Respect et diversité
Le respect, il en est toujours question. Dans un
schéma où l'individu est isolé, particulièrement
face aux questions d'intolérance, de discrimination, l'entreprise
collective n'est possible qu'en respectant les autres, la diversité.
Face à l'ensemble des sujets d'intolérance, on
prône le respect, sur l'antenne de Radio libre, en exaltant la
beauté des différences. Au fil des séquences dont les
conversations sont retranscrites plus haut, on procède à ce que
l'on pourrait appeler une apologie de la diversité. Comprenons qu'en
réponse à l'intolérance, au racisme ou à
l'homophobie, on célèbre la diversité, le
métissage.
Ainsi, on peut entendre cet échange dans le premier sujet
de notre corpus (« mon père n'accepte pas mon copain car il est
noir ») :
Marie : Non mais tu vois, à la base, on est tous
métissés...
Difool : Ouais, on a tous des...
Marie : ... à des degrés différents, on
n 'est pas 100% Français...
Difool : Je tiens à vous dire qu'avant nous, nos
ancêtres ont baisé dans tous les sens et...
Marie : Exactement ! Et c'était colonisé,
enfin, quand tu remontes un peu, c'est débile de dire ça, tu
vois. [...]
Difool : C'est vrai, on est tout un peu métis,
quoi...
Marie : Voilà, donc il faut pas s'arrêter
là, quoi, il faut... C'est juste quils sont un petit peu
bloqués.
Difool : Et puis quand tu voyages un peu, en fait, je sais
pas, moi, j'ai des potes renoi en Italie, ils se comportent comme des ritals,
hein. Ils ont rien à voir avec mes potes renoi français qui... tu
vois. Ils écoutent pas la même musique... Marie : Regarde, quand
t'es rebeu, que t'es né ici et que tu vis en France, t'es pas... quand
tu vas au Bled, t'es pas pareil que tes cousins, quoi, qui vivent au Bled. Il y
a une différence, c'est normal.
(Racisme, sujet 1, interventions 237 à 245).
Dans cet extrait, on généralise les
métissages, on mélange diversité ethnique,
géographique, histoire et cultures pour finalement valoriser une
unité française culturelle et sociétale et non ethnique ou
nationale.
Le parallèle avec la diversité des auditeurs de
Radio libre, génération « blackblanc-beur »,
est aisé.
Selon Eric Macé, le miroir télévisuel
dans lequel se ref lète la société française est
déformant (il avance notamment le peu de représentation des
« minorités », à commencer par les maghrébins,
quasiment absent de son corpus). Radio libre est un miroir plus
fidèle de la jeune génération.
Face au racisme, les animateurs se complètent toujours
pour faire tinter le diapason de la couleur donnée à l'antenne en
la matière en exaltant avec simplicité une beauté du
métissage culturel :
Difool : Bah oui, c'est ma foi bien triste tout
ça, parce que quand on s'aime... au contraire, c'est plutôt rigolo
de découvrir quelqu'un qui n'a pas la même culture, c'est quand
même plue intéressant.
Romano : Ouais, c'est bien, ça ouvre.
Difool : Moi je trouve ça marrant, t'as le gars qui
fait le ramadan, ou la meuf qui fait le ramadan, et l'autre partie du couple
qui vit sa vie, enfin c'est plutôt rigolo... (Racisme, sujet 2,
interventions 133 à 135).
« C'est rigolo ", « ça ouvre "...
autant d'expression plus ou moins désuètes qui contribuent
au processus de normalisation des diversités. La simplicité du
discours est ici à considérer comme élément de
normalisation, au sens de faire comprendre une chose comme spontanée,
évidente. Naturelle, en somme.
En alternative à la tristesse de la réaction
des parents kabyles d'une auditrice dont le copain est Antillais Difool apporte
une conception positive selon la vision « multicolore » du discours
de la skysolidarité telle que nous l'avons
appréhendée plus haut : « ça va faire un beau
bébé, enfin, si vous en faites un un jour " (racisme, sujet
3, intervention 119)
Ainsi, dans le discours de la skysolidarité,
si les parents n'ont pas tiré les mêmes conclusions que
celles défendues à l'antenne que nous venons d'exposer, les
enfants peuvent s'en affranchir, voire faire réviser les points de vue
de leurs parents. Comme l'explique Difool, qui a des origines italiennes,
à un auditeur dont les parents n'acceptent pas le copain d'origine
maghrébine : « c'est terrible, parce que eux qui sont Italiens,
ils devraient se souvenir qu'il y a, je sais pas, 80 ans, les Italiens, ils
étaient... enfin, il y avait des réactions qui étaient
particulièrement racistes envers eux aussi, qu'ils ont subi aussi, quand
ils sont arrivés en France. Nos grands parents, tout ça, et
maintenant, ils font la même chose 80 ans après à d'autres
gars, ça c'est... ça m'a toujours fait halluciner, ça. Tu
devrais leur expliquer à tes parents, parce qu'ils ont du vivre
ça » (racisme, sujet 2, intervention 62).
Et la direction des discriminations traitées dans les
sujets de notre corpus n'est pas stigmatisée, généralisant
ainsi le comportement intolérant en opposition à celui,
multiculturel et multicolore défendu par le discours
développé à l'antenne, appuyant même parfois cette
vision comme l'identité de la France :
- s'agissant du racisme : Difool : « Ah, ça
marche dans tous les sens, le racisme, c'est tellement international »
(racisme, sujet 3, intervention 115), Difool : « Ca marche aussi
dans le sens inverse, il y a une nana qui dit `'je suis rebeu, moi c'est le
même problème, ils veulent pas que je sorte avec des
Français''. Enfin, t'es Français sans doute toi aussi, mais...
» Romano : « Ouais, ça marche dans tous les sens,
malheureusement » (racisme, sujet 2, interventions 130 et 131) ;
- s'agissant de l'homophobie : Difool : « C'est le
même problème aussi pour les nans, hein. Je lisais le message de
Méli tout à l'heure, là, j'ai le message de Sonia qui a le
même souci, qui dit `'si j'en parle à mes soeurs, c'est l'horreur,
alors ne même pas penser aux parents'' » (homophobie, sujet 2,
intervention 263).
- et lorsqu'il s'agit, pour les deux derniers sujets, de ref
us de parents de laisser un libre choix d'union à leurs enfants,
préférant une personne choisie par leurs soins « au bled
», on explique que ce n'est pas une
intolérance pour une religion, puisque les amoureux en
question sont de la même confession (c'est, par ailleurs pour ce motif
que nous avons appelé cette troisième catégorie
intolérance du fait de la religion/tradition, ne s'agissant pas
d'intolérance entre religion ou de fondamentalisme, mais plus un ancrage
archaïque qui s'inscrit dans une certaine tradition culturelle
religieuse).
Contre la généralisation de ce qui est
étranger, le discours est d'opposer une France riche de toute ces
diversités à ceux qui y sont réfractaires.
L'homosexualité n'est « pas un problème "
(homophobie, sujet 2, intervention 4), ni une maladie :
Romano : Ouais, au final, c'est pas grave, tu vois, t'es pas
malade, t'as rien, quoi...
Difool : Bah oui, et puis l'essentiel pour eux c'est que tu
sois heureux, si t'es heureux avec un gars, bon...
Marie : Bien sûr !
Difool : Autant que tu sois heureux avec un gars que
malheureux avec une fille (homophobie, sujet 1, interventions 120 à
123).
On a d'ailleurs pu constater plus haut que l'on pouvait souvent
entendre que ce n'était pas une question de choix.
Dans les messages des auditeurs, on retiendra que Difool lit
de nombreux messages une nouvelle fois en direction de la liberté
individuelle et de l'indifférence comme « j'ai deux super potes
homo, et les parents s'en foutent, chacun sa sexualité, les
barrières, c'est n'importe quoi, au contraire " (homophobie, sujet
3, intervention 153) , « tant quil est heureux " (homophobie,
sujet 1, intervention 206), mais synthétise avec pudeur celui d'un
auditeur plus « québlo " en le rapportant indirectement
d'une façon que l'on peut imaginer édulcorée : «
il aurait du mal à accepter ".
Si les auditeurs victimes de l'homophobie de leurs parents ont
une identité où leur homosexualité « ne se voit
pas ", lorsque Difool parle des « caricatures " que l'on
« voit à la télé ", il n'oublie pas non plus
de se reprendre et de préciser
que « les gens font ce qu'ils veulent »
(homophobie, sujet 2, intervention 201), et échappe au
dérapage en évitant, une nouvelle fois, tout jugement sur un
comportement personnel.
Dans le sujet 3 homophobie, où l'auditeur est
l'agresseur d'un transsexuel, on condamne très vivement et unanimement
son geste -une gifle- mais Romano précise par ailleurs, qu' «
aujourd'hui, c'est une femme » (intervention 129).
Enfin, devant l'extrême rigueur des parents d'Isis
envers les traditions, si le discours vise à condamner ce type de
comportement pour plus d'ouverture d'esprit, il ne s'agit pas non plus, pour
Difool en l'occurrence, de juger les parents : Difool : « Bah oui. Et
puis même chacun vit comme il veut, si eux ils ont en vie de vivre comme
ça et de laisser le choix de la personne avec qui tu vas vivre toute ta
vie aux parents, pourquoi pas, mais si toi t'as pas en vie de le vivre comme
ça, je veux dire, t'as 20 ans, t'es majeur, tu vois. On est dans un
pays... chacun peut vivre sa sexualité... »
(religion/tradition, sujet 1, intervention 139)
Si l'on condamne des attitudes extrêmes, racistes ou
homophobes, émanant particulièrement des parents dans notre
corpus, cela n'empêche pas de respecter toutes les individualités.
Chacun est libre de la manière dont il mène sa vie, et cela
quelle qu'elle soit. Le principe est de la respecter. Et puis des parents
restent des parents, la divergence n'est synonyme ni de condamnation
rédhibitoire -comme nous l'avons vu- ni de désamour à leur
égard, bien au contraire.
De la part des auditeurs : « Comme je t'ai dit, il
faut que tu te dises que c'est ton daron et que de toute manière,
respecte-le, même si lui t'a manqué de respect ce jour-là,
mais... » (racisme, sujet 1, intervention 284), « il faut
que tu te dises que c'est ton daron, et puis fais pas ce que j'ai fait. Moi
j'ai voulu prendre le dessus sur lui et puis au final... » (racisme,
sujet 1, intervention 286).
De la part des animateurs : « Ouais, enfin, il pourra
jamais t'offrir [l'amour] que t'offre ta mère, mais... »
(racisme, sujet 3, intervention 52), « il y a Raph, du
Puyde-Dôme, qui dit `'moi si je dis à ma mère que je suis
homo, je suis mort, elle me jette de chez moi''. Ça j'arrive pas
à comprendre parce que ça reste ton fils,
quoi " (homophobie, sujet 1, intervention 206),
« Avec tout le respect qu'on doit aux parents, tout ça, moi je
pense qu'il faut vivre sa vie en fonction de ses envies, tu vois, toi tu... Il
va pas se forcer... " (homophobie, sujet 1, intervention 222), «
Donc euh... et puis maintenant il y a plus le choix, donc tes parents, ils sont
pas... tu vois, ils ont quand même un coeur, non ? ", « T'est leur
fille, ils peuvent pas... ", « Ils peuvent pas te laisser dans la merde,
comme ça " (religion/tradition, sujet 2, interventions successives
de Difool, Romano et Marie 53, 54 et 56).
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