II/ DES RADIOS LIBRES AUX RADIOS ASSOCIATIVES
A/ À la croisée des chemins
L'année 1984 est marquée par des tensions au
sein des partis politiques français. Des manifestations se produisent
pour la défense de l'école libre, soutenue par les partis de
droite. Le parti socialiste passe pour un parti liberticide, et l'introduction
d'un certain libéralisme en matière de radio modère les
ardeurs des plus libéraux.
Ainsi la publicité est autorisée par le biais
d'une loi : la logique commerciale entre en jeu. Peut-on alors toujours parler
de « radios libres » ?
Les radios locales privées peuvent désormais
choisir entre deux statuts : garder une structure associative sans avoir
recours à la publicité ou devenir commerciales. Celles qui
conservent le statut associatif reçoivent une subvention d'État
prélevée sur les recettes publicitaires. Cependant, il est touj
ours possible de rester associative avec accès à la
publicité, mais sans subvention d'État. D'autres peuvent devenir
des sociétés commerciales et former un maillon de
l'économie.
Les stations qui choisissent le statut associatif ont le
droit, d'après la loi, à une subvention prélevée
sur les recettes publicitaires de la télévision. Le
problème est que cette subvention est accordée en théorie
une fois par an, et n'est donc pas une pension. En réalité, les
véritables radios associatives sont subventionnées par ailleurs,
comme les « Radios Campus » par les universités.
Mais quel que soit le statut, il faut un émetteur
limité à 500 Watts dans un rayon maximal de 30 kilomètres,
une fréquence attribuée et au moins 80% de programmes
spécifiques pendant le temps antenne. Un programme spécifique
étant un programme réalisé par la radio
elle-même.
Si plusieurs radios peuvent partager la même
fréquence, une radio ne peut posséder qu'une seule
fréquence. Les réseaux ne sont pas encore autorisés mais
des radios comme N.R.J.28, Nostalgie ou R.F.M. se préparent
à d'éventuelles prises de contrôle de petites structures
associatives.
Suite à la possibilité de diffuser de la
publicité, les projets de radios affluent sur les bureaux de la Haute
Autorité. Cette dernière a touj ours du mal à faire face
à cette pléthore de demandes de fréquences, sachant que la
bande FM s'arrêtait à l'époque à 104 (les
fréquences de 104 à 108 appartenant encore à
l'armée).
Certaines stations choisissent de devenir ou redevenir des
sociétés commerciales. R.F.M. par exemple abandonne sans regrets
le statut associatif. Elle redevient une station purement professionnelle :
elle diffuse ouvertement de la publicité. N.R.J. continue pour sa part
à diffuser de la publicité, bénéficiant d'une
relative impunité de la part du gouvernement de l'époque.
28 Outre l'allusion à « énergie »,
Nouvelle Radio Jeune
Les petites radios, de leur côté, refusent de se
doter d'un agencement structuré de programmes et se sabordent la plupart
du temps, ce qui libère quelques fréquences. Le public, lui,
change, et veut des émissions plus régulières ainsi que
plus de professionnalisme dans l'animation. Les radios qui n'ont pas de grilles
précises n'ont donc pas grande audience.
Les radios professionnelles et commerciales recherchent la
plus forte audience. Les annonceurs aiment se faire voir, mais en
matière de radios ils veulent se faire entendre. C'est pourquoi les
radios professionnelles commencent à adopter une programmation
étudiée d'après ce que les auditeurs potentiels aiment
entendre. Les « formats radios » commencent à se dessiner.
Ces radios cherchent à plaire à leurs publics,
mais surtout aux éventuels annonceurs. L'audience n'est-elle pas la
marchandise vendue aux annonceurs ? Les publicités ne concernent que
l'auditorat visé. Ces concepts qui paraissent évidents dans une
logique de communication ne l'étaient pas dans le monde de la radio
privée de la première moitié des années 80. Ils
entrent néanmoins rapidement dans les moeurs.
Il n'est pas obligatoire d'être une
société pour pouvoir diffuser de la publicité sur les
ondes. Certaines radios optent pour une structure associative, avec des
bénévoles et un tout petit nombre de salariés, et
diffusent des messages à caractère publicitaire. Elles sont
généralement très locales : on y entend souvent les
accents prononcés des animateurs, des bafouillages. Certains animateurs
ont un parlé agréable et leurs émissions ont une
programmation digne de stations professionnelles. Certaines d'entre elles
quittent le statut associatif au bout de quelques mois.
Fin 1984, la Haute Autorité décide de suspendre
6 radios qui dépassent largement la puissance autorisée de leurs
émetteurs : parmi elles, N.R.J. Son patron va alors faire preuve de
vision en contactant un conseiller en communication qui lui organise une
manifestation dans Paris pour entraîner les jeunes à soutenir
« la plus belle des radios ». Des artistes de renom comme Dalida
acceptent de parrainer l'événement et se retrouvent en tête
du cortège . Laurent Fabius et le Président de la
République interdisent la force publique et N.R.J. n'est finalement pas
suspendue.
L'année 1986 entérine les évolutions des
années précédentes en matière de radio. Pour la
première fois un Président de gauche nomme un Premier Ministre de
droite. Une nouvelle loi en matière de médias voit le jour :
est-elle entièrement déterminée par le changement de
majorité politique ?
L'année 1986 est marquée par
l'élargissement de la bande F.M. de 104 à 108 MHz, mais aussi par
le début de la formation de réseaux. La loi du 30 septembre
198629 dite « loi Léotard » a été
rédigée par le nouveau gouvernement issu de l'alternance. Dans
l'exposé des motivations nous pouvons lire « la liberté
accordée aux exploitants opérant en situation concurrentielle est
non seulement un gage de liberté, mais aussi d'efficacité et de
compétitivité pour notre économie ».
29 cf. annexes
Une nouvelle instance est créée en remplacement
d'une autre : la légitimité d'une autorité de
régulation n'est pas remise en cause malgré la volonté de
libérer les médias de toute tentative monopolistique. La
C.N.C.L.30 remplace la Haute Autorité. En effet la Haute
Autorité était vue comme un organisme incapable de gérer
les attributions de fréquences. En réalité, cette
commission poursuit le travail déjà entrepris avec un pouvoir
plus vaste et des moyens plus importants. Elle délivre toujours les
autorisations pour les radios, mais ne consulte plus T.D.F. comme le faisait
l'instance précédente. Elle a le pouvoir de contrôler et
sanctionner les stations en cas de dérapage. Elle impose un cahier des
charges pour tout candidat à une fréquence et en cas
d'acceptation du projet le valide et veille à son respect.
Le principe de monopole est abandonné, la
publicité est reconnue comme nécessaire à la vie d'une
radio non subventionnée. Le point le plus important étant que les
réseaux sont autorisés, mais dans une certaine limite. La «
loi Léotard » entérine un fait : des réseaux
existaient avant, ils étaient illégaux, donc non
contrôlés.
À cause de leurs difficultés financières,
de nombreuses radios locales privées meurent ou se réunissent
sous une bannière et deviennent ainsi un maillon d'un réseau.
N.R.J. adapte ainsi le concept de franchises connu dans la grande distribution
au monde de la FM. Certaines radios acceptent de prendre le label N.R.J.
à cause de leurs difficultés financières. La station
commerciale fournit l'émetteur si besoin est, et des moyens de mener des
campagnes publicitaires. En échange, la radio change de nom et
établit sa programmation en fonction d'une liste donnée par la
tête de réseau.
Cette période a mis en exergue la suprématie des
radios commerciales qui ne diffusaient pas de messages à
caractère politique. Certaines radios ont créé leur
réseau, qu'il soit national ou régional, d'autres ont
préféré recentrer leur auditorat sur une ville ou une
région. 1984 - 1986 montre une période où, hormis en cas
de rupture d'autorisation de la part de la C.N.C.L., la plupart des radios qui
cessent leurs émissions manquent de fonds. Seules quelques radios
associatives fortement subventionnées gardent leur
indépendance.
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