Conclusion
Rappelons une nouvelle fois que le présent chapitre
n'avait pas vocation à l'exhaustivité. Cependant il est
maintenant possible de se faire une idée du genre de débats qui
peuvent animer la biologie. Bien que beaucoup d'aspects théologiques et
métaphysiques du cartésianisme aient été
abandonnés, l'idée de comprendre le vivant comme une machinerie
extrêmement complexe en faisant l'économie de toute
considération spirituelle est clairement partagée par l'ensemble
de la communauté des biologistes. Monod recherche, comme Descartes,
à expliquer la gênante finalité dont témoigne tout
forme de vie par la seule physique. S'il dut subir de vives critiques qui
remirent en cause une bonne part des conclusions métaphysiques qu'il
tirait de sa biologie, aucune de ces critiques ne concerne directement
l'idée de se contenter des causes efficientes pour la
compréhension des phénomènes vivants.
Cela n'est guère surprenant à la lumière
du travail de Descolla. En effet, nous avons pu voir comment certains axiomes
de notre science moderne peuvent être considérés comme
l'expression des principes fondamentaux et ancestraux de l'ontologie
naturaliste. Selon Descolla, le caractère exceptionnel de
l'intériorité humaine, comme l'universelle objectivité de
la nature physique, sont les deux éléments constitutifs de notre
ontologie et, plutôt que d'être des faits réels, on est en
droit de penser qu'il s'agit de filtres culturels à travers lesquels
nous analysons le réel.
Pourtant la science occidentale, outre le caractère
potentiellement relatif de ses postulats ontologiques, témoigne d'une
efficacité descriptive et prédictive laissant à penser
qu'elle est davantage qu'un simple phénomène culturel.
L'évolution et la succession des théories scientifiques, telles
que nous l'enseigne l'histoire des sciences, doivent cependant nous montrer que
les mêmes outils épistémiques peuvent conserver leur
efficacité au sein de diverses théories tout en changeant de sens
ontologique, comme ce fut le cas de la gravitation newtonienne au
vingtième siècle, lors de la construction par Einstein de la
théorie de la Relativité. Reste à analyser dans quelle
mesure les données de la science moderne, et notamment, au sein de la
biologie, la neurobiologie comme l'ethologie, sont formulées dans les
termes du naturalisme et si elles tendent à confirmer ou à
infirmer cette ontologie, ou du moins l'universalité qu'elle s'arroge.
Pour cela nous aborderons successivement ses deux aspects, dans une premier
temps le postulat naturaliste de l'intériorité strictement
humaine et ensuite celui de l'universalité de la nature
matérielle.
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