La République tchèque : analyse de son "retour à l'Europe"( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult Université Lyon 2 - Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication 2007 |
C. L'identité tchèque au XXème siècle et XXIème siècleNous avons choisi d'aborder la question de l'identité nationale tchèque au XXème et XXIème siècle à travers deux thématiques : la confusion entre identité tchèque/identité tchécoslovaque et le problème des Sudètes. Ces deux questions permettent de comprendre le complexe de la petite nation auquel se trouve confrontée la République tchèque en 1993 et les enjeux que soulève l'intégration européenne. 1. La confusion entre identité tchèque et identité tchécoslovaquea) Un malentendu à la base de la construction de la TchécoslovaquieLes traités de paix ratifiés à la fin de la Première Guerre Mondiale ont donné naissance à différents Etats nations dont la Tchécoslovaquie (cf. Annexe n°4). Notre objectif n'est pas de retracer l'histoire de ce pays mais de comprendre comment la nation tchèque s'est définie, une fois les Tchèques intégrés dans un Etat multinational. Dans cette optique, nous nous appuierons principalement sur l'ouvrage de Frédéric Werhlé qui s'est intéressé à l'origine du divorce tchéco-slovaque63(*). Il a notamment montré que les causes de la séparation étaient en germe au moment même de la constitution de cet Etat nation qui ne réunissait pas une mais deux nations64(*) : les Tchèques et les Slovaques. L'union de ces deux communautés différentes à la fois sur les plans économique, culturel, politique et social était une union stratégique, ensuite mythifiée. En effet, « les dirigeants nationaux vinrent à reléguer leur objectif premier - l'indépendance pour la nation dont ils étaient ou se sentaient les représentants - derrière le souci d'assurer la survie de leur communauté »65(*). Les conditions géopolitiques ont donc conduit les Tchèques et les Slovaques à délaisser leur indépendance nationale pour créer un Etat commun, capable d'assurer leur survie. F. Werhlé montre que ces soixante-dix années de vie commune entre les deux communautés se sont construites sur un malentendu. Pour les dirigeants tchèques, inclure les Slovaques dans cet Etat commun était un moyen de contrebalancer le poids de la minorité allemande66(*) mais ils niaient l'existence de la nation slovaque. A l'inverse, les dirigeants slovaques voyaient dans cet Etat la possibilité d'affirmer leur identité nationale et d'être protégé de la domination hongroise. Il est intéressant de noter qu'à plusieurs reprises des hommes politiques tchèques67(*) ont affirmé que la nation slovaque n'existait pas. Les deux peuples ne représentaient que les deux branches d'une même nation, la nation tchécoslovaque. Pourtant, le terme « nation tchécoslovaque » figurait dans la constitution et avait été pensé par Masaryk dans son acception politique. Elle devait réunir des citoyens et « non [pas être] une nation nationale faite des membres des ethnies »68(*). Les dirigeants de ce pays n'ont cependant jamais réussi à forger une nation politique au sens occidental du terme car ni les Tchèques ni les Slovaques n'avaient la volonté de partager leur avenir dans un même Etat. Il manquait donc une condition nécessaire à la constitution de toute nation civique pour que la Tchécoslovaquie soit une nation politique. L'émergence du nationalisme slovaque et la confusion entre l'identité tchèque et l'identité tchécoslovaque sont deux éléments qui permettent d'illustrer l' « absence » de nation civique. * 63 WEHRLÉ, Frédéric, Le divorce tchéco-slovaque : vie et mort de la Tchécoslovaquie 1919-1992, Paris, Editions L'Harmattan, 1994 * 64 C'est pourquoi il qualifie la Tchécoslovaquie d' « Etat binational » car elle réunissait deux communautés aux cultures et aux langues différentes. * 65 WEHRLÉ, [1994], p. 26 * 66 Au moment de la création de la Tchécoslovaquie, la minorité allemande représentait 23% de la population de l'Etat tchécoslovaque. * 67 En 1943, E. Bene, deuxième président de la République tchécoslovaque, déclare : « Vous ne me ferez jamais reconnaître une nation slovaque. C'est ma conviction scientifique je ne changerai pas... je maintiens que les Slovaques sont des Tchèques et que la langue slovaque n'est qu'un dialecte du tchèque... je n'essaierai pas d'interrompre quelqu'un qui déclare lui-même être slovaque, mais je ne permettrai pas qu'il déclare qu'il existe une nation slovaque » cité par WEHRLÉ, [1994], p. 63 ; Masaryk dit également dans les années 30 : « Il n'y a pas de nation slovaque... les Tchèques et les Slovaques sont frères... seul un niveau de développement culturel les séparent [...] en une génération, il n'y aura plus aucune différence entre les deux branches de notre famille nationale » cité par WEHRLÉ, [1994], p. 128. * 68 PITHART, Petr, « L'asymétrie de la séparation tchéco-slovaque » dans Rupnik, Jacques, Le déchirement des nations, Paris, Editions du Seuil, 1995, p. 163 |
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