La République tchèque : analyse de son "retour à l'Europe"( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult Université Lyon 2 - Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication 2007 |
3. Le théâtre : une médiation qui a participé à l'éveil de la conscience nationaleLe théâtre est un exemple assez révélateur de la façon dont s'est constituée l'identité nationale tchèque. Il renvoie à la fois à la langue, au sentiment d'appartenance et à la figure de l' « Autre ». Jusqu'en 1868, les Tchèques partagent avec les Allemands un même théâtre. Puis, ils réclament la construction d'un théâtre national afin de promouvoir leur propre culture et de représenter la dimension collective de leur identité. Cette revendication illustre bien la nécessité pour un peuple de prendre conscience de son appartenance à une même communauté et de la représenter. Pour les Tchèques, le théâtre a effectivement joué ce rôle de miroir social dans lequel la société se montre à elle-même. Nous pouvons donc considérer le théâtre comme une médiation puisque celle-ci se définit comme « l'ensemble des formes et des moyens par lesquels les acteurs individuels s'approprient leurs pratiques sociales et par la mise en oeuvre d'un certain nombre de rites et de formes les structures collectives caractéristiques et fondatrices de la sociabilité »57(*). Ainsi, « le sens finalement de la représentation théâtralisée de la sociabilité, [...] est de rendre possible pour les spectateurs qui y assistent la représentation et l'appropriation des formes du lien social »58(*). C'est donc le théâtre comme médiation culturelle et non les institutions politiques qui a permis aux Tchèques de prendre conscience de leur identité. Il a constitué « une structure de remplacement des institutions politiques »59(*) pour reprendre les termes de Katerina Hala. Si le théâtre a joué un rôle dans la prise de conscience des Tchèques de leur appartenance à une même communauté, il a aussi permis de diffuser la langue dans sa version orale contribuant ainsi à sa protection et à sa vulgarisation. Enfin, il a permis aux spectateurs de s'approprier l'histoire60(*). Par exemple, l'opéra Libue de B. Smetana est joué pour l'inauguration du théâtre national de Prague en 1883. Il célèbre le mythe fondateur de la nation (le mariage de la princesse Libue avec le prince Premysl), puis revient sur les moments marquants de l'histoire nationale tchèque. Pour terminer, nous pouvons mentionner un dernier détail : la devise inscrite sur le fronton du bâtiment est « la nation à elle-même », ce qui confirme l'importance du théâtre dans la constitution de la nation tchèque.
Pour conclure cette partie, nous pouvons préciser que plusieurs auteurs61(*) font état des ambitions politiques de l'intelligentsia tchèque. Le nationalisme tchèque serait alors aussi un nationalisme politique au sens où il viserait à doter la nation d'un Etat. Cependant, nous n'aborderons pas cet aspect qui, à nos yeux, reste secondaire quant à notre problématique de départ. Le politique est moins au coeur de l'identité nationale tchèque que la culture qui représente un enjeu vital62(*). Le phénomène du réveil national est bien une reconquête d'un espace linguistique, littéraire et culturel avant d'être celle d'un espace politique et économique. * 57 LAMIZET, Bernard, La médiation politique, Paris, Editions L'Harmattan, 1998, p. 37 * 58 LAMIZET, Bernard, La médiation culturelle, Paris, Editions L'Harmattan, 2000, p. 59 * 59 HALA, Katerina, Le théâtre tchèque ou petite chronique des passions politiques », exposé présenté lors des journées doctorales « Problématiques centre européennes », 31 mai et 1er juin 2002, Paris IV La Sorbonne, http://www.circe.paris4.sorbonne.fr/rubriques/3colloques/doctorale0/hala.html * 60 Le théâtre national brûla quelques jours avant son inauguration en 1883 et qu'une collecte de fonds fut entreprise pour le reconstruire. K. Hala souligne que toutes les couches de la population ont participé à la reconstruction du théâtre par le biais de cette reconstruction, ce qui révèle bien que le peuple dans son ensemble avait besoin de ce théâtre pour prendre conscience de son appartenance. * 61 MARES, [2005] ; MICHEL, [1995] * 62 MARES, Antoine, « Ruptures et continuités de la mémoire tchèque », Vingtième siècle : revue d'histoire, vol. 36, n°36, 1992, p. 80 ; RUPNIK, Jacques ; MOÏSI, Dominique, Le nouveau continent : plaidoyer pour une Europe renaissante, Paris, Editions Calmann-Lévy, 1991, p. 98 |
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