Le récent retour en force de la mixité sociale
comme objectif politique s'est instauré et a pris forme, en particulier
depuis la mise en place de la loi Solidarité Renouvellement Urbain (SRU)
du 13 décembre 2000 à travers son article 552 . Or il
est intéressant de se rappeler des discours qui ont porté
directement ou indirectement la mixité comme objectif politique. Le
philosophe Marcel GAUCHET a mis en avant l'existence d'un « mur »
entre les élites et les classes populaires, conceptualisant cette
idée sous une expression qui a fait des émules, «la fracture
sociale». Réutilisée lors de sa campagne de 1995, Jacques
CHIRAC en a fait un de ses thèmes de prédilection (du moins
durant cette campagne) en présentant la fracture sociale comme une
menace de l'unité nationale. Par la suite, l'expression
intégrée par les
1 « La France est une République indivisible,
laïque, démocratique et sociale ». Article 1 de la
constitution de la Ve République.
2 Cet article a été modifié par l'article
65 de la Loi Engagement national pour le logement du 13 juillet 2006
différentes parties politiques s'est vu
revisitée. Mais c'est bien à partir de là que les
français ont eu un mot pour désigner la peur d'une dislocation de
la société. Evidemment, la politique de la ville avait
précédemment alerté sur les situations de
relégation de certains quartiers et du risque de désolidarisation
de la société3 . Mais étant attachée
pendant longtemps à l'échelle du quartier (DSQ, DSU), elle n'a
pas suscité une prise de conscience générale.
La perspective d'une société désunie,
divisée socialement, a remis la mixité sociale comme enjeu de
premier ordre, du moins dans les déclarations des décideurs.
Au regard de cette évolution, il est
intéressant de constater qu'à l'instar des intentions
environnementales par exemple, la mixité sociale a pour objectif de
désamorcer un processus en oeuvre. La question de la mixité
sociale est actuellement présentée face au spectre de la «
fracture sociale », conclusion d'un processus de ségrégation
où l'entre soi prend le pas sur le faire
société4.
Par ailleurs, malgré le consensus autour de
l'idée de mixité sociale, la volonté affichée ne
présente pas un caractère sociétal complet. Bien au
contraire, si nous reprenons la définition communément admise de
l'adjectif sociétal5, la volonté de mixité que
nous observons actuellement est cloisonnée à certains aspects de
la vie sociale des individus, l'importance de l'homogamie par exemple ne fait
pas l'objet d'un discours d'opposition valorisant la mixité sociale au
sein des mariages. Donc la volonté de mixité est bien
ciblée dans la vie sociale des individus et cela se traduit
spatialement. La société concentre, en effet, toute son attention
sur des lieux, des espaces où, pour certaines raisons que nous
aborderons plus tard, la volonté de mixité est forte (la
volonté n'étant pas l'intention).
En premier chef, l'école et ensuite la ville, sont
devenus les lieux qui cristallisent tous les discours sur la mixité. Il
suffit de reprendre les discours de campagne électorale de 2007 des deux
principaux candidats6, pour se convaincre que la question de la
mixité sociale s'est focalisée sur ces lieux.
Aussi, nous le comprenons bien, la volonté de
mixité sociale s'intensifie sur des secteurs très précis
et spatialement identifiés. C'est évidement par ce dernier aspect
que la réflexion géographique trouve tout son
intérêt. L'aménageur, le géographe, celui qui
travaille
3 Rapport BONNEMAISON, 1982 ; Rapport DUBEDOUT, 1983 ; Rapport
LEVY, 1988.
4 « Le problème n'est plus alors de résoudre
une question sociale associée à la logique du conflit, mais de
faire société pour enrayer une logique de séparation
» extrait tiré de l'ouvrage Faire société : la
politique de la yille aux États-Unis et en France,
Seuil, 2003. Jacques Donzelot, Catherine Mével, Anne Wyvekens.
5 Societal : "Qui se rapporte aux divers
aspects de la vie sociale des individus." Le Petit Larousse, édition
2005.
6 Voir l'article du 12/02/2007 sur le site de Radio France
International.
sur l'espace, permet d'intégrer l'analyse spatiale
dans la recherche de mixité sociale. A titre d'exemple, l'article
très technique de Philippe APPARICIO intitulé Les indices de
ségrégation résidentielle : un outil intégré
dans un système d'in formation géographique, montre bien
l'apport de la cartographie, du géographe et des sociologues
(école de Chicago dans le cas présent) sur ces
questions7.
En tout cas, si la volonté de mixité semble
bien se concentrer sur certains endroits, il convient de se demander, en quoi
ces lieux suscitent une telle attention et pourquoi
l'hétérogénéité sociale des personnes qui la
composent est il un enjeu affiché ?
L'attention portée à la ville (dans le sens
d'une ville centre, de sa banlieue et de son périurbain) se comprend
avant tout par le fait qu'une part importante de la société y est
localisée et qu'elle concentre les plus fortes inégalités.
Aussi, de part l'accentuation de la ségrégation socio spatiale,
la ville tend à se partitionner en secteurs fortement marqués
sociologiquement, économiquement et culturellement. Les tensions qui en
découlent interpellent et mettent l'accent sur les risques de la
ségrégation. En ce sens, la ville apparait aujourd'hui pour
l'opinion publique comme le lieu où se réalise la fracture
sociale. Il est sûr que les émeutes de novembre 2005 ont
marqué les esprits et ont questionné la société
française sur son unité. Mais si la fracture entre les zones de
relégation et le reste de la ville est la plus médiatisée,
d'autres fractures existent au niveau de la classe moyenne et des classes
supérieures. Ce problème d'homogénéisation sociale
des secteurs de la ville (toujours au sens de l'agglomération) fait
craindre une scission, voire des scissions8 au sein de cette
dernière. Or, il n'y a qu'un pas entre une fracture au sein des villes
et une au sein de la société. Marie-Christine JAILLET le montre
bien, dans son article La tentation de la
sécession9, lorsqu'elle décrit le
phénomène de peuplement homogène des classes moyennes dans
le périurbain : (( A la reconnaissance d'une commune appartenance
au-delà de l'affirmation des liens électifs, se substitue le
désir de (( faire sécession », c'est-à-dire non
seulement de vouloir vivre dans un entre-soi choisi mais de s'abstraire de la
collectivité pour se soustraire à l'obligation de
solidarité que sous-tend le fait d'y appartenir ».
La volonté de mixité au sein de la ville,
affichée par les politiques, se comprend en réalité comme
un mortier colmatant les brèches sur la clé de voûte de la
société, si la ville se fracture, la société est en
péril. Aussi, la recherche de mixité sociale n'est pas
réellement un objectif en soi dans la volonté politique, elle est
un moyen de produire la cohésion sociale.
7 Cet article est présenté dans le CD annexe. Il
est publié sur le site cybergéo.
8 La ville à trois vitesses : Gentrification,
relégation, périurbanisation Collectif Esprit N° 303
Mars-Avril 2004
9 Article paru dans Lien Social le 3 juin 1999-N°489 OASIS
Magazine -
http://www.travail-social.com
et présent dans le cd annexe.
La logique appliquée au milieu scolaire est
légèrement différente mais l'objectif de cohésion
est le même. L'école représente un pilier de l'unité
nationale, et ce depuis déjà longtemps. En ce sens,
l'école de la III République par exemple a fortement
contribué à la construction d'une identité
commune10, l'interdiction des patois régionaux et les
programmes d'histoire - géographie en sont des illustrations bien
connues. De fait, il y a une attente d'intégration et de socialisation
attribuée à l'école. La volonté politique
d'instaurer de la mixité dans les établissements scolaires suit
cette logique.
Pour la société, l'école répond au
besoin de former les plus jeunes individus à des valeurs
partagées et de construire chez eux, un sentiment d'appartenance
à cette société. Or pour ce faire, l'école doit
accueillir, autant que faire se peut, des classes aux publics
représentatifs de cette société.
L'homogénéisation sociale des écoles
crée un double risque, le premier étant que
l'élève, quelque soit son milieu d'appartenance, construit
à travers sa classe une vision tronquée de la
société. Et deuxièmement, de par son milieu social, la
probabilité de réussite scolaire de l'élève est
variable11. Aussi, en simplifiant, la concentration sociale se
traduit par la concentration de l'échec scolaire et de la
réussite scolaire ce qui stigmatise d'autant plus les
établissements soit dans le positif, soit dans le négatif, selon
les résultats. Ceci aboutit à la construction d'une autre
fracture plaçant l'école dans un cercle vicieux d'un processus de
ségrégation qui s'autoalimente. Or, pour autant que le
système éducatif mis en place ne soit pas construit dans une
logique de concurrence12, la mixité sociale et culturelle
semble plutôt favoriser la réussite scolaire des
élèves.
Ainsi, la volonté de mixité se focalise sur ces
deux espaces, car l'école est le lieu de formation traditionnel de
l'unité de la société, et la ville est le lieu où
les crispations sociales sont les plus marquées, alors même que sa
structure est intimement liée à la société
ellemême.
Si nous pouvons nous interroger sur la véracité
de volonté de mixité de certains décideurs politiques, il
est néanmoins important d'avoir conscience, quelques soient les
ambitions des décideurs, que l'action sur cette thématique est
complexe.
10 « En 1882, lorsque Jules Ferry fonde le système
public d'enseignement de la IIIe République, il choisit de donner
à l'école une mission d'intégration à la Nation
comme à la République ». Rapport de J. HEBRARD
intitulé La mixité sociale à l'école et au
collège, mars 2002.
11 La Reproduction. Eléments pour une théorie
du système d'enseignement, P. Bourdieu édition Minuit,
1970
12 Voir le texte de Conférence Classes difficiles. J.F
BLIN. Présenté dans le cd annexe.