Le paradigme DRM
Les faux souvenirs sont soit des distorsions de
l'expérience réelle, soit des souvenirs
d'événements qui ne se sont jamais produits (Roediger &
McDermott,
1995). Ces distorsions peuvent provenir d'une source externe
(croyances, opinions, etc.) ou d'une source interne.
En s'appuyant sur les travaux de Deese (1959), Roediger et
McDermott (1995) développent un paradigme qui génère des
faux souvenirs.
Le paradigme DRM consiste à apprendre des listes de 15
mots associés à un mot non présenté dans la liste
(le leurre critique). Par exemple, la liste d'items associés au leurre
critique sleep, présentera des mots tels que bed, rest,
awake, tired, dream, etc., le premier mot de la liste étant le plus
fort associé. Les résultats montrent des rappels avoisinant les
65% pour les mots étudiés. Les leurres critiques, soumis à
une grande variabilité interindividuelle sont quant à eux
récupérés de 10 à 70%.
Ils observent des résultats similaires en ce qui
concerne la reconnaissance.
Selon plusieurs auteurs, le rappel ou la reconnaissance de
leurres viendrait d'une difficulté à identifier la source, d'une
erreur d'attribution : les sujets pensent que le mot fait partie de la liste
alors que c'est lui qui l'a généré (Brédart, 2000,
cité par Brédart & Van der Linden, 2004 ; Hicks & Marsh,
1999).
Ainsi, une multitude d'études ont émergé,
mettant principalement en avant les effets de la propagation de l'activation
sur les faux souvenirs, via la manipulation des niveaux de traitements.
Les niveaux de traitement
Les niveaux de traitement ont été mis en
évidence par Craik et Lockhart, en 1972 (cités par Rhodes &
Anastasi, 2000). Ils suggèrent qu'à partir d'un apprentissage de
mots, ce qui est retenu est une sorte de trace laissée par les processus
de traitement, plutôt qu'un item stocké en mémoire. Cette
trace serait utilisée comme une source d'indice à propos de
l'item traité.
Les auteurs émettent l'hypothèse d'un continuum
dans le traitement. Il débuterait à un niveau superficiel pour
évoluer et s'approfondir de plus en plus. Leur théorie
énonce que plus le traitement de l'information est exploité, plus
les traces
mnésiques sont durables. La mémorisation est
bien meilleure comparativement aux traitements superficiels.
Lors d'une épreuve de rappel, les sujets restitueraient
donc plus facilement les items avec un traitement profond (analyse
sémantique), par rapport à un traitement peu profond (simple
analyse physique ou phonologique).
Pour illustrer cette hypothèse, ils présentent
des paires de mots en utilisant trois types d'encodage : superficiel,
intermédiaire, et profond. L'apprentissage en traitement superficiel
consiste à effectuer un encodage physique du stimulus en
détectant le nombre d'apparitions de la lettre « o ». Le
traitement intermédiaire est un encodage phonétique du stimulus.
Le sujet doit évaluer le degré de ressemblance phonétique
entre les deux termes. Enfin, concernant le traitement profond, il s'agit
d'effectuer un encodage sémantique du stimulus.
Les résultats indiquent un meilleur rappel des mots
pour l'encodage sémantique : le traitement profond des items
présentés provoquerait donc une meilleure mémorisation.
Les notions de propagation d'activation et de niveaux de
traitement ont été étendues au domaine des faux souvenirs.
L'hypothèse principale suggère que l'augmentation de la
propagation d'activation en mémoire accroît la mémorisation
et la probabilité de création de faux souvenirs.
En effet, Toglia, Neuschatz et Goodwin (1999) comparent deux
types de jugement lors d'un encodage : un jugement sémantique (la
tâche de pleasantness qui consiste à évaluer sur une
échelle de 1 à 5 le taux d'agréabilité de l'item)
et un jugement non sémantique (le mot contient-il la lettre « a
» ?). Lors de la récupération, après un jugement
sémantique des mots, ils observent une augmentation du rappel des items
présentés ainsi que des faux souvenirs.
Rhodes et Anastasi (2000) cherchent à déterminer
quelle approche est mise en jeu dans la création de faux souvenirs. Ils
comparent l'approche des niveaux de traitement (levels-of-processing approach)
à celle fondée sur l'activation (activation-based approach).
L'approche des niveaux de traitement prédit un meilleur rappel des items
de la liste et moins de faux souvenirs en condition profonde car la
mémorisation en est plus précise. L'approche basée sur
l'activation, quant à elle, prédit certes une meilleure
mémorisation des items, mais plus de faux souvenirs,
venant d'un processus relationnel plus important.
Pour vérifier laquelle de ces approches est
opérante, ils font deux expériences avec, pour encodage
superficiel, le compte du nombre de voyelles de chaque mot. Quant à
l'encodage profond, il fait appel à un jugement de concrétude et
d'abstraction dans la première expérience et à une
tâche de catégorisation dans la deuxième.
Les résultats indiquent pour les deux
expériences une supériorité de rappel d'items
présentés et critiques pour les deux encodages profonds qui
s'explique par une plus grande activation des items et de leurres
associés lors de ce type de traitement. Il semble donc que ce soit
l'approche basée sur l'activation qui est ici mise en jeu.
Thapar et McDermott (2001) comparent un encodage superficiel
(déterminer le nombre de voyelles de chaque item) et un encodage de type
pleasantness. Ils observent des résultats identiques à ceux
trouvés dans les expériences précédentes : une
augmentation de rappel de mots effectivement présentés et de
leurres en condition profonde.
Ces expériences nous indiquent clairement qu'un
traitement sémantique, en plus d'augmenter le taux de rappels de mots
présentés, provoque une meilleure probabilité de faux
rappels qu'un traitement superficiel. Cependant d'autres auteurs vont mettre en
évidence une absence d'effet de la profondeur sur les faux souvenirs.
Read (1996, cité par Tussing & Greene, 1997) fait
varier deux mécanismes de répétition pour l'apprentissage
et la mémorisation : la répétition de maintenance («
maintenance rehearsal ») qui garde les informations actives en
mémoire, et la répétition élaborée («
elaborative rehearsal ») qui permet un traitement plus profond. Il a pour
objectif d'établir une relation entre les niveaux de traitement et les
faux souvenirs. Pour ce faire, il utilise trois conditions : le rappel des mots
dans l'ordre, la répétition de maintenance et la
répétition élaborée. La condition
d'élaboration faisant appel à un niveau de traitement plus
profond que celle de maintenance, on s'attend à une différence
dans le rappel des leurres. Les deux conditions de répétition
dénotent bien un nombre supérieur de reconnaissance de leurres
que la condition standard. Cependant, les conditions de maintenance et
d'élaboration ont un taux équivalent de rappel de leurres.
Read en déduit que les processus sémantiques
demandant un traitement profond ne sont pas nécessaires à la
production de faux souvenirs. Tussing et Greene (1997) comparent la
pleasantness à une condition superficielle, où le sujet doit
déterminer si la première lettre de l'item présenté
est une voyelle et une condition intermédiaire, qui consiste à
compter le nombre de lettres de chaque item. Ils observent un taux plus
élevé de reconnaissance des leurres pour les traitements
superficiels et profonds. Malgré leur différence d'encodage, ces
deux conditions présentent des taux similaires de rappel de leurres.
Newstead et Newstead (1998) n'ont également
observé aucune différence significative des niveaux de traitement
sur les faux souvenirs, contrairement aux listes de mots. Ils comparent un
groupe contrôle de rappel à quatre autres groupes :
- (1) penser à la signification de chaque item
(elaboration group)
- (2) relier chaque item à l'expérience
personnelle (personal experience group)
- (3) créer des images mentales (imagery
group)
- (4) former des phrases avec les mots (chaining
group)
Ils observent un taux supérieur de rappel correct des
mots pour les conditions d'élaboration de la signification et de
formation de phrases par rapport aux deux autres. Cependant les groupes formant
des images mentales et ceux faisant référence à leur
expérience personnelle présentent un taux équivalent de
rappel de mots présentés. Concernant le rappel de leurres, ils
n'observent pas de différence significative entre les groupes.
Le groupe d'élaboration et celui de formation de
phrases n'ont donc pas d'influence sur les faux souvenirs mais affectent le
rappel de mots présentés. La précision d'un encodage
semble améliorer la discrimination des items perçus de ceux
simplement pensés. Ainsi, lorsque l'on pense à la signification
de chaque item ou lorsque l'on construit une phrase à partir de
celui-ci, on augmente la probabilité d'une meilleure
récupération tout en évitant une augmentation de rappel de
leurres. L'utilisation des formations de phrases, pour s'aider à
mémoriser les mots, semble diminuer largement le rappel de leurres
(Bower & Clark, 1969, cités par Newstead & Newstead, 1998).
Ainsi, Newstead et Newstead n'observent pas d'influence des
conditions expérimentales sur les faux souvenirs. Ceux-ci
présentent des proportions similaires aux rappels du groupe
contrôle.
Nous avons pu voir que les expériences de Read, Tussing
et Greene, et Newstead et Newstead montrent qu'un traitement sémantique
n'est pas nécessaire à la formation des faux souvenirs.
La question se pose alors au niveau des
expérimentations et des types de variables utilisées. Sont-elles
efficaces ? Permettent-elles de déterminer de façon fiable la
manière dont se forment les souvenirs ?
Des recherches vont également être
effectuées dans les mêmes années et ultérieurement
en utilisant d'autres variables et conditions afin de mieux cerner le processus
de faux souvenirs.
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