Conclusion
Les neurosciences peuvent légitimement s'arroger de
grands succès concernant la compréhension du système
nerveux central. Cela peut être considéré comme autant
d'arguments décisifs pour une perspective réductionniste.
Pourtant, pour celui qui admet la matière inanimée comme
composant ultime de la réalité objective, la neurologie n'a
précisé en rien comment une intériorité peut
émerger d'une entité physique. De fait,
l'intériorité qui peut accompagner les outillages neurologiques,
ou autre, de différentes espèces vivantes, n'est pas non plus
éclairée par une vision réductionniste de la
neurobiologie.
La physique elle-même, dans son propre fonctionnement et
indépendamment du problème de la conscience tel qu'il est
posé par la philosophie, développe des difficultés
conceptuelles à maintenir l'idée conventionnelle de
matérialité. Ainsi la théorie quantique nous force certes
à admettre que toutes les entités physiques partagent un
fonctionnement commun mais physique ne signifie plus pour autant
matériel. La science nous informe seulement que les objets des sens sont
composés d'entités au comportement très différent
de ce à quoi notre expérience du macroscopique nous habitue. On
doit admettre que c'est un parti pris ontologique qui nous fait
interpréter les phénomènes physiques en termes de
matière inanimée puisque force est de constater que la science
n'apporte aucune preuve de la nature particulière de l'enveloppe
physique des objets sensibles.
Le système leibnizien est intéressant sur ce
point car il envisage les objets physiques macroscopiques obéissant
à une mécanique efficiente, comme les phénomènes de
la réalité spirituelle du monde constituée par les
monades. Plus encore, Leibniz imagine que des substances analogues à des
âmes doivent composer le monde à partir, entre autre, de la notion
de force qui se dégage de la physique.
Tout porte à croire que l'idée d'une
matière inanimée érigée en substrat de tous les
phénomènes n'a jamais eu que l'apparence d'un constat
scientifique. Tout au plus peut-on considérer cela comme une intuition
qui force l'évidence puisqu'elle tient aux constantes de nos
schèmes de pensée. Mais il faudra alors admettre avec Descolla
que ces schèmes ne doivent pas être abusivement étendus
à toute l'humanité. Certains modes de pensée que
l'ethnographie nous rapporte, n'analysent pas d'emblée les objets des
sens comme une matière inerte. Phénoménologiquement il
s'agit d'évènements dont la nature est l'objet de
spéculation. La science nous permet certes d'en trouver les lois, mais
il ne s'agit pas là des causes premières des choses. Il est donc
abusif de déduire des principes de la physique les principes
fondamentaux du monde. Qu'il soit efficace, pour établir des
prédictions, de définir les objets macroscopiques comme des
portions inanimées d'étendue soumises à des forces
diverses, ne signifie pas que cela soit une description métaphysique du
monde. Et la physique quantique va d'ailleurs dans ce sens puisqu'elle ne
conçoit plus ainsi la réalité des entités physiques
qu'elle étudie. Les lois de la physique ne sont pas d'ailleurs
fondamentalement dénuées de finalité, étant
donné la place équivoque qu'y tient le principe de moindre
action.
La question n'est pas de réfuter les données de
la science, ses succès opératoires étant
indéniables. Seulement il ne faut pas confondre ses postulats
ontologiques et ses conclusions. Que nous préférions, nous
occidentaux, interpréter les données de la physique en termes
matérialistes ne signifie pas qu'il s'agisse là de sa formulation
la plus adéquate. Ce langage tend même à être
proscrit de la microphysique.
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