B: INTERPRÉTATION STRICTE DE SES CONDITIONS PAR LES
JUG ES
La Cour de cassation n'a de cesse de rappeler que l'action de
in rem verso ne peut servir à pallier l'absence de textes
règlementant la liquidation des rapports patrimoniaux entre concubins.
Ainsi, elle répète régulièrement que les
dépenses quotidiennes effectuées en contribution à la vie
commune sont définitivement à la charge de celui qui les a
exposées.184
Une partie de la doctrine a souligné que le
raisonnement appliqué par les juges est dérogatoire au droit
commun quand l'enrichissement sans cause est invoqué par un concubin
à l'encontre de l'autre.185
En effet, la cause de l'enrichissement est traditionnellement
définie comme le titre juridique, conventionnel ou légal,
susceptible d'expliquer et de justifier l'enrichissement.186
Néanmoins, pour écarter l'application de
l'enrichissement sans cause aux espèces qui leur sont soumises, les
juges estiment en général que l'appauvrissement a trouvé
sa cause dans la contrepartie dont le concubin a bénéficié
durant la vie commune, qui est généralement l'hébergement
gratuit.187
Ainsi, la cause n'est pas recherchée dans
l'opération même constitutive de l'appauvrissement
179 La rupture des unions libres, collection encyclopédie
Lamy droit civil- droit des personnes et de la famille, étude
n° 380, 2006.
180 Cass. 1e civ, 8 décembre 1987, Bull. Civ. I,
n° 335.
181 Cass. 1e civ, 15 octobre 1996, Bull. Civ I,
n° 357.
182 Paris, 29 novembre 2002, D. 2003, Obs. J.J. Lemouland,
p 1939.
183 P. VOIRIN, G. GOUBEAUX, Op. Cit. p 450.
184 Cass 1e civ, 28 novembre 2006, revue Lamy droit civil
février 2007, n° 2406,
185 G. KESSLER, « Concubinage et enrichissement sans cause
», Gaz. Pal. Octobre 2004, p 11; H. LÉCUYER, « Une
conception élastique de la condition d'absence de cause », Dr.
fam. janvier 2001, obs. n° 3 p 18.
186 G. KESSLER, art. préc., Gaz. Pal. octobre 2004,
p 11
187 H. LÉCUYER, art. préc., Dr. fam. janvier
2001, obs. n° 3 p 18.
et de l'enrichissement, elle est trouvée hors
d'elle.
Par conséquent, les travaux effectués dans le
logement de l'autre, et le prêt effectué pour améliorer ce
logement, remboursé par le non propriétaire, ne sont pas
appréciés en eux- même, pour relever l'appauvrissement de
l'auteur de l'opération et l'enrichissement corrélatif du
propriétaire du logement.188
Ces opérations sont appréciées au regard
d'éléments extrinsèques, que sont l'ensemble des relations
patrimoniales existant entre les concubins.
Cette méthode d'appréciation adoptée par
les juges leur permet alors, par équité, de refuser
l'indemnisation de celui qui a logé gratuitement dans l'immeuble de
l'autre et y a effectué des travaux.
La cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 2 avril
1999, distingue d'ailleurs les simples dépenses d'agrément des
travaux de ravalement189.
Les premières sont destinées à
améliorer le cadre de vie de celui qui les a engagées, et ne
justifient pas un remboursement en raison de l'hébergement gratuit, qui
constitue la contrepartie190.
De plus, l'aléa que comporte le concubinage, union
précaire, ne permet pas au concubin auteur des dépenses d'en
réclamer le remboursement191.
Les secondes, en revanche, qui n'apportent aucune
amélioration aux locaux et pèsent sur le propriétaire,
font exception à la règle.
En effet, les dépenses de remise en état
excèdent la contribution normale à la vie commune, et ce sont ces
dépenses exceptionnelles qui ont vocation à ouvrir droit à
une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans
cause192.
Bien que les concubins n'aient aucune obligation de contribuer
aux charges de la vie commune, la jurisprudence distingue donc deux types de
dépenses.
Les premières, dépenses d'agrément
faisant partie de la contribution du non propriétaire à la vie
commune, n'ouvrent pas droit à remboursement lorsqu'elles ont
trouvé une contrepartie, tel que l'hébergement gratuit.
En revanche, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt
rendu le 23 octobre 2003, a jugé que les travaux réalisés
par le concubin non propriétaire étaient sans cause dans la
mesure où il n'a bénéficié d'aucune
contrepartie193.
En effet, il versait un loyer mensuel conséquent
à sa concubine, et n'était pas animé d'une intention
libérale en accomplissant ces travaux, comme en témoignent les
factures qu'il a gardées. De plus, par leur ampleur, les travaux
dépassaient une simple contribution aux charges de la vie commune.
Par conséquent, l'absence de cause a permis à
l'auteur d'être dédommagé, une partie de la doctrine
soulignant cependant qu'une fois de plus, la règle du double plafond n'a
pas été
188 H. LÉCUYER, art. préc., Dr. fam. janvier
2001, obs. n° 3 p 18.
189 Paris, 2 avril 1999, D. 1999, jurisp. p 379.
190 Paris, 13 mars 1997, Dr. fam. 1997, obs.
n° 171
191 Paris, 2 avril 1999, D. 1999, jurisp. p 379.
192 Grenoble, 24 octobre 1990, Juris-Data n°
051656.
193 G. KESSLER, art. préc., Gaz. Pal. octobre 2004,
p 11; Pau, 17 décembre 2001, Juris-Data n°
2001-175603
appliquée194.
L'indemnisation a été calculée, en effet, en
tenant compte de l'appauvrissement du concubin.
Les secondes, dépenses exceptionnelles,
dépassant la simple contribution à la vie commune, sont prises en
compte au titre de l'enrichissement sans cause du propriétaire, qui en a
bénéficié.
En poursuivant ce raisonnement, l'on peut admettre qu'un
partenaire se fondant sur l'enrichissement sans cause pour obtenir
remboursement du premier type de dépense ne pourra voir sa demande
aboutir, la contribution aux charges de la vie commune entre partenaires
étant prévue par l'article 515-4 du code civil.
Ainsi, c'est sur ce fondement que le partenaire qui ne veut
pas supporter définitivement la charge des travaux devra en demander
remboursement.
En revanche, en cas de travaux de ravalement, qui
dépassent la contribution aux charges de la vie commune, il pourra
intenter une action sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
L'utilisation par les juges de la cause contrepartie leur permet
de rejeter des actions en se fondant sur l'équité, ce qui peut
conduire cependant à une jurisprudence peu lisible. En effet, dans un
arrêt rendu le 16 juin 1998, la première chambre de la Cour de
cassation a affirmé que l'hébergement gratuit d'une personne par
son concubin, dans le cadre de leur vie commune, ne peut donner lieu au
versement d'une indemnité d'occupation195.
Le propriétaire de l'immeuble ne peut donc demander une
telle indemnité sur le fondement de l'enrichissement sans cause, le
concubinage faisant présumer son intention libérale en l'absence
de convention particulière.
Pourtant, force est de constater que les juges refusent
d'indemniser sur le fondement de l'enrichissement sans cause des travaux
effectués dans le domicile du concubin, si celui-ci a
hébergé gratuitement l'auteur des travaux.
L'hébergement gratuit sert ici de cause, contrepartie
aux travaux, empêchant le jeu de l'enrichissement sans cause, mais peut
aussi être considéré comme une intention libérale,
comme dans l'arrêt précédent, et empêcher
également la mise en oeuvre de l'enrichissement sans cause.
Un auteur a émis l'hypothèse que la prise en
compte de l'hébergement gratuit comme contrepartie pour faire
échec au remboursement de travaux d'agrément sous entendait un
raisonnement plus cohérent196.
Les travaux d'agrément effectués par le concubin
non propriétaire dans le logement de l'autre l'ont été
pour améliorer son propre cadre de vie. Il a donc agit dans son
intérêt personnel, tout en améliorant le logement du
propriétaire.
Or, l'enrichissement sans cause ne peut être
invoqué par la personne qui a effectué une dépense, ou des
travaux, dans son intérêt, car l'enrichissement de l'autre a alors
une cause, qui est l'intérêt de l'appauvri197.
Cette interprétation permet de justifier que le concubin
qui a été hébergé gratuitement par
194 G. KESSLER, art. préc., Gaz. Pal. octobre 2004, p 11;
Pau 17 décembre 2001, Juris-Data n° 2001-175603
195 A. BÉNABENT, « principe de l'hébergement
gratuit entre concubins », Dr. patr. octobre 1998, jurisp. p 84.
196 G. KESSLER, art. préc., Gaz. Pal. octobre 2004,
p 11
197 G. KESSLER, art. préc., Gaz. Pal. octobre 2004,
p 11
l'autre ne lui doit aucune indemnité d'occupation,
tandis que celui qui a effectué des dépenses d'agrément
dans le logement de l'autre ne peut être dédommagé car il
les a effectuées dans son intérêt.
En outre, une demande fondée sur l'enrichissement sans
cause ne peut être accueillie si l'enrichissement ou l'appauvrissement
ont disparu au jour de l'action, leur caractère définitif
étant essentiel pour que l'action prospère.198
Ainsi, l'achat d'un véhicule par l'un des concubins
avec des deniers issus d'un plan épargne logement commun aux deux
concubins ne peut fonder l'action en enrichissement sans cause de la
concubine
.
En effet, le véhicule est un bien qui se
déprécie rapidement, l'enrichissement du concubin étant
à la date de l'action inexistant, l'action de in rem verso ne peut
prospérer.
Ainsi, seules les dépenses exceptionnelles peuvent
justifier l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause
.
La collaboration bénévole de l'un des concubins ou
partenaires à l'activité de l'autre peut aussi justifier
l'exercice de l'action de in rem verso, quand cette collaboration s'apparente
à un travail à plein temps ayant empêché ce concubin
de poursuivre une autre activité.199 C'est donc le
critère de l'excès à la contribution aux charges de la vie
commune qui justifie qu'une collaboration ou des travaux soient
indemnisés200.
De ce fait, la technique de l'enrichissement sans cause ne permet
au concubin ou partenaire qui l'invoque que d'obtenir une indemnisation pour
les actes dépassant le cadre normal de la
Au delà de la demande d'indemnisation que peut effectuer
un concubin ou un partenaire, à la rupture, pour obtenir un
rééquilibrage des patrimoines, celui-ci peut aussi demander
réparation en raison de la rupture elle-même et de
ses conséquences à son égard
.
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198 Bourges, 3 juin 2002, Dr. fam. décembre 2003,
com. n° 140 p 18.
199 Cass. 1e civ, 15 octobre 1996, Bull. Civ I,
n° 357.
200 Aix en Provence, 30 mai 2006, Juris-Data n°
2006-311475.
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