Classification des interventions dans Radio libre
Il serait souhaitable, pour une première
appréhension scientifique du contenu de l'émission Radio
libre, d'effectuer une classification.
La subjectivité du chercheur peut lui faire envisager de
nombreuses façons d ifférentes cette catégorisation.
L'analyse de contenu doit toutefois obéir à des
règles. Comme le définit Laurence Bardin, l'analyse de contenu
répond à un désir de rigueur et un besoin de
découvrir1. L'analyse
quantitative/catégorielle contre intuition nous permettra, dans un
premier temps, de traiter le tableau de prise de note de chaque séquence
de l'émission concernant un sujet (cf. annexe). Nous ferons ainsi
apparaître, par un enregistrement systématique des
séquences, un catalogue qui nous permettra de trouver une logique de
classement catégoriel et pourrons définir un corpus plus
restreint selon des termes de pertinence, de légitimité et de
représentativité de notre sujet.
Nous nous référerons donc dans un premier temps
à l'enregistrement de toutes les séquences concernant les
problèmes des auditeurs dans Radio libre. Puis, après en
avoir dégagé des statistiques, nous concentrerons notre corpus
sur notre sujet, qu'il nous faut bien commencer par définir.
Une définition de l'intolérance comme
sujet
Tout d'abord, pourquoi s'intéresser à
l'intolérance comme thématique d'entrée pour questionner
la solidarité qui s'organiserait dans l'émission Radio libre
?
S'il s'avère, à la première écoute
de l'ensemble des émissions d'une saison que la promesse de
solidarité avec les auditeurs semble respectée (parfois
très concrètement, en proposant, par exemple, un abri à un
auditeur qui s'est retrouvé, pour une raison ou une autre, à la
rue), comment en découvrir le fonctionnement, les valeurs, en
évaluer le sérieux, en révéler la fiabilité
du discours...
Certains problèmes d'auditeurs s'avèrent
objectivement plus grave que d'autres, lorsque par exemple il s'agit de
certains cas de maternité non souhaitée, de problèmes de
justice, de violence, de santé... mais comment leur trouver un trait
commun, une cohérence à étudier ? Le degré de
gravité d'un même thème (la contraception par exemple) peut
être plus ou moins lourd ; la variété des thèmes
1 Laurence Bardin, L'analyse de contenu, Paris, Puf,
2003, p31.
est très large (du problème de couple, de
première fois, à la santé, l'école... toute la vie
sociale d'un jeune public en définitive).
En réfléchissant à la façon
d'interroger l'énorme corpus dont je disposais, j'ai pensé tout
d'abord nécessaire de dresser une classification des sujets pour ensuite
en dégager les questionnements qui permettraient de trouver une
entrée pertinente pour le travail de ce mémoire.
Le regroupement des sujets par thème ne s'avère
pas globalement pertinent. Les contraintes de l'analyse de contenu visent
notamment à rassembler les données en de grands groupes
homogènes sans laisser d'orphelins. A classer par thèmes (par
exemple « santé », « justice », « sexe »,
« examens », « amour », « couple », «
maternité », « dispute », « adultère
»...), il y aurait soit trop de thèmes orphelins, soit trop
d'approximation dans les regroupements (les amours et le couple, le sexe et
l'amour ou le sexe et la contraception...) Et quid des sujets multiples ?
S'il apparaît globalement que les sujets environnent
souvent l'amour et ses interrogations, la jungle des thématiques que ces
questionnements arrosent est, à la lecture des intitulés des
sujets (colonne 5 de l'annexe), bien trop vaste et riche pour pouvoir
définir des catégories pertinentes par thèmes.
Le schéma d'une autre réflexion est
nécessaire pour envisager des questionnements plus clairement, plus
sereinement, avec fiabilité et pertinence.
Comme nous pouvons le constater des intitulés des
problèmes, l'auditeur est toujours placé en tant qu'individu au
centre d'une galaxie d'interlocuteurs. La vision que nous pouvons adopter, en
hypothèse, pour appréhender ces recherches découle de ce
simple constat. En voici le schéma qui veut présenter l'individu
auditeur appelant au centre, tout en présentant une globalité
simple des sujets abordés dans l'émission.
(Voir schéma 1 page suivante)
SCHEMA 1 / l'auditeur-individu au centre d'une galaxie
d'acteurs sociaux
Administrations
Famille
(Ecole, police, entreprise...)
Amitiés
Individu
Amours
Les quatre groupes d'agents sociaux ici distingués
entrent tour à tour, ou parfois ensemble en relation avec l'individu
(l'auditeur). On peut ainsi se figurer chacun des sujets pour lesquels ce
dernier en appelle à la solidarité à l'antenne comme une
rupture dans le contrat social adopté implicitement par l'individu.
Quelle solidarité ? Une communauté d'auditeurs
et des animateurs plus expérimentés possèdent des
réponses à ces ruptures vécues comme des crises par
l'auditeur appelant. On téléphone au standard de Skyrock pour y
faire appel. Moins isolé, on en attend des réponses qui
pourraient aider à faire en sorte de rétablir les liens
sociaux.
Le choix de cette conception permet donc non seulement la
figuration d'un système global clair, mais propose aussi une vision en
relation avec la « vie réelle », au delà du temps de la
radio, pour se préoccuper de l'auditeur en tant qu'individu et
créer des ponts entre l'analyse du discours et les préoccupations
d'une jeunesse dans une société.
Les questions d'identités donneront saveur à
cette vision, en développant des figures et en s'interrogant sur leur
légitimité et celle de leurs conseils, avis, recommandations,
basées pour l'essentiel, nous le verrons, sur les expériences
individuelles qui sont partagées dans cette entreprise collective. Une
tentative d'entraide que nous avons appelé skysolidarité,
empruntant ce terme de l'usage qui en est largement fait dans Radio
libre.
Alors pourquoi s'intéresser à l'intolérance
comme cela était notre interrogation en début de ce chapitre ?
Parce que l'intolérance en tant qu'angle
d'interrogation dans le schéma que nous avons défini peut
s'avérer être la mise à l'épreuve la plus
périlleuse -et donc révélatrice- pour l'analyse du
fonctionnement d'une certaine solidarité.
Quelle(s) intolérance(s) dans l'intervention d'un
auditeur qui semble la vivre ? Victime ou -pourquoi pas- bourreau, il ou elle
en souffrirait assez pour avoir la démarche de faire appel à
l'aide proposée par le dispositif de l'émission Radio libre.
Il ne s'agira donc pas de considérer les querelles de couple ou
autres sujets dans lesquels un manque de compréhension, de respect ou de
tolérance pourrait prendre place, mais bel et bien de considérer
les seuls sujets où l'intolérance est la raison de la crise que
connaît l'auditeur appelant.
« Les institutions permettaient en principe la
discussion et la négociation [... ] Une société globale de
plus en plus diversifiée et en même temps de plus en plus
condamnée à la solidarité par l'expansion industrielle
opte pour une idéologie de la tolérance. Idéologie de la
douceur ou idéologie doucereuse ? » questionne Bernard
Guillemain dans l'Encyclopedia universalis (édition 2005).
Si l'individu apparaît souvent isolé, la
solidarité semble être une valeur dont il a, à tout le
moins, parfois besoin.
Les sujets qui nous concerneront et qui feront donc l'objet d'un
second corpus sont quelquefois individuels (au sens où ils ne prennent
pas une dimension plus
large que celle exposée par l'auditeur. Exemple :
« une fille s'incruste dans notre groupe et nous saoule »), et la
plupart du temps plus lourds, prenant très souvent une dimension
politique. Il s'agit des sujets concernant l'intolérance religieuse,
ethnique, le racisme purement et simplement, ou encore l'homophobie.
Quelles seront les réponses des acteurs de la
skysolidarité à chacune de ces questions ? Quel discours
est construit et comment ? C'est ce que nous verrons.
Quant à pourquoi ne pas se focaliser sur un seul de ces
sujets (comme l'homophobie ou le racisme seulement), j'argumenterais qu'outre
le peu d'intérêt que je porterai à une étude de
genre ou communautaire, le traitement de plusieurs sujets différents
permet ici de se focaliser non sur l'un d'entre eux mais sur le fonctionnement
de la skysolidarité qui les transcende. Et c'est
précisément ici notre propos.
Le corpus peut se réduire autrement.
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