La République tchèque : analyse de son "retour à l'Europe"( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult Université Lyon 2 - Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication 2007 |
2. Le concept d'identité nationaleLe concept d'identité nationale est également une notion à laquelle de nombreux auteurs se sont intéressés. Nous avons choisi de nous appuyer sur la définition proposée par Anne-Marie Thiesse22(*). L'intérêt de son analyse est d'avoir souligné les diverses composantes de l'identité nationale sans avoir privilégié un élément particulier. a) Naissance et création de l'identité nationalePour Anne-Marie Thiesse, la naissance des identités nationales en Europe se situe autour du XIXème siècle. La formation de l'identité nationale bouleverse les points de repères des individus. Au lieu de s'identifier à un groupe ou à une communauté locale, ils vont désormais s'identifier à un collectif beaucoup plus vaste : la nation. L'identité nationale n'est pas créée ex nihilo mais résulte en partie d'une reconfiguration des identités qui lui préexistaient. C'est ce processus de recomposition/création qui va permettre la naissance des nations, des communautés imaginées. A-M. Thiesse insiste sur ce travail de création qui est à l'oeuvre dans la constitution de l'identité nationale. Il permet de doter la communauté de nouvelles références auxquelles chacun peut s'identifier. En effet, au XVIIIème siècle, il existe peu de points communs entre un paysan et un intellectuel tchèques. C'est la création d'une identité nationale qui va leur permettre d'avoir le sentiment d'appartenir à une même communauté. b) Les composantes de la « check list identitaire »23(*)Pour A-M. Thiesse, toutes les identités nationales se déclinent selon une liste commune : la « check list identitaire » qui regroupe différents éléments. Nous allons les détailler afin de voir à quoi ils renvoient dans le contexte tchèque24(*) : - Les héros : ils sont la première composante de l'identité nationale. Ils incarnent des valeurs nationales et sont choisis parmi toutes les figures importantes de l'histoire de la nation quitte à la réinterpréter. Les héros tchèques sont principalement des intellectuels (K. Havlicek Borovský25(*), Frantiek Palacký26(*), Tomá Garrigue Masaryk27(*)), des religieux (Saint Venceslas28(*), Jan Hus29(*)) et des écrivains dont les ouvrages sont aujourd'hui considérés comme des chefs d'oeuvre nationaux. C'est le cas de Jaroslav Haek, auteur du Brave soldat Chveik, un personnage naïf qui incarne le peuple tchèque, et de Boúena Nìmcova pour son roman La grand-mère. - Le mythe des ancêtres fondateurs : il permet d'expliquer l'origine de la nation. - L'histoire : elle joue un rôle important dans la constitution de l'identité nationale et permet d'établir la continuité d'une nation à travers les siècles. L'élite intellectuelle privilégie certaines périodes, en occulte ou en réinterprète d'autres dans le but d'écrire une histoire glorieuse de la nation. Le règne de Charles IV (1316-1378) est l'une des périodes clés de l'histoire tchèque. Roi de Bohême et empereur du Saint empire romain, son règne est synonyme de prospérité pour les Pays tchèques30(*) à la fois au plan économique, politique et culturel. - La langue : avant d'être nationale, il n'est pas rare que sur un même territoire coexistent des langues différentes parlées ou écrites comme fut le cas en Bohême jusqu'à la fin du XIXème siècle. Les élites prennent en charge l'élaboration d'une langue nationale. Cette mission s'est traduite dans les Pays tchèques par la modernisation de la langue, une production littéraire intense et la création d'associations destinées à diffuser des oeuvres. - Les lieux de mémoire : A-M. Thiesse ne développe pas cette composante de l'identité nationale. Nous pouvons supposer qu'elle renvoie aux lieux qui ont une signification symbolique dans l'histoire de la nation. - Les monuments historiques : la notion de patrimoine naît avec l'élaboration de l'histoire nationale. Certains bâtiments sont associés à l'histoire de la nation et doivent donc être protégés. - Le territoire : il constitue l'un des attributs d'une nation, plus délicat à identifier. Souvent les peuples font valoir des droits de propriétés ancestrales sur tel ou tel territoire qu'ils auraient habité auparavant. Ainsi, tout au long du XIXème siècle, les élites tchèques exigent la reconnaissance des droits de la Couronne de Bohême31(*) pour délimiter le territoire de la nation tchèque. Cette revendication est en partie satisfaite par la création de la Tchécoslovaquie en 1918. - Le paysage typique : il est choisi comme symbole de la nation et représenté dans les oeuvres littéraires et picturales. - Le folklore : l'identité nationale se matérialise au travers des coutumes, des traditions mais aussi dans les costumes populaires propres à chaque région. L'auteur précise qu'en Europe centrale et orientale, les costumes nationaux sont revêtus par toutes les couches de la population lors de bals patriotiques ou de fêtes publiques. - La gastronomie et l'animal emblématique : ils peuvent venir compléter cette liste mais restent secondaires. - La religion : A-M. Thiesse exclut la religion car elle considère que le dépassement des différences religieuses a souvent été à l'origine de la création des nations. Dans certains cas cependant, elle reconnaît que la religion a pu jouer un rôle important comme en Pologne, quand l'identité nationale était affaiblie ou menacée. A l'inverse pour les Tchèques, ce sont des élites laïques et non ecclésiastiques qui ont oeuvré pour l'éveil de la conscience nationale32(*). Cette « check list identitaire » « constitue [...] la matrice de toutes les représentations de la nation »33(*). Il faut préciser qu'aucune des composantes de cette liste n'est mise en avant par l'auteur. Il semble pourtant que ces éléments n'ont pas un poids égal dans la constitution de l'identité nationale du moins en ce qui concerne le peuple tchèque. * 22 THIESSE, [2006], p. 193-226 * 23 Nous reprenons ici l'expression d'Anne-Marie Thiesse. * 24 La littérature disponible en langue française n'est pas suffisante pour développer chacun des éléments. * 25 Ecrivain et journaliste, il a fondé le quotidien Národní noviny en 1848 (journal national). Opposant radical au gouvernement, son journal fut interdit. Déporté à Brixen en 1851, il y est resté pendant quatre ans. * 26 Nous développons le rôle de F. Palacký dans la partie suivante. * 27 D'abord philosophe, il fut ensuite le premier Président de la République tchécoslovaque en 1918. * 28 Assassiné le 28 septembre 929 ou 935, il a consacré sa vie à la diffusion de la foi chrétienne dans les Pays tchèques, il est le premier prince à s'être tourné vers l'Ouest de l'Europe. La légende fait de lui un martyr mort pour la cause du christianisme. Aujourd'hui patron des Tchèques, le jour de sa fête est la journée de l'Etat tchèque. * 29 Condamné à mort pour hérésie le 6 juillet 1415, il a contribué à réformer l'Eglise et sa disparition a déclenché le début des guerres hussites. Figure importante de l'histoire tchèque, il est apprécié non pas pour ses idées religieuses mais pour son courage et sa persévérance. Le jour de sa mort est également un jour national. * 30 L'actuelle République tchèque correspond plus ou moins à l'Etat tchèque apparu à la fin du IXème siècle qui regroupe la Bohême, la Moravie et une partie de la Silésie. Cet ensemble a pris le nom de Pays tchèques, dans BÌLINA, Pavel, ÈORNEJ, Petr et POKORNY, Jiøí (dir.), Histoire des Pays tchèques, Paris, Editions du Seuil, 1995, p. 27 * 31 En 1348, Charles IV fixe les limites de l'union des Etats tchèques qui composent l'entité juridique appelée pays de la Couronne de Bohême ou Couronne tchèque. Ce terme englobe les territoires placés sous la souveraineté de Charles IV, roi de Bohême et regroupe : le royaume de Bohême proprement dit, la Moravie, la principauté de Silésie, la Haute et la Basse Lusace ; dans BÌLINA, ÈORNEJ et POKORNY (dir.), [1995], p. 83 * 32 Certains héros tchèques sont des religieux mais leur importance n'est pas liée à leur appartenance religieuse. Ils sont reconnus pour le rôle qu'ils ont joué dans la défense de la nation. C'est le cas de Jan Hus. * 33 THIESSE, [2006], p. 197 |
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