Conclusion
--- Bilan du parcours et de l'expérience de
la recherche
Notre corpus, en s'affinant peu à peu, nous a conduit
à retenir des sujets parmi les plus éprouvants pour ce que nous
avons défini, en l'empruntant au vocabulaire de Radio libre,
comme skysolidarité. Nous n'avons pas arrêté
notre choix au seul traitement des sujets concernant le racisme, l'homophobie,
ou la raideur traditionnelle-religieuse : le projet était d'interroger
la skysolidarité ellemême, son fonctionnement à
rude épreuve, non faire une étude de genre ou sur un thème
de société ciblé. Face au racisme, à l'homophobie
et aux intolérances qui touchent à l'identité des
auditeurs comme jeunes adultes en construction ou à leurs choix de vie,
comment s'organise l'entraide à la base du contrat de communication de
l'émission, quelles valeurs gouvernent les conseils prodigués
à l'antenne ?
Nous avons parcouru l'itinéraire de ces jeunes qui ont
recours chaque soir à la solidarité proposée dans un
espace radiophonique pour résoudre leurs problèmes. Comme une
grande partie de la génération actuelle d'adolescents et de
jeunes adultes, ces jeunes s'inscrivent dans différentes cultures, ont
des origines sociales ou ethniques diverses, des religions différentes.
En quête de liberté, ils subissent parfois les tensions issues de
ce multiculturalisme, des communautarismes et celles que connaissent tous les
adolescents avec leurs parents. La plupart du temps vivant sous leur toit, ils
sont confrontés à leur regard et leur jugement alors qu'ils
s'émancipent pour entrer dans l'âge adulte.
Pour y parvenir, ils ont besoin de repères, d'adultes
à qui ils reconnaissent une véritable légitimité.
Le rôle est devenu malaisé pour leurs parents qui parviennent
difficilement à créer ce lien électif avec leur
progéniture qui construit son identité propre, autonome, en
obéissant à d'autres codes. En outre, dans les sujets que nous
avons retenus, ce sont les parents eux même qui sont à l'origine
du mal-être des auditeurs. C'est donc ailleurs, vers d'autres, qu'ils
vont se tourner pour tenter de créer un lien social nécessaire
à leur épanouissement. Naturellement vers de la famille, un
frère, une soeur, ou des amis. Mais que se passe-t-il lorsque personne
ne sait partager avec eux leurs identités qui peuvent paraître
singulières ou leurs choix de vie qui ne correspond pas à
l'idéal familial ?
Ils sont trois millions chaque soir à écouter
Radio libre, à s'inscrire dans une communauté où
l'on vient se confier pour essayer de trouver une solution à ses
problèmes, dans un espace où s'est construite, en huit
années, une légitimité propre à la confidence. Nous
avons défini cette légitimité par la figure du grand
frère, incarné par Difool. Un personnage reconnu comme un pair,
qui parle le même langage, qui affiche partager des préoccupations
communes.
Nous avons dessiné une architecture des grandes phases
du processus de skysolidarité. Après l'exposé du
problème, l'équipe de l'émission évalue la
situation de l'auditeur. Le dialogue est-il encore possible, un proche peut-il
l'aider, quelles alternatives peuvent, à ce moment, se proposer à
lui ? Vient ensuite le temps du partage des expériences, au centre du
dispositif de l'émission. Les animateurs -certains encore au
lycée- expriment leurs points de vue sur la situation de l'auditeur et
les réactions, les attitudes qu'ils ont eues s'ils l'ont connue. Les
auditeurs aussi participent à cette construction : par SMS, par mails
dont Difool lit une sélection, ou directement à l'antenne, par
téléphone. On tente enf in une synthèse.
Cette grande structuration permet de faire apparaître
une logique fonctionnelle mais l'analyse voulait que l'on s'intéresse
aussi au contenu du discours, aux valeurs qui gouvernent la conversation qui
s'établit dans l'émission. Si sur d'autres sujets, la position de
l'équipe, suivie par l'ensemble de la communauté, peut être
plus modérée, elle ne transige pas sur les questions
d'intolérance. Le racisme et l'homophobie sont combattus, comme tout ce
qui freinerait la liberté individuelle en portant atteinte à la
construction de l'individu : son identité profonde, le choix de la
personne qu'il aime.
S'il est une chose primordiale dans le processus de la
skysolidarité, c'est la revendication d'un « total respect
», promesse de l'émission érigée en slogan et
définitivement installé en première ligne du contrat de
communication. Il s'agit alors, pour les sujets que nous avons traités,
de ne pas transiger sur le respect des identités de chacun ou de la
liberté de ses choix amoureux.
Si la couleur de la peau du petit ami déplait aux
parents, c'est à eux de changer, pas à l'auditeur. « En 2004
», l'homosexualité n'est plus depuis longtemps une
marginalité ni un comportement déviant, même si cela peut
encore « choquer » certains de ceux qui appartiennent à une
autre génération, le dialogue est en premier lieu
prôné pour résoudre tous les conflits. Le sérieux
d'une relation peut donner raison à un argumentaire.
Mais en cas de frilosité aggravée des parents
à certains sujets, rien n'oblige à partager avec eux certains
points de sa vie privée s'il n'est pas possible d'espérer un
équilibre nécessaire à l'épanouissement et la bonne
pérennité du lien familial dont l'importance, si elle se place
après les choix de l'individu, est sans cesse rappelée. Que ce
soit en restant discret ou en prenant le large et en marquant une rupture pour
s'émanciper seul ou en couple si la cellule familiale ne sait pas
s'adapter au choix d'un enfant devenu jeune adulte, la distanciation est
envisagée comme l'alternative à l'affrontement permanent et
stérile, pour respecter un équilibre personnel. Il existe des
moyens pour permettre de s'assumer en jeune majeur libre, pour lesquels
certains auditeurs ont opté. Sans que le lien social familial ne soit
jamais rompu de façon rédhibitoire.
On partage alors les expériences de chacun, et lorsque
la situation est des plus précaire, comme ce fut le cas de cette jeune
auditrice enceinte et à la rue par grand froid (dernier sujet du corpus,
retranscriptions de la page 98 à la page 104), on étale des
solutions très concrètes auxquelles les auditeurs seront partie
prenante : un ambulancier à l'écoute de l'émission la
conduira chez deux pétillantes colocataires qui l'hébergeront et
l'assisteront dans ses démarches administratives pour lesquelles
l'animatrice a élaboré un plan opérationnel.
Au-delà de l'entraide, le discours érige
certaines valeurs : le dialogue, la condamnation de toute discrimination, la
défense d'un lien social qui respecte la liberté de
l'individu.
Le discours développé par la
skysolidarité construit une norme dont le respect de chaque
individualité est à la base. Nous avons défini comme
apologie du
métissage culturel l'obstination à exalter la
beauté de la cohabitation et du mélange des différences en
opposition aux réactions de peur, voire d'hostilité.
Le moment radiophonique constitué par Radio libre
peut se définir ainsi comme un espace social alternatif
superposé à ceux de la vie « réelle » pour les
suppléer un temps en tentant d'aider à renouer les liens qu'ils
entretiennent avec un individu (jeune adulte auditeur) résolument
placé au centre du schéma social et qui doit selon le discours de
la skysolidarité commencer par s'assumer lui-même en ne
laissant pas le racisme ou l'homophobie porter atteinte à sa
liberté. L'animateur de l'émission jouit à cet effet de la
légitimité de la reconnaissance d'un pair, d'un grand
frère.
Skyrock est une radio commerciale qui a trouvé comme
positionnement avantageux pour son émission Radio libre
d'assumer une mission d'entraide et de solidarité autour des
thèmes qui préoccupent la jeunesse ciblée. Ou la
construction d'un vivre ensemble dans le respect des individualités pour
ses auditeurs, entre eux, et avec le monde.
Comme j'avais pu penser que la recherche universitaire avec un
pied en entreprise pouvait se conjuguer en apportant à l'une comme
à l'autre, on peut, selon un certain regard, exprimer que Skyrock fait
d'une mission de service public une réussite commerciale.
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