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Le corps mis en scène dans une médiation théâtrale

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par Farida Amiou
Université Paris Denis Diderot, Paris VII - Master 1 de psychologie 2007
  

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III) Discussion et analyse autour de la problématique de Martine : Mise en scène :

La scène subjective se crée dans une temporalité et une mémoire propres, et le désir sert de guide pour une répétition d'une extension du vécu psychique, dans l'improvisation.

La pulsion telle un tempo, rythme l'espace psychique, lui permettant ainsi de s'articuler sur un corps érogène.

3.1) De quelle scène s'agit-il ?

-3.1.1) Scène de jouissance masochique ?

Après un passage du côté de la théorie, je propose, en reprenant des éléments cliniques, de prélever ce qui pourrait être du côté d'une jouissance masochique chez Martine.

Il paraît important de s'entendre sur ce que veut dire le moment jouissance au travers de la définition freudienne, avant d'inclure ce terme dans ma réflexion.

La jouissance est un terme peu utilisé par Freud. Le concept de jouissance est d'abord lié au plaisir sexuel, impliquant une dimension transgressive de la loi. La jouissance participe de la perversion, c'est ce que Freud décrit dans les Trois Essais sur la Théorie Sexuelle en l'utilisant pour parler des « invertis », c'est-à-dire des homosexuels pour évoquer leur aversion pour l'objet sexuel de l'autre sexe.

La jouissance n'est pas que plaisir mais elle est aussi sous tendue par une identification en s'articulant à l'idée de la répétition qui renvoie à la de la pulsion de mort. Bien sur, ce concept invite à retourner aux premiers stades de la vie du nourrisson, qui va jouir du moment de la « tété », où il va apaiser la tension de la faim, mais par un acte de répétition il va recourir au suçotement (dépourvu de sa fonction nutritive), ce qui le met du côté de l'auto érotisme.

Martine utilise son corps comme langage, peut-être aussi comme moyen de se couper de l'objet maternel. Elle effectue ces opérations « sans anesthésie », dans la douleur.

La force et la persistance de ses actes auto-agressifs, ses attaques contre elle-même forcent à envisager la jouissance qu'elle peut y trouver. Aussi, peut-on penser cette jouissance par rapport à l'investissement/désinvestissement de son corps par la mère.

En effet, dans le corps de Martine, qu'en est-il de l'inscription du regard suffisamment bon de la mère. Dans l'anorexie, le gommage des formes féminines pose la question de l'identification au féminin.

Comment Martine parviendrait-elle à investir une image féminine, alors même qu'elle ne semble pas avoir pu introjecter l'objet maternel, dans un« trop plein ou trop vide » de celui-ci. Pour y parvenir, elle devrait faire un travail de coupure, non pas sur son corps, mais de coupure symbolique (ceci suppose une possible construction d'une représentation maternelle « suffisamment bonne », de fait, emprunte d'ambivalence), Il s'agit d'une mère manquante, ce qui supposerait le recours à une représentation tierce autoriserait Martine à se délier de cette peau commune à la mère. L'autre travail, pour Martine, serait de s'affranchir du pubertaire pour laisser place au féminin afin d'accéder à une jouissance féminine liée à la séparation des corps mère-fille.

Les mères inscrivent dans le corps de ces jeunes filles un désinvestissement ou un contre investissement, créant ainsi une difficulté d'identification sexuelle chez l'enfant. Il est donc nécessaire d'évaluer l'impact entre le désinvestissement corporel, (voire la mutilation du corps), chez la mère et chez la fille. La séparation se caractériserait par le fait d'avoir un corps différent de celui de la mère et d'accéder à la jouissance féminine inhérente à cette possible séparation des corps.

Cet aspect « corporel » parait être fondamental dans la question du « choix » de l'addiction alimentaire en tant que processus économique figurant la problématique identitaire.

« La jouissance du sujet sera dépendante de la jouissance de l'Autre-maternel et de l'objet d'amour de celui-ci qui n'est pas forcément le père et se distribuera dans les aménagements pervers propres à l'anorexie mentale ».41(*)

Si on ne naît pas femme, on est inscrit très tôt dans une lignée maternelle où l'impossibilité du féminin chez la mère peut entraver considérablement la possibilité de ce devenir pour sa fille adolescente.

Le désinvestissement maternel du corps, de son enfant, esthétique et plastique et le surinvestissement de ses fonctions biologiques et physiologiques; va entraîner en réponse à cela et en miroir, un investissement et/ou un combat de l'idée d'une permanence fantasmatique d'une indifférenciation par l'enfant, au détriment de possibles représentations psychiques du corps. Le corps anorexique qui s'offre au regard de l'autre, tel un manifeste, est avant tout une entité corporelle informe et hyperexcitable avec l'acceptation d'un ressenti d'une jouissance dans la maladie (et non pas dans la sexualité). Ce corps tend à l'androgynie révélant ainsi un déni de la différenciation des sexes ne montrant rien de son rôle de procréation, de génération (notamment par l'aménorrhée). Cet ensemble de déclarations dans la geste anorexique n'est pas de l'ordre de la symbolisation.

Le maintien de l'investissement de l'absence dans la continuité de ce qui a prévalu dans l'enfance est rendu possible par une attaque des éprouvés secondaires à la puberté au moment de l'adolescence. « Ce n'est pas que le corps refuse de se sexualiser, c'est qu'il veut rester malade et jouir de façon infantile dans cette maladie même ».

Maurice Corcos explique la jouissance chez ces jeunes anorexiques comme un fantasme d'annulation du sujet et de l'objet ; ce qui vient réactiver un moment de désinvestissement. Le sujet répète à l'identique (l'afflux de sensation) le traumatisme, c'est à dire l'absence de contenant au débordement pulsionnel, avec un risque de frayage psychosomatique.

Il poursuit en faisant l'hypothèse que ce type de jouissance endogène serait recherché de manière compulsionnelle, non seulement pour elle-même, mais surtout pour ce qu'elle représente pour le sujet, une expérience extrême « proche de l'angoisse » il y aurait une véritable constitution d'une épreuve de réalité, un accès au réel de l'être : « La jouissance d'un retour à la continuité par le manque s'associe par essence à une angoisse de néantisation. »

Martine, par ses conduites à risques où son corps devient le dépositaire de sa souffrance psychique, il est question de la scène. En effet, le corps est la scène où vient se déposer, s'inscrire ce qui agite Martine : sa vie psychique.

Martine donne à voir, tant dans le service, que dans l'atelier. Elle est une patiente « spectaculaire » tant sa souffrance se voit avant de se faire entendre.

Son investissement de l'atelier interroge sur ce qu'elle vient chercher, sur ce qu'elle veut dire par le montrer. En effet, sa ténacité à participer à l'atelier tient parfois de l'acharnement, de la lutte ; dans ces moments là il ne semble pas avoir de plaisir, de désir, mais plutôt un besoin vital d'y aller. La perspective des improvisations semble l'attirer en ce qu'elle peut « exhiber » de sa scène subjective, de ce mal être qu'elle peut raconter au travers du jeu, notamment quand elle choisit des rôles très crus (pour exemple d'uriner, pour de faux comme disent les enfants, sur scène !). Ses jeux prennent une tournure très burlesque suscitant les rires, des rires parfois embarrassés où le spectateur est coincé entre la stupeur, la gène et le comique qui se dégage de l'improvisation. Ce sentiment ambivalent, peut être le résultat de quelque chose que Martine exhibe sans détour de sa vie psychique.

En plus des moments d'improvisations, il y a la première partie où Martine prend des allures de « possédée », où elle suscite en moi une envie de la fuir, de me protéger de son ombre aspirante.

Son opiniâtreté à faire la relaxation...jusqu'au bout, moment où elle se sent mal (pleure très souvent) : que montre t-elle à ce moment là, en tire t-elle une jouissance ? Au moment du jeu du regard, lorsque je suis avec elle, elle me propose un regard vide écumé d'une empreinte mélancolique, glaciale, là encore elle semble souffrir mais tient à aller jusqu'au bout.

Sa pugnacité à tenir des exercices difficiles m'a souvent fait penser à une « auto flagellation » en publique, d'où elle tire une certaine jouissance masochique. Je suis tentée de faire un parallèle entre la maltraitance qu'elle s'inflige au corps et ce qu'elle vient reproduire à l'atelier où là, la maltraitance serait rejouée au travers des sensations psychiquement douloureuses. Il y aurait à l'atelier un remplacement de la douleur physique par la douleur psychique.

J'ai, au travers de ce travail, pu montrer que Martine remplissait son vide interne, remplissage nécessaire car ce vide est pour elle insupportable, au sens où il est une nécessité pour désirer. Ceci donne lieu aux possibles défilés de représentations et donc de productions fantasmatiques pour aller jusqu'à la sublimation par la douleur. Cette douleur (comme suppléance au manque) semble la tenir pleine de quelque chose qui la tient en vie par une sensation forte et désagréable. Dans ce cas de figure, l'atelier théâtre ne lui permet pas de lâcher ce besoin de douleur, mais permet juste de changer les modalités d'y accéder.

Ceci m'interroge sur la place du publique en tant que regard. Martine interpelle beaucoup le regard, en cela n'aurait-il pas un rôle maltraitant où il serait désapprobateur, persécutant. Comme si Martine utilisait le regard comme un outil pour se faire mal ; comme je le disais plus haut, au moment du débriefing, elle est très friande du retour que le publique va lui faire sur sa prestation. Elle cherche souvent à faire dire des choses négatives.

Martine est un jour nuit pris entre une jouissance masochique dont les exemples sont nombreux et un désir révélé par les moments lumineux qu'elle peut offrir au moment des improvisations.

Comme je l'ai fait pour la jouissance masochique, je vais faire un détour théorique, avant d'évoquer cliniquement sur ce qui pourrait du côté du désir chez Martine.

* 41 M.Corcos. « Le féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une passivité créatrice : ceci n'est pas une femme » conférence du 03/06/2004

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery