B: EN PRÉSENCE D'UN ENGAGEMENT UNILATÉRAL
L'obligation naturelle vient supplééer l'absence
d'obligation alimentaire entre concubins, en permettant d'obliger celui qui
s'est engagé à verser à l'autre une part de ses revenus
à exécuter sa promesse.238
En présence d'un engagement exprès, pris par
écrit par l'un des concubin, de verser à l'autre une certaine
somme en guise de dommages et intérêts, l'obligation naturelle est
transformée en obligation civile239.
En effet, cet engagement unilatéral de volonté
engage irrévocablement son auteur, si son consentement n'a pas
été vicié.
Peu importe que l'engagement soit formellement
irrégulier, du moment que celui qui s'est engagé l'a fait de
manière claire et sans équivoque240.
Ainsi, le recours à la notion d'obligation naturelle
permet de dépasser l'irrégularité d'un engagement dans sa
forme, à partir du moment où son auteur ne peut contester
sérieusement sa volonté initiale de subvenir aux besoins du
concubin ou partenaire abandonné.
Le bénéficiaire de cet engagement peut donc
demander l'exécution forcée de cette obligation naturelle en
justice, car elle est devenue juridiquement sanctionnable en raison de
l'engagement pris, indépendamment de l'état de besoin du
bénéficiaire.241
Les juridictions de fond apprécient souverainement
l'existence d'un engagement au regard des circonstances de l'espèce,
pour déterminer si une obligation naturelle a été
transformée en
237 J. MASSIP, art. préc., Defrén.
n° 10/2002, art. 37548, p 681.
238 M. MATHIEU, art. préc., jurisclasseur nouveaux couples
nouvelles familles, fasc. 120, 2005.
239 V. LARRIBAU-TERNEYRE, « Où l'obligation naturelle
vaut mieux que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause »,
Dr. fam. février 2006, obs. N° 24.
240 V. LARRIBAU-TERNEYRE, art. préc., Dr. fam.
février 2006, obs. N° 24.
241 Nancy, 11 avril 2005, JCP G février 2006, IV,
1255.
Dans un arrêt rendu le 17 novembre 1999, la
première chambre de la Cour de cassation a dû se prononcer sur la
qualification d'une offre faite par le concubin auteur de la rupture à
lautre242. Celui-ci s'était engagé par écrit
à laisser son ex-compagne occuper un immeuble lui appartenant, sa vie
durant et à verser une pension d'une durée et d'un montant
précis.
Souhaitant revenir sur sa décision, il sollicite
l'expulsion de son ex-concubine en affirmant avoir retiré son offre
avant que cette dernière ne l'ait acceptée
.
La Cour de cassation, pour rejeter cette demande, se fonde sur
l'existence d'une obligation naturelle, novée en obligation civile par
l'engagement pris243.
Ainsi, la notion d'obligation naturelle permet aux juges
d'écarter le droit commun des contrats, qui n'aurait pas
été source d'obligation. De plus, elle permet de donner force
obligatoire à l'acte émis par le concubin
.
C'est à l'issue d'une appréciation
circonstanciée que les juges ont pu reconnaître l'existence d'une
obligation naturelle, novée en obligation civile par l'engagement
litigieux.
En l'absence d'écrit, les juges du fond doivent
apprécier la nature des versements d'argent effectués par
l'auteur de la rupture à l'autre
.
La volonté de subvenir aux besoins de l'autre, sans
limitation de durée, doit être dénuée de toute
ambiguïté et un commencement d'exécution ne suffit pas
à caractériser la novation d'une obligation naturelle en
obligation civile.244
Ainsi, les versements déjà effectués ont
pu être qualifiés par les juges d'exécution d'un devoir de
conscience, paralysant toute demande de répétition.
En revanche, l'absence d'écrit et de volonté de
l'auteur des versements de les poursuivre n'a pu permettre de constater la
novation de l'obligation naturelle, du concubin auteur de la rupture, envers la
victime, en une obligation civile.
Ainsi, le recours à la théorie de l'obligation
naturelle ne peut permettre systématiquement au concubin
abandonné d'obtenir une certaine réparation de la part de
l'auteur de la rupture
.
En effet, si ce dernier n'a pas entendu exécuter son
obligation naturelle, celle-ci ne peut être novée en obligation
civile et n'est donc pas juridiquement sanctionnable
.
Force est cependant de constater que les solutions
jurisprudentielles reposent surtout sur la morale et l'équité
afin de porter secours au concubin ou partenaire démuni245.
242 S. CHASSAGNARD, art. préc., JCP G janvier 2001,
II, 10458.
243 S. CHASSAGNARD, art. préc., JCP G janvier 2001,
II, 10458.
244 Cass. 1e civ, 23 mai 2006, Dr. fam. Juillet 2006, obs.
n° 142.
245 A. BOLZE, art. préc., Dr. fam. mars 2001,
chron. p 9.
L'application des techniques objectives et subjectives de
liquidation des intérêts des concubins et des partenaires permet
de résoudre, du mieux que le permet le droit commun des obligations et
des contrats, les difficultés liées à l'absence
d'organisation légale des intérêts pécuniaires des
concubins et dans une moindre mesure, des partenaires d'un
PACS246.
Les techniques de droit commun ne se révèlent
cependant pas très adaptées au règlement des
intérêts pécuniaires des concubins et des partenaires.
En outre, certains auteurs soulignent un forçage du droit
commun247 réalisé par les juridictions de fond pour
rendre des décisions plus équitables en faveur des concubins.
Notamment, la qualification de la faute s'agissant de la responsabilité
civile délictuelle relève de subtilités techniques, voire
d'artifices, tant la notion de préjudice prévaut entre concubins
et partenaires.248
La Cour de cassation veille néanmoins au respect des
principes, réaffirmant régulièrement que les conditions
d'application des techniques de droit commun doivent être réunies
pour être applicables aux concubins.
Pour une partie de la doctrine, il est urgent de remédier
à l'imprévisibilité des effets de la rupture,
engendrée par l'application aléatoire des techniques de droit
commun.249 Il serait en effet judicieux de prévoir un
encadrement légal minimum des effets de la rupture du concubinage et du
PACS, qui tienne compte de la réalité quotidienne des couples non
mariés250.
À la rupture, ces couples se retrouvent aux prises avec la
liquidation d'une communauté de fait, née de l'inévitable
confusion des patrimoines engendrée par la vie commune et de
l'impossibilité de déterminer une propriété
exclusive sur l'intégralité des biens. Bien que les concubins
n'aient pas souhaité organiser leur situation par le mariage, il
conviendrait de prévoir certaines règles de liquidation de leurs
intérêts patrimoniaux, ainsi que pour les partenaires. Ceci
éviterait le règne de la loi du plus fort dans les relations
entre ex-partenaires ou concubins.
Il serait par ailleurs possible, sans règlementer
légalement la liquidation des intérêts patrimoniaux des
partenaires et des concubins, de prévoir des dérogations aux
règles de preuve de droit commun, ainsi qu'aux conditions strictes
d'existence de certains contrats ou obligations, en présence de
concubins ou de partenaires d'un PACS.
C'est au législateur qu'il appartient de décider
de l'opportunité de telles mesures, bien qu'il faille remarquer la
tendance des juges du fond à assouplir les conditions de preuve ou
d'existence des obligations en présence d'un concubinage ou d'un PACS,
ce que la Cour de cassation vient régulièrement sanctionner.
246 Paris, 29 octobre 2004, AJ famille janvier 2005,
jurisp. p 29.
247 A. PROTHAIS, art. préc., JCP N 1991, doctr. p
87.
248 A. PROTHAIS, art. préc., JCP N 1991, doctr. p
87.
249 C. PERNEL, art. préc., Dr. patr. juin 2001,
pratique p 44. 250 C. PERNEL, art. préc., Dr. patr. juin 2001,
pratique p 44.
|