche d'identité. Il
est aisé de penser ces manifestations pubertaires comme un facteur de
désorganisation des identifications de l'adolescent à son corps
infantile. Il ne se reconnaît plus dans ce nouveau corps sexué
avec de nouvelles fonctions qu'il ne peut pas encore assumer. Il y a, ici, le
problème de la maturité sexuelle qui devance la maturité
psychique. E.Kestemberg, nomme ce décalage :
« Dysharmonie infantile » fait que l'adolescent rejette son
corps vécu comme étranger. Dans le même temps l'adolescent
doit faire avec le retour du conflit oedipien et archaïque qui
l'éloigne de ses parents et remette en question ses identifications aux
premiers objets, à sa part infantile et à la
société.
Ce
« pré quelqu'un »25(*)est perdu entre l'enfant qu'il était et
l'adulte qu'il n'est pas encore.
La
relation entre le Moi et le corps se trouve chamboulée au moment de
l'adolescence et un auteur, Didier Anzieu26(*), s'est attelé à unir le Moi au Corps
dans Le Moi Peau. La peau tient un rôle fondamental dans
l'édification du Moi de l'individu et de ses limites. Ceci permet un
élargissement de la pensée d'un Moi psychique vers un Moi
corporel. Dans la poursuite des travaux de Didier Anzieu, E.Laufer introduit
une donnée supplémentaire. Elle précise, que la naissance
du Moi-corps n'est pas uniquement lié à des
éprouvés sensoriels, contrairement à Didier Anzieu. En
effet, chaque rapproché du corps de l'enfant au corps de la mère
ajoute à la sensorialité, décrite par Didier Anzieu, des
traces mnésiques affectives. Il y a, ainsi, une combinaison de l'image
du corps avec la représentation de la relation affective corporelle, ce
qui permet au Moi-corps de se développer.
Pour
E & M. Laufer l'adolescent subit, de par la puberté, des
transformations corporelles remettant en cause sa neutralité sexuelle.
Peu à peu ses organes génitaux deviennent fonctionnels et son
corps s'affiche au regard des autres, ce qui lui confère une
identité sexuelle irréversible.
La
passivité occasionnée par la puberté et son cortège
de modifications, est insupportable. Cet insupportable là pousse
l'adolescent à alterner des mouvements intégratifs du corps
(phases actives) avec des mouvements régressifs (phases passives). Le
corps pubère se transforme, ce qui échappe à la maitrise
du Moi.
La
ressemblance grandissante au corps parental, augmente le rapproché
incestueux et met l'adolescent en situation de rejeter ce corps, d'attaquer les
figures parentales.
Quand
tout ce passe bien, l'adolescent finit par accepter ce nouvel habitat :
son corps ! Il sort, enfin, du tumulte de l'adolescence.
Après
avoir vu le corps flottant au gré des transformations pubertaires, telle
une anémone de mer se laissant balancer par les courants marins, il faut
bien se poser la question des fonctions de celui-ci.
Annie
Birreaux précise que le corps participe à l'évolution du
sujet tout au long de son existence. Le corps possède trois fonctions
qui se développent au cours de l'évolution du sujet. Le corps est
au coeur de l'adolescence.
La
première est de se représenter ses besoins primaires et son
image. La seconde est du côté du ressenti, c'est à dire
l'addition de ses désirs, de ses fantasmes, de ses expériences
plaisir-déplaisir. Puis la troisième elle crée et
maintient l'image symbolique et sociale du sujet, ce qui permet
l'échange par le corps avec le monde extérieur.
Le
problème est que l'adolescence vient perturber ces
représentations mise en place depuis la tendre enfance !
Le
rôle principal de l'adolescence est d'unifier le corps symbolique
asexué de l'enfance à celui sexué du futur adulte. Ce
mouvement suscite parfois des angoisses massives, et le jeune s'en
défend en traitant son corps comme un objet externe à sa vie
psychique. Pour A. Birraux, le corps, « traité comme objet
qui ne fait pas partie de soi-même (...) peut être,
économiquement, le dépositaire de la haine, de
l'agressivité, de l'envie, c'est-à-dire de tous les affects
menaçants pour son propre psychisme. » (Birraux, 1994).
La question de la pathologie se pose quand la fantasmatisation de l'agression
du corps fait place à l'agir réel.
Après
ces quelques généralités sur l'adolescence et le corps, il
paraît utile de réfléchir sur la spécificité
de la problématique chez Martine.
* 18 RICHARD.F. Le
processus de subjectivation à l'adolescence. Paris, Dunod, 2001
* 19 LAUFER E. (2005) Le corps
comme objet interne. Adolescence, 23, 2 : pp.363-379
* 20 X.Gasmann :
« Les esquisses symboligènes »
* 21 P.Blos :
« Les adolescents. Essai de psychanalyse ». Paris
Stock
* 22 J.Bergès :
« Le regard et l'imaginaire du corps » Journal
français de psychiatrie N° 16
* 23 R.Schustermann :
« Débats Shusterman : conscience du
corps » L'éclat.
* 24 F..Marty :
« Adolescences : état des lieux à partir des
innovations de F.Ladame » Colloque du 6/10/2007
* 25 Pré
quelqu'un : terme d'E.Kestemberg pour désigner
l'adolescent.
* 26 D.Anzieu :
« Le Moi-peau. » Paris, Dunod (1985)
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