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Les auditeurs de Skyrock face à l'intolérance - Fonctionnement, valeurs et portée du discours de l'émission "Radio libre" dans le traitement des problèmes d'intolérance vécus par ses auditeurs

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par Mathieu Sicard
Université Paris III Sorbonne Nouvelle - DEA - Master 2 recherche 2006
  

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L'espace radiophonique comme acteur social

Même dans les cas les plus extrêmes -par exemple celui où à cause de l'intolérance de ses parents une jeune femme enceinte se retrouve à la rue dans le froid- au-delà du caractère non définitif de l'évolution de la relation avec les parents que nous avions défini plus haut, le lien social familial reste primordial dans le discours de la skysolidarité. Nous avions, par ailleurs, observé, en début d'analyse, que la famille était le premier recours proposé par l'équipe de Radio libre pour trouver de l'aide dans la phase d'évaluation du problème et de la situation de l'auditeur. Le père, la mère, un grand frère ou une grande soeur... si le problème vient souvent de l'intolérance de la famille ou d'un de ses membres, d'une part rien n'est définitivement figé, la situation peut évoluer, comme nous l'avons vu, mais d'autre part, un père, une mère, on ne peut pas ne pas les aimer, les respecter. Nous pourrions écrire que les liens filiaux apparaissent être considérés comme quasi-sacrés, si l'expression ne faisait pas référence à la chose religieuse, qui, elle, n'est pas une valeur primordiale dans le discours, loin s'en faut. Même fautive d'intolérance, de racisme ou d'homophobie, la famille, pour l'espace de discussion skysolidarité, c'est l'inverse de la France de Nicolas Sarkozy : en crise ou en désaccord profond, on peut la quitter un temps, mais on ne cesse de l'aimer.

Le lien interindividuel est le recours aux situations de crise et le credo de la skysolidarité, et la famille en est le premier pilier... après l'amour bien sûr qui est considéré comme le lieu d'épanouissement privilégié, choisi par l'individu. Ensuite viennent les amis, comme cercle de refuge, plus ouvert à l'acceptation des choix ou de l'identité.

Les institutions ont un rôle à jouer, bien sûr, et leur accès est médié par une plateforme d'interaction interindividuelle.

Je, ils -+ nous

Sur l'antenne, on partage les expériences. Il y a une communauté d'intérêts, d'esprit, bien sûr, mais plus encore un sentiment d'appartenance à un groupe. Pour rompre l'isolement, mais aussi pour faire profiter une communauté de son expérience. Une communauté choisie, des amis virtuels, sur les ondes, comme cette génération d'auditeurs en a tant d'autres sur des chats, des forums... La logique de ces jeunes gens est essentiellement centrée sur le « je », mais ce « je » entretien des relations sociales qu'il choisit par affinité. Sacre de l'individualisme, il ne s'agit plus de subir un entourage immédiat (comme on subissait naguère un mariage arrangé) mais de choisir ses amis, dans la vie réelle comme dans différentes communautés qu'ont organisées les modes de consommation des nouvelles technologies de la communication, particulièrement internet. Le blog, journal personnel publié sur internet en est une parfaite expression : centré sur soi, on partage ce que l'on choisit avec ceux avec qui on trouve un ou des point(s) commun(s) fédérateur(s). Une passion, une aventure, un bout d'histoire, l'internet a permis la gestion d'un lien social dont chacun est le maître de la pérennité. Les premiers blogs qui ont explosé en France sont ceux dérivés des sites internet de Skyrock. Essentiellement crées par des auditeurs, certains skyblogs sont aussi le résultat de tentatives de pénétration d'une large communauté jeune de la part de politiques notamment. Julien Dray, porte-parole du Parti socialiste et en charge des questions de la jeunesse au conseil régional d'Île-de-France a été le premier à flairer l'occasion d'y tenter le dialogue. Et s'il eût de nombreux messages peu confiants quand à la sincérité de son intrusion dans la sphère des skyblogs (nous reviendrons sur la question de la légitimité), d'autres suivront, bienveillants, lorsque, exposant l'horreur de ce qu'il a vu de la prison de sa circonscription, il interpelle : « Je me demande vraiment comment ça se fait que la prison ne fait plus peur à certains délinquants. Est-ce que vous auriez une explication ? »1. Et des blogueurs continuent chaque semaine à échanger avec le politicien.

1 Skyblog de Julien Dray : http:iiledefrance.skyblog.com/8.html

La radio, anonyme elle aussi, où l'on dévoile ce que l'on souhaite, avec en l'occurrence entre autres promesses de l'émission celle d'y trouver soutien en cas de crise, n'échappe pas, bien au contraire, à la captation par les jeunes de se saisir d'une communauté virtuelle. Le contenu de l'émission y est varié, diverses gaudrioles parsèment la plateforme d'échanges solidaires où l'on peut s'exprimer sans crainte de ses tracas, en préservant son identité, où l'on peut satisfaire ce besoin naturel d'être utile, d'aider (et peut-être aussi parfois de connaître son quart d'heure de gloire). Un lien social se crée entre des auditeurs de différents horizons, cultures et milieux sociaux, qui forment une communauté d'affinités, choisie (sans quoi le contrat de communication se rompt) et qui donne expression à des malaises, des joies, des coups de gueule. S'agissant de notre sujet, nous relèverons particulièrement l'intérêt du lien qui se crée dans l'espace radiophonique et son caractère de vecteur de socialisation : écoute, partage, soutien, aide.

Dans un monde réel rempli de tabous, de tensions, d'incompréhensions... ce n'est finalement pas un si gros paradoxe que viennent s'exprimer dans le moment adolescent de l'espace radiophonique et sous forme de confidences « sur l'oreiller » -pour reprendre les expressions de Glévarec- les malaises d'une génération, et peut-être particulièrement d'une partie sensible en porte-à-faux entre plusieurs cultures, en quête de repères pour se construire une identité.

Le caractère « multicolore » ne confère pas à cette communauté une dimension communautariste. Au contraire, on prône le mélange des cultures, une société multiethnique.

Le discours de la skysolidarité développe un cadre normatif des attitudes sociales dans un paysage multiculturel où coexistent des individualités exacerbées et très divisées. Les expressions de la crise du lien social que nous avons pu observer ne viennent pas moins de la difficulté de faire coexister un héritage avec une société contrastée, métissée à tout points de vue, que du choc des cultures, de la rencontre, parfois frontale, de différentes traditions.

Dans le pacte social proposé, le jeune adulte est présenté comme le citoyen de demain -voire d'aujourd'hui- qui doit participer à créer et à solidifier un lien social d'un nouveau type pour préserver un pacte républicain tiraillé par l'exacerbation de l'individualisme et les communautarismes. Il s'agira de renouer des liens entre des individus qui n'appartiennent plus à l'ancien grand idéal universaliste que fut l'idée de république uniforme, qui sont libres de leurs choix d'affiliation et désaffiliation, et pour qui le « je » prime sur le « nous ». Un équilibre à trouver entre la liberté de chacun et le respect mutuel, en évitant le communautarisme, excluant, opposant, source de tensions. « Un lien qui sache unir, sans trop serrer » pour François de Singly1.

La diversité, le mélange, la liberté et le respect apparaissent ainsi présentés comme des forces et la condition à la réalisation d'un équilibre. Un pacte social nouveau se constitue dans le discours radiophonique d'une communauté d'auditeurs échantillon de la jeune génération.

Mais quelle est alors la position, le statut de Radio libre et de ses animateurs ? L'émission de Difool est une émission commerciale diffusée sur une radio commerciale (par ailleurs avec un certain succès d'audience). Il n'en demeure pas moins que nos observations tendent à lui conférer une dimension supplémentai re.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King