Le « grand frère », repère
légitime
Si Radio libre trouve son succès dans sa forme
comme nous l'avons, en partie, décrite, le rôle qu'y jouent les
animateurs, à développer le discours tel que nous l'avons
observé, est singulier. Nous pouvons l'appréhender par la figure
du « grand frère », à la fois au dessus et à
l'intérieur du schéma social que nous avions dressé en
partie préliminaire. Dans les cités notamment -c'est ici que
notre observation trouvera tout son propos et sa pertinence- comme plus
1 François de Singly, Les uns avec les autres, quand
l'individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin, 2003, 268
pages.
largement dans le vocabulaire jeune (et par ailleurs repris
avec un autre regard dans certains cabinets ministériels), le «
grand frère » est une figure -et concrètement un individu-
qui sert de repère. Il est celui à qui l'on reconnaît une
légitimité pour être un guide bienveillant.
Mais si le grand frère peut être influant, c'est
seulement au prix d'une légitimité acquise auprès des
jeunes, des « petits frères ». Sa démarche
peut-être pédagogique et connaître des effets seulement si
son autorité est reconnue par ceux qui peuvent la recevoir. Son
existence est naturelle (un grand frère biologique, un voisin fort d'une
certaine réussite sociale qui montre l'exemple, écoute, comprend
et éclaire) ou fabriquée, comme cela a été le cas
dans certaines tentatives plus ou moins heureuses émanant du politique.
La reconnaissance de sa légitimité est d'autant plus aisée
que le grand frère est un pair, qui connaît et a connu les
réalités d'un espace social similaire à celles de ses
« petits frères ».
Les considérant plus proche de l'autorité
administrative (politique, police...) que d'eux, les jeunes ne donnent pas
aisément leur pleine confiance aux éducateurs que certains
dispositifs ont voulu mettre en place. Le grand frère doit être un
pair, exemplaire. Un pair avant tout, pour que lui soit conférée
la légitimité de montrer la bonne voie.
Abel El Quandili, ancien champion de boxe, a connu la
précarité des bidonvilles de Nanterre, et le relatif confort de
la cité, sa vie quotidienne, sa précarité sociale.
Champion, il n'a jamais quitté sa barre de béton en banlieue.
Retraité sportif, il continue d'y animer un association dont le sport
est plus un prétexte à la conception d'un espace de
création et d'entretien d'un lien social qu'une fin en soi. Il a
publié à une quarantaine d'année son expérience de
« grand frère des banlieues » en 2005 chez Fayard1.
Il a connu les mêmes « galères » que ses « petits
frères » et le succès grâce au sport. Dans le
quotidien de la vie associative culturelle, sociale et sportive qu'il fait
vivre dans son quartier, il a créé
1 Abel El Quandili avec Hafid Hamdani, Le grand frère
des banlieues, Paris, Fayard, 2005, 294 pages.
une communauté d'échanges aux valeurs de la
république (liberté, égalité, fraternité)
dont l'extrémisme religieux est à son sens le pire ennemi. Il a
la légitimité d'être un pair dans son quartier, de
connaître le même quotidien, et son exemplarité est
magnifiée par son statut de champion du monde.
Avec une jeunesse tiraillée entre différentes
cultures, en manque de repères, le lien social s'établit ainsi
plus légitimement en dehors des institutions, de la famille, des
représentations de l'Etat. Institutions avec lesquelles le lien
s'effectue ensuite, par répercussion, autour des valeurs qui y ont
été partagées.
L'initiative associative, à l'image de celle dont El
Quandili narre l'expérience, s'avère ainsi une alternative pour
recréer le lien entre jeunes et pouvoirs publics, entre jeunes et
parents, par des rencontres, des débats, des animations sportives et
culturelles.
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