2.2) Eros et Thanatos : « Attraper quelque
chose du vivant Chez Martine »:
-2.2.1) Pulsion de vie et de mort : « Que se
passe t-il dans la salle des machines » ?
En
Comparant la situation clinique de Martine (dans le service et à
l'atelier théâtre) il apparait très nettement deux
scènes, deux « montrer ».
Aussi
il y a une différence entre ces deux espaces dans ce que Martine donne
à voir.
Ce
qui est troublant, c'est le nombre de relectures (pour la correction de fautes
de frappe ou de syntaxe), qu'il m'a fallu pour déceler des
éléments du côté du vivant.
Il
s'agit là, d'un vrai travail d'anamorphose où la mise
en perspective donne un autre visage de la situation. Francis Bacon regarde par
le haut ses peintures, aussi, ce recul donne à voir un corps en son
ensemble (Cf. la couverture). En me décalant de ma fonction
d'infirmière pour aller vers celle de la psychologue clinicienne en
devenir, mon regard s'est porté sur cette autre scène. Autre
scène qui se joue, probablement, de manière plus visible en
situation d'improvisation théâtrale ?
Effectivement,
bien qu'encore en formation, le travail de clinicienne, selon moi, consisterait
en un travail de fouille où l'idée serait de trouver ces
fragments de diamants tapis sous un charbon noir et salissant.
Est-ce
que ces petits diamants seraient des ruines de quelque chose qui a
existé et fut détruit ? Ce quelque chose à
l'intérieur de Martine qui brille derrière une chape
charbonneuse de symptômes, peut-il être exhumé à des
fins thérapeutiques, à des fins de survie, tout simplement ?
Le symptôme peut aussi relever de la pulsion de vie et les moyens
thérapeutiques ne visent pas à démonter le symptôme,
mais davantage à en passer par le sujet (via un processus de
subjectivation), en l'amenant à dire ou éventuellement faire dans
le dire, comme sur une scène de jeu de l'improvisation par exemple.
Martine,
semble conserver ces petits diamants comme des traces mnésiques de
moments structurants dans ses premières relations à l'objet,
moments qui n'auraient pas pu jouer leur fonction subjectivante car trop
irréguliers, trop rares.
Ce
quelque chose est bien présent puisqu'il fait saillie dans
l'improvisation, il voit le jour. Alors, pourquoi ne tient-il pas
au-delà du jeu, pourquoi cette liaison ne tient-elle pas après
l'atelier ?
Cette
mise en perspective me permet de recueillir ces éléments
« vivants » qui m'aide à apporter quelques
éléments de réponse à ma
problématique.
Ces
tout petits diamants trouvés dans la noirceur du symptôme de
Martine sont, me semble t-il, sa capacité à susciter la
rêverie chez le spectateur, l'identification à son père en
tant qu'artiste donc du côté de la création, puis son
désir de grossesse.
Le père en tant qu'artiste transforme quelque chose du vivant, en tant
qu'identification qui vient faire séparation d'avec la
mère.
Chez
Martine, ce rideau de « faire »31(*) rend invisible le vivant
pourtant présent. La situation théâtrale
révèle cette autre scène telle une levée de rideau
sur une scène habitée, animée, lumineuse.
Dans
la scène mortifère, Martine, semble vouée à une
destinée tragique comme les héroïnes de la Tragédie
Antique, tant elle court après la mort en permanence (par ses multiples
conduites à risques). L'atelier théâtre viendrait, ici,
arracher temporairement Martine prise dans une loi folle, à cette
destinée tragique.
En
rédigeant ces quelques lignes la question de la pulsion de vie et de la
pulsion de mort m'apparait en tant que mise en tension de celles-ci.
Il
m'est difficile d'imaginer un règne absolu de la pulsion de mort chez
Martine. Pulsion de mort à laquelle Martine serait condamnée
à obéir, jusqu'à en mourir (destinée tragique).
D'autant plus difficile à concevoir qu'il existe chez elle des
éléments du vivant.
Pour
tenter de comprendre ce qui peut s'animer comme conflit entre Eros et Thanatos,
il faut se référer à Freud (1920) : Au
delà du principe de plaisir où il déplie sa
théorie sur pulsion de vie et pulsion de mort. Freud, dans cet ouvrage,
explique que l'individu est régi par un conflit fondamental entre
pulsion de vie et pulsion de mort.
Il
évoque la pulsion de mort comme une dérive du besoin biologique
de tout organisme vivant, d'un retour à son état initial (par
exemple l'apoptose cellulaire). A la pulsion de mort, s'oppose la pulsion de
vie dont la libido fait partie.
Pour
que la pulsion de vie garde sa valeur, encore faut-il qu'elle dépasse et
maitrise la pulsion de mort, en partie.
Quelques
années plus tard, Freud affine sa théorie en montrant que lorsque
la pulsion de mort domine le conflit, la destructivité de la vie
psychique est en marche. C'est-à-dire que la fonction du symbolique qui
fondamentalement est ce travail de liaison entre deux représentations,
mais qui à défaut de celle ci engendre un gel du processus
psychique. Quand la pulsion de vie a le dessus, la composante destructrice est
en partie neutralisée et l'agressivité vient se mettre au service
de la vie et du Moi.
Chez
Martine, il y a cette incapacité à se lier, de façon
permanente, à la pulsion de vie. Cette liaison se déroule au
moment des improvisations, mais ne semble pas pouvoir tenir au-delà de
celle-ci.
Ces
petits bouts de vivants que Martine possède pourraient appartenir
à la pulsion de vie, mais insuffisamment opérant pour se lier
à elle afin de faire barrage à la pulsion de mort.
Dans
l'atelier, Martine tente d'attraper quelque chose du vivant avec un filet
à papillon qui arrive à capturer ce quelque chose du vivant mais
qui le laisse s'envoler tout de suite après l'improvisation.
Avant
de parler de pulsion de vie et pulsions de mort, il convient de s'entendre sur
la signification du mot pulsion.
Dans
Métapsychologie, Freud définit la pulsion comme une
poussée dynamique ayant une source, un but, et un objet. Elle agit comme
une force constance et est comparable à un besoin qui ne peut être
supprimé que par la satisfaction. Il existe deux sortes de
pulsions : la pulsion du Moi ou d'autoconservation et le groupe des
pulsions sexuelles. Ces pulsions s'étayent sur les pulsions
d'autoconservation qui leur fournissent une source organique, une direction et
un objet. Il s'agit d'un travail de réflexion hypothétique
à partir du dire de patients. Les notions de besoin, d'autoconservations
restent insatisfaisantes pour penser le processus thérapeutique.
Freud
remplace, par la suite, l'opposition de pulsion sexuelle et pulsion du Moi, par
l'opposition de pulsion de vie et de mort.
La
pulsion donne à l'humain la force de vivre.
Il
précise que l'excitation pulsionnelle ne vient pas de
l'extérieure mais de l'intérieure, c'est-à-dire de
l'organisme lui-même. Ceci implique que l'appareil psychique est soumis
au principe de plaisir et est régulé par des sensations de la
série plaisir/déplaisir, c'est ce qu'on peut appeler la notion de
représentation.
La
décharge pulsionnelle créée un abaissement au plus bas du
niveau de tension. Cet abaissement est temporaire.
La
pulsion sexuelle est jusqu'ici principalement auto-érotique, elle trouve
à présent l'objet sexuel : maintenant un nouveau but est
donné à la réalisation duquel toutes les pulsions
partielles collaborent, tandis que les zones érogènes se
soumettent au primat de la zone génitale.
Le
plaisir final est le plus élevé en intensité et
diffère dans son mécanisme de ceux qui l'ont
précédé. (Freud).
L'anorexie
de Martine la place dans un registre d'un renversement dans le contraire de la
pulsion (c'est l'un des destins de la pulsion). En effet, ses multiples
attaques du corps et ses troubles du comportement alimentaire interrogent du
côté du masochisme qui selon Freud tend à un renversement
névrotique originaire comme un mélange dans la douleur, de
l'intensité sensorielle et de l'excitation sexuelle, se rapprochant
aussi d'une pulsion de mort silencieuse. Ceci renvoie au rôle de
l'hallucinatoire comme première représentation du sein manquant
(objet maternel - pulsion orale) où le masochisme primordiale vient
comme première forme d'acceptation de jouer avec la
représentation qui résulte de cet hallucinatoire, pour exemple,
le jeu du For Da, où le bébé expérimente le manque
et va de manière hallucinatoire la combler, par le jeu d'avec la
bobine)
Les
adolescents, comme Martine, qui prennent le risque de mourir dans leurs
conduites semblent espérer trouver une limite à leur
angoisse.32(*) Ils vont
chercher cet objet primordial du côté de l'oralité
d'où le manger « rien » qui est déjà
quelque chose.
Ceci
interroge sur la fonction de l'improvisation en ce sens qu'elle offre une
possibilité de mise en jeu, levant ainsi des défenses
destructrices qui emprisonnent Martine. La transformation d'une pulsion en son
contraire ne s'observe que dans un cas, celui du passage de l'amour à la
haine. L'amour/haine peut être dirigé sur le même objet. En
effet, Cet amour/haine vise le même objet parce qu'il y a un travail
psychique défensif visant ultérieurement à protéger
l'objet maternel en dirigeant la haine vers un autre objet support : c'est
le clivage qui précède l'ambivalence et la possibilité du
conflit autour du même objet ce qui suppose le passage par la position
dépressive, créant ainsi de l'ambivalence (Mélanie
Klein)
Freud
explique que la pulsion autoérotique implique l'autre dans sa
position ; ce qui introduit la dimension d'objet. L'autoérotisme
est un mouvement de jouissance qui signe la recherche en soi de cet objet au
mieux introjecté.
Il
y a ici la création de deux espaces en deux dimensions où va
s'inscrire la dimension pulsionnelle et le sujet lui-même.
La
trajectoire pulsionnelle dont Martine est la résultante, l'oriente dans
la réalité notamment spatiale. Dans cette réalité
spatiale, ne serait-on du côté du voir, donc de la
maitrise ?En effet, l'image du corps, plus précisément
l'image inconsciente du corps il faut des mots, des signifiants qui permettent
le passage de l'imaginaire du corps et du spatial à celui du symbolique
et d'une possible subjectivation de ce corps qui ne devient plus seulement ce
support de jouissance mais peut devenir un lieu de plaisir. En se
décalant du corps en tant que tel, les objets de la pulsion invitent
à une extension spatiale du corps pulsionnel.
Il
n'y a pas la pulsion de mort d'un côté et la pulsion de vie de
l'autre. En effet, il y a intrication des deux, où la pulsion de mort se
lie à la libido. C'est le principe de la rythmicité sur lequel
repose le plaisir qui nécessite l'effet de castration,
c'est-à-dire d'arrêt comme dans la jouissance phallique. Le corps
de l'anorexique se subjective comme un grand phallus, comme objet venant
combler la demande maternel dans le sens où le corps jouit de mourir de
faim (ou de fin). Cette intrication se fait par l'intermédiaire de
l'objet.
* 31 Jeu de mot pour montrer la
force active que déploie Martine pour faire vivre ses symptômes,
les rendre tenaces, vivaces.
* 32 RICHARD.F Les troubles
psychiques à l'adolescence. « Les Topos »
Paris, Dunod, 1998
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