III) Discussion et analyse autour de la problématique
de Martine : Mise en scène :
La
scène subjective se crée dans une temporalité et une
mémoire propres, et le désir sert de guide pour une
répétition d'une extension du vécu psychique, dans
l'improvisation.
La
pulsion telle un tempo, rythme l'espace psychique, lui permettant ainsi de
s'articuler sur un corps érogène.
3.1) De quelle scène s'agit-il ?
-3.1.1) Scène de jouissance masochique ?
Après
un passage du côté de la théorie, je propose, en reprenant
des éléments cliniques, de prélever ce qui pourrait
être du côté d'une jouissance masochique chez Martine.
Il
paraît important de s'entendre sur ce que veut dire le moment jouissance
au travers de la définition freudienne, avant d'inclure ce terme dans ma
réflexion.
La
jouissance est un terme peu utilisé par Freud. Le concept de jouissance
est d'abord lié au plaisir sexuel, impliquant une dimension
transgressive de la loi. La jouissance participe de la perversion, c'est ce que
Freud décrit dans les Trois Essais sur la Théorie
Sexuelle en l'utilisant pour parler des « invertis »,
c'est-à-dire des homosexuels pour évoquer leur aversion pour
l'objet sexuel de l'autre sexe.
La
jouissance n'est pas que plaisir mais elle est aussi sous tendue par une
identification en s'articulant à l'idée de la
répétition qui renvoie à la de la pulsion de mort. Bien
sur, ce concept invite à retourner aux premiers stades de la vie du
nourrisson, qui va jouir du moment de la
« tété », où il va apaiser la tension
de la faim, mais par un acte de répétition il va recourir au
suçotement (dépourvu de sa fonction nutritive), ce qui le met du
côté de l'auto érotisme.
Martine
utilise son corps comme langage, peut-être aussi comme moyen de se couper
de l'objet maternel. Elle effectue ces opérations « sans
anesthésie », dans la douleur.
La
force et la persistance de ses actes auto-agressifs, ses attaques contre
elle-même forcent à envisager la jouissance qu'elle peut y
trouver. Aussi, peut-on penser cette jouissance par rapport à
l'investissement/désinvestissement de son corps par la mère.
En
effet, dans le corps de Martine, qu'en est-il de l'inscription du regard
suffisamment bon de la mère. Dans l'anorexie, le gommage des formes
féminines pose la question de l'identification au féminin.
Comment
Martine parviendrait-elle à investir une image féminine, alors
même qu'elle ne semble pas avoir pu introjecter l'objet maternel, dans
un« trop plein ou trop vide » de celui-ci. Pour y parvenir,
elle devrait faire un travail de coupure, non pas sur son corps, mais de
coupure symbolique (ceci suppose une possible construction d'une
représentation maternelle « suffisamment bonne », de
fait, emprunte d'ambivalence), Il s'agit d'une mère manquante, ce qui
supposerait le recours à une représentation tierce autoriserait
Martine à se délier de cette peau commune à la
mère. L'autre travail, pour Martine, serait de s'affranchir du
pubertaire pour laisser place au féminin afin d'accéder à
une jouissance féminine liée à la séparation des
corps mère-fille.
Les
mères inscrivent dans le corps de ces jeunes filles un
désinvestissement ou un contre investissement, créant ainsi une
difficulté d'identification sexuelle chez l'enfant. Il est donc
nécessaire d'évaluer l'impact entre le désinvestissement
corporel, (voire la mutilation du corps), chez la mère et chez la
fille. La séparation se caractériserait
par le fait d'avoir un corps différent de celui de la mère et
d'accéder à la jouissance féminine inhérente
à cette possible séparation des corps.
Cet
aspect « corporel » parait être fondamental dans la
question du « choix » de l'addiction alimentaire en tant
que processus économique figurant la problématique
identitaire.
« La
jouissance du sujet sera dépendante de la jouissance de l'Autre-maternel
et de l'objet d'amour de celui-ci qui n'est pas forcément le père
et se distribuera dans les aménagements pervers propres à
l'anorexie mentale ».41(*)
Si
on ne naît pas femme, on est inscrit très tôt dans une
lignée maternelle où l'impossibilité du féminin
chez la mère peut entraver considérablement la possibilité
de ce devenir pour sa fille adolescente.
Le
désinvestissement maternel du corps, de son enfant, esthétique et
plastique et le surinvestissement de ses fonctions biologiques et
physiologiques; va entraîner en réponse à cela et en
miroir, un investissement et/ou un combat de l'idée d'une permanence
fantasmatique d'une indifférenciation par l'enfant, au détriment
de possibles représentations psychiques du corps. Le corps anorexique
qui s'offre au regard de l'autre, tel un manifeste, est avant tout une
entité corporelle informe et hyperexcitable avec l'acceptation d'un
ressenti d'une jouissance dans la maladie (et non pas dans la
sexualité). Ce corps tend à l'androgynie révélant
ainsi un déni de la différenciation des sexes ne montrant rien de
son rôle de procréation, de génération (notamment
par l'aménorrhée). Cet ensemble de déclarations dans la
geste anorexique n'est pas de l'ordre de la symbolisation.
Le
maintien de l'investissement de l'absence dans la continuité de ce qui a
prévalu dans l'enfance est rendu possible par une attaque des
éprouvés secondaires à la puberté au moment de
l'adolescence. « Ce n'est pas que le corps refuse de se
sexualiser, c'est qu'il veut rester malade et jouir de façon infantile
dans cette maladie même ».
Maurice
Corcos explique la jouissance chez ces jeunes anorexiques comme un fantasme
d'annulation du sujet et de l'objet ; ce qui vient réactiver un
moment de désinvestissement. Le sujet répète à
l'identique (l'afflux de sensation) le traumatisme, c'est à dire
l'absence de contenant au débordement pulsionnel, avec un risque de
frayage psychosomatique.
Il
poursuit en faisant l'hypothèse que ce type de jouissance
endogène serait recherché de manière compulsionnelle, non
seulement pour elle-même, mais surtout pour ce qu'elle représente
pour le sujet, une expérience extrême « proche de
l'angoisse » il y aurait une véritable constitution d'une
épreuve de réalité, un accès au réel de
l'être : « La jouissance d'un retour à la
continuité par le manque s'associe par essence à une angoisse de
néantisation. »
Martine,
par ses conduites à risques où son corps devient le
dépositaire de sa souffrance psychique, il est question de la
scène. En effet, le corps est la scène où vient se
déposer, s'inscrire ce qui agite Martine : sa vie
psychique.
Martine
donne à voir, tant dans le service, que dans l'atelier. Elle est une
patiente « spectaculaire » tant sa souffrance se voit avant
de se faire entendre.
Son
investissement de l'atelier interroge sur ce qu'elle vient chercher, sur ce
qu'elle veut dire par le montrer. En effet, sa ténacité à
participer à l'atelier tient parfois de l'acharnement, de la
lutte ; dans ces moments là il ne semble pas avoir de plaisir, de
désir, mais plutôt un besoin vital d'y aller. La perspective des
improvisations semble l'attirer en ce qu'elle peut
« exhiber » de sa scène subjective, de ce mal
être qu'elle peut raconter au travers du jeu, notamment quand elle
choisit des rôles très crus (pour exemple d'uriner, pour de faux
comme disent les enfants, sur scène !). Ses jeux prennent une
tournure très burlesque suscitant les rires, des rires parfois
embarrassés où le spectateur est coincé entre la stupeur,
la gène et le comique qui se dégage de l'improvisation. Ce
sentiment ambivalent, peut être le résultat de quelque chose que
Martine exhibe sans détour de sa vie psychique.
En
plus des moments d'improvisations, il y a la première partie où
Martine prend des allures de « possédée »,
où elle suscite en moi une envie de la fuir, de me protéger de
son ombre aspirante.
Son
opiniâtreté à faire la relaxation...jusqu'au bout, moment
où elle se sent mal (pleure très souvent) : que montre
t-elle à ce moment là, en tire t-elle une jouissance ? Au
moment du jeu du regard, lorsque je suis avec elle, elle me propose un regard
vide écumé d'une empreinte mélancolique, glaciale,
là encore elle semble souffrir mais tient à aller jusqu'au bout.
Sa
pugnacité à tenir des exercices difficiles m'a souvent fait
penser à une « auto flagellation » en publique,
d'où elle tire une certaine jouissance masochique. Je suis
tentée de faire un parallèle entre la maltraitance qu'elle
s'inflige au corps et ce qu'elle vient reproduire à l'atelier où
là, la maltraitance serait rejouée au travers des sensations
psychiquement douloureuses. Il y aurait à l'atelier un remplacement de
la douleur physique par la douleur psychique.
J'ai,
au travers de ce travail, pu montrer que Martine remplissait son vide interne,
remplissage nécessaire car ce vide est pour elle insupportable, au sens
où il est une nécessité pour désirer. Ceci donne
lieu aux possibles défilés de représentations et donc de
productions fantasmatiques pour aller jusqu'à la sublimation par la
douleur. Cette douleur (comme suppléance au manque) semble la tenir
pleine de quelque chose qui la tient en vie par une sensation forte et
désagréable. Dans ce cas de figure, l'atelier
théâtre ne lui permet pas de lâcher ce besoin de douleur,
mais permet juste de changer les modalités d'y
accéder.
Ceci
m'interroge sur la place du publique en tant que regard. Martine interpelle
beaucoup le regard, en cela n'aurait-il pas un rôle maltraitant où
il serait désapprobateur, persécutant. Comme si Martine utilisait
le regard comme un outil pour se faire mal ; comme je le disais plus haut,
au moment du débriefing, elle est très friande du retour que le
publique va lui faire sur sa prestation. Elle cherche souvent à faire
dire des choses négatives.
Martine
est un jour nuit pris entre une jouissance masochique dont les exemples sont
nombreux et un désir révélé par les moments
lumineux qu'elle peut offrir au moment des improvisations.
Comme
je l'ai fait pour la jouissance masochique, je vais faire un détour
théorique, avant d'évoquer cliniquement sur ce qui pourrait du
côté du désir chez Martine.
* 41 M.Corcos. « Le
féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une passivité
créatrice : ceci n'est pas une femme » conférence
du 03/06/2004
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