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Un exemple unique de construction et d'exploitation d'un navire: Le Cargo solidaire

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par Elisabeth Druel
Université de Nantes - Master II Droit maritime et océanique 2006
  

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Université de Nantes

Faculté de droit et de sciences politiques

Centre de droit maritime et océanique

« Un exemple unique de construction et d'exploitation d'un navire :

Le Cargo solidaire »

Mémoire de Master 2 recherche droit maritime et océanique

Soutenu par Elisabeth Druel

Sous la direction de Monsieur Yves Tassel

Année universitaire 2006/2007

Merci à tous les membres de l'association « Le Cargo solidaire » pour leur aide, leur accueil et surtout pour m'avoir permis, d'une certaine façon, de participer au projet.

Je tiens également à remercier tout particulièrement Monsieur Tassel, pour sa disponibilité et ses conseils, qui m'ont été précieux tout au long de la rédaction de ce mémoire.

SOMMAIRE

INTRODUCTION.................................................................................p 6

TITRE I : DE L'ORIGINE A LA CONSTRUCTION DU NAVIRE : UN PROJET BASE SUR LA PRATIQUE DES SOLIDARITES..........................................p 18

CHAPITRE I : LE FINANCEMENT DE LA CONSTRUCTION.......................p 19

Section 1 : Le choix d'un mode de financement.......................................................p 20

Section 2 : Les questions financières et fiscales liées à la construction du navire..........p 30

CHAPITRE II : LA CONSTRUCTION DU NAVIRE ...............................................p 36

Section 1 : Association et structure chantier : du choix de la forme au contrat de construction.....................................................................................................p 36

Section 2 : Les relations entre la structure chantier et les différents acteurs d'un chantier de construction navale basé sur la pratique des solidarités...........................................p 42

TITRE II : L'EXPLOITATION NON LUCRATIVE MAIS ECONOMIQUE D'UN NAVIRE .............................................................................................p 52

CHAPITRE I : LES CHOIX INTERNES RELATIFS A L'EXPLOITATION DU NAVIRE .............................................................................................p 53

Section 1 : Le choix de la structure exploitation.......................................................p 54

Section 2 : Les questions touchant le navire lui-même et son armement......................p 61

CHAPITRE II : LA MISE EN OEUVRE DE L'EXPLOITATION DU NAVIRE...p 67

Section 1 : Le transport de marchandises...............................................................p 68

Section 2 : L'organisation de voyages...................................................................p 73

Section 3 : Les questions liées à l'exploitation de la structure animation.....................p 76

CONCLUSION....................................................................................p 82

BIBLIOGRAPHIE................................................................................p 84

ANNEXES..........................................................................................p 86

TABLE DES MATIERES.......................................................................p 110

INTRODUCTION

C'est à Nantes qu'a vu le jour un projet ambitieux, original, unique, ayant pour but la construction et l'exploitation, fondées sur la pratique des solidarités, d'un cargo mixte à voiles, le Cargo solidaire.

- Historique du projet

A la genèse du projet, se trouve une association nantaise, l'association Histoire de la construction navale à Nantes (ou AHCNN). Cette association a été crée en 1986, au lendemain de la fermeture des chantiers de construction navale Dubigeon de Nantes, avec pour objectifs la préservation des archives et outils des chantiers et la mise à la disposition du public d'un lieu d'animation, d'exposition et de documentation sur la Navale.

Au milieu des années 90, l'association fut sollicitée pour participer à la construction de la péniche Cap Vert. Cette péniche (qui ne navigue donc que sur les voies d'eaux intérieures), est un bateau spécialement conçu pour permettre à des personnes handicapées ou âgées de naviguer, donc pour permettre à des personnes à mobilité réduite d'avoir accès aux joies de la navigation. L'AHCNN s'est trouvée impliquée dans la construction, apportant son aide et son savoir faire aux initiateurs du projet. La construction, afin de conserver intact l'esprit du projet, a été réalisée en partenariat avec un chantier de réinsertion et avec l'aide de nombreux bénévoles. Déjà, la première expérience en matière de construction de l'AHCNN était placée sous le signe de la pratique des solidarités.

Egalement, dans l'optique de préservation du patrimoine naval de la région, le chantier était situé sur le site de la Prairie au Duc, à Nantes. Le bateau quitta la cale n°3 en 2001.

En 2004, la péniche Cap Vert obtint l'homologation « bateau à passagers » et depuis ce temps, l'association qui la gère organise des croisières sur l'Erdre et le canal entre Nantes et Redon1(*).

Cependant, l'AHCNN n'avait pas attendu cette première expérience réussie pour lancer l'idée de la construction et de l'exploitation d'un navire qui pourrait parcourir les mers du globe en embarquant à son bord un certain nombre de personnes à mobilité réduite. L'idée même du Cargo solidaire remonte à 1991, et le projet va développer une véritable originalité, englobant plusieurs dimensions : innovation, solidarité, réinsertion, écologie... qui viendront s'ajouter à l'objectif de permettre à tous de naviguer.

L'idée était de construire un quatre mâts barque, le Loire. Ce fut le premier nom du projet, le Loire C174. Pour le construire, les membres de l'association décidèrent de s'appuyer sur les plans du voilier « Loire », construit à Nantes en 1896, tout en les adaptant aux normes et règlements actuels. C'est là mettre en oeuvre l'un des objectifs du projet, dont il sera reparlé plus tard, la préservation du patrimoine naval de la région, Nantes ayant été un haut lieu de la construction de tels voiliers.

Petit à petit, le projet prit forme et intégra de nouvelles dimensions qui conduisirent à changer son nom de Loire C174 en Cargo solidaire. Le 11 octobre 2006, une assemblée constitutive se réunit et créa l'association « Le Cargo solidaire ». Cette association réunit des membres de l'AHCNN et d'autres personnalités extérieures, particulièrement intéressées au projet. L'article 2 des statuts de l'association dispose que « cette association a pour objet la construction et l'exploitation, fondées sur la pratique des solidarités, d'un cargo mixte à voiles. ». Voilà pour l'objet même de l'association. Les objectifs du projet sont eux nombreux et variés et il convient de les présenter.

- Présentation des différents objectifs du projet

Le but même de l'association est la pratique des solidarités, et la construction et l'exploitation du Cargo solidaire sont deux façons originales de mettre en oeuvre ce but. Cette pratique des solidarités, qui chapeaute tout, recouvre plusieurs objectifs qu'il est nécessaire de présenter.

Le premier objectif du projet « Le Cargo solidaire » est la préservation du patrimoine naval de la région et au-delà. Il s'agit de préserver un savoir faire traditionnel dans la région, en utilisant comme base les plans du voilier « Loire » construit à Nantes en 1896. Ce voilier était un cap hornier (navire qui a franchi le Cap Horn dans un sens ou dans l'autre). A partir de 1897, afin d'enrayer les baisses constantes des frets, les armateurs français avaient fait construire et armer ces voiliers, qui étaient en acier et d'un port en lourd de 2500 à 4500 tonnes et qui, à chacun de leurs voyages de circumnavigation, doublaient le Cap Horn. Ces navires étaient construits par des armateurs de Dunkerque, Le Havre, Rouen, La Rochelle, Bordeaux, Marseille et surtout Nantes (jusqu'en 1903), qui armait à elle seule 147 grands voiliers, dont la plupart construits dans ses propres chantiers. Ces trois mâts et quatre mâts (il y eut aussi deux cinq mâts appelés France) aux mâtures hautes de 45 à 55 mètres et arborant des surfaces de voilure de 2500 à 5000 mètres carrés, partaient d'Europe avec des cargaisons à destination de tous les pays du monde. Il s'agit ici de faire revivre un savoir faire traditionnel, connu à Nantes mais aussi partout en France.

Mais également, la préservation passe par l'utilisation des outils et emplacements traditionnels d'une région marquée par son histoire maritime. C'est pourquoi le lieu de construction choisi est Nantes Saint-Nazaire et plus particulièrement l'île de Nantes, à la fois pour faire revivre cet endroit et pour conserver un savoir faire qui se perd en France, la construction maritime étant de plus en plus délocalisée vers des pays tiers.

Le deuxième objectif du projet est l'innovation. En effet, il a fallu adapter les plans du Loire aux contraintes actuelles. Le Cargo solidaire est un cargo mixte, fret et passagers, conçu pour faire des voyages au long cours. C'est un quatre mâts d'une longueur totale de 114, 2 mètres, doté d'une double propulsion, à la fois vélique et mécanique. Sa vitesse de service sous voile devrait être de dix noeuds, ce qui est relativement peu, mais la vitesse ne fait pas partie des objectifs du projet. L'innovation porte donc sur la combinaison de ces deux types de savoir faire, traditionnel et novateur, avec l'intégration sur un navire classique d'innovations écologiques et techniques. Notamment, il est prévu que le groupe électrogène fonctionne au diester (énergie verte). Or, aucun moteur marin, actuellement, n'accepte plus de 10% de ce que l'on appelle « le gasoil vert ». Les membres de l'association prévoient de faire travailler sur le sujet des entreprises qui permettront d'innover dans le secteur. Une autre alternative possible serait de faire fonctionner le groupe électrogène au GPL, énergie moins polluante que l'essence classique. Ces innovations seront extrêmement importantes, car appliquées sur un navire d'une grande taille, voyageant au long cours et pourront permettre une meilleure diffusion des connaissances en la matière et (pourquoi pas ?), la création ad hoc d'une nouvelle catégorie de navires, les Cargos solidaires...

L'aspect innovation se couple parfaitement avec les aspects écologie et développement durable qui sont pleinement intégrés dans le chantier. Le projet a pour objectif de pousser au maximum le respect de l'environnement, que ce soit dans la construction ou dans l'exploitation du navire. Pour cela, l'application de la démarche Haute Qualité Environnementale (ou HQE) est mise en avant, aussi bien sur le chantier que lors de la phase d'exploitation du Cargo solidaire. Il faut préciser ici qu'il n'y a pas réellement de normes HQE. Cela relève d'une démarche, d'un certain nombre de choix faits par les concepteurs du projet (par exemple, l'utilisation, lors de la construction, de bois cultivés en Europe dans des forêts entretenues dans une perspective de développement durable et non d'essences tropicales, rares ou menacées comme le teck). La propulsion à la voile, non polluante, sera utilisée en priorité. Les déchets à bord seront pleinement recyclés, les eaux usées traitées avant d'être rejetées à la mer (ce qui permettra peut être l'application de la marque CLEANSEA ou de la marque CLEANSEA SUPER au navire). Ainsi, des caisses sanitaires sont mises en place à bord du navire, qui récupèrent toutes les eaux usées et sont accompagnées d'une centrale de retraitement qui permettra de rejeter à la mer des eaux parfaitement pures.

Deux autres objectifs du projet vont également pouvoir se coupler parfaitement : le Cargo solidaire, cargo mixte, est conçu pour permettre à tous (y compris les personnes handicapées) de naviguer, et pour organiser le transport de marchandises estampillées commerce équitable à travers le monde, et ce, au profit d'organisations non gouvernementales (ONG). Ce caractère de mixité va poser inéluctablement la question de la catégorie du navire et du type de règlements à appliquer, notamment lors de la construction. Il semble cependant à première vue que la réglementation « navire de charge » s'appliquera à la partie fret du navire et celle « navire à passagers » à la partie passager.

Concernant l'objectif de permettre la navigation pour tous, il faut noter que, outre la péniche Cap Vert, une expérience similaire a eu lieu sur deux navires en Angleterre, le Lord Nelson et le Tenacious. L'objectif qui présidait à leur construction était de permettre à un équipage mixte, composé en partie de personnes handicapées, de naviguer autour du monde. Il n'y a pas de passager sur ces navires. Chacun participe aux manoeuvres et est considéré comme un membre d'équipage. Ces expériences réussies prouvent l'attente qui peut exister dans le domaine. En effet, le Lord Nelson, depuis son voyage inaugural en 1986, a embarqué 22 908 passagers dont 8 970 personnes souffrant d'un handicap, parmi lesquelles 3 509 se trouvaient en fauteuil. Le Tenacious, qui navigue depuis 2000, a embarqué 5 764 passagers, parmi lesquels 2 215 handicapés et 773 personnes se trouvant en fauteuil roulant2(*).

Le Cargo solidaire a largement intégré cette dimension. En effet, il peut accueillir 48 passagers, dont 16 personnes handicapées à son bord. Ces passagers seront accompagnés par un équipage de 34 personnes. Ils ne seront donc pas des membres de l'équipage, comme sur les deux navires anglais3(*), mais le but reste tout de même de les faire participer, dans une certaine mesure, aux manoeuvres du cargo, comme le prouvent les recherches actuellement menées sur l'automatisation ou la semi-automatisation de l'ensemble du gréement pour faciliter cette participation des personnes handicapées.

L'objectif de permettre la navigation à tous va imposer un certain nombre de contraintes aux concepteurs du projet. Ceux-ci ont intégré l'idée, et ont mis en place à bord un espace médicalisé, pour permettre l'accompagnement des personnes handicapées. Les normes de sécurité et la conception des cabines ont été pensées en conséquence.

Le Cargo solidaire peut accueillir à son bord 20 conteneurs, ce qui permettra d'assurer la réalisation d'un autre objectif, le transport de marchandises commerce équitable, en partenariat avec des ONG. Cette idée découle de l'histoire même de Nantes, port esclavagiste, et de la volonté d'inverser le commerce triangulaire, afin d'instaurer plus d'équité dans les relations Nord/Sud. Le Cargo solidaire sera donc affrété pour transporter des marchandises commerce équitable, qui lui seront confiées par des ONG, au prix du marché. Mais également, le Cargo solidaire pourra transporter, au profit d'ONG, des marchandises non estampillées commerce équitable, comme des médicaments ou des vêtements. Leur transport à bord du navire est une excellente vitrine pour ces associations.

Il convient de rappeler ici quelques règles afférentes au commerce équitable. Il est né dès la fin des années 40 avec les américains de Thousand Villages, puis dans les années 50 en Europe avec Oxfam, actuellement l'ONG la plus puissante dans le domaine. Cependant, la prise de conscience était beaucoup plus ancienne, et, dans l'édition originale de Max Havelaar ou les ventes de café de la compagnie commerciale des Pays Bas de 1860, on retrouve cette phrase : « Ils sont très rares, très rares, les Européens qui ne croient pas inutile de condescendre à observer les émotions de ces outils à produire le café ou le sucre que l'on nomme les indigènes. »4(*). Le principe connaîtra sa consécration au niveau international avec le célèbre slogan adopté lors de la deuxième conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement de 1968 : « Trade, not aid ». Une définition au niveau international a été donnée : « Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue et la transparence et le respect, dont l'objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la Planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s'engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l'opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce équitable. »5(*). Le principe premier du commerce équitable est la garantie donnée aux petits producteurs de commercialiser leurs produits à des prix plus rémunérateurs que les cours mondiaux. C'est également une garantie de relative stabilité des prix et la mise en place de conditions et de délais de paiement, voire des possibilités de préfinancement, qui évitent aux paysans et aux artisans de brader leurs produits ou d'avoir recours à des prêts usuriers6(*).

Cet objectif de solidarité, de pratique des solidarités, se retrouve aussi dans le dernier objectif du projet : la formation et la réinsertion pour tous. Le chantier de construction s'étalera sur sept ou huit ans, par tranches de deux ans avec des objectifs précis pour chacune de ces tranches. La rapidité n'est pas un critère déterminant ici. Le but est de permettre à une centaine de personnes par an de se réinsérer ou de se former sur le chantier. Il faut valoriser l'être humain par son travail.

Cet objectif sera atteint par des partenariats avec les écoles de la région et avec les organismes de réinsertion professionnelle. L'ouverture du chantier au public permettra de rendre compte de l'état d'avancement des travaux et aussi de présenter les différents métiers de la Navale, dans une optique de diffusion et de valorisation des savoirs.

Ainsi, après cette présentation des différents objectifs du projet, une idée force apparaît : le Cargo solidaire (justement qualifié d'utopie réaliste) est un outil permettant la pratique des solidarités, et même, au-delà, un projet fondé uniquement sur cette pratique des solidarités.

- Présentation de l'état actuel du projet

La particularité du projet est d'être mené par une association, « Le Cargo solidaire ». Cette association a été constituée le 11 octobre 2006 et, suite à la déclaration en préfecture, une insertion reprenant certains éléments de la déclaration afin de faire connaître la constitution de l'association aux tiers fut faite dans le Journal Officiel de la République Française le 25 novembre 2006. En juillet 2007, l'association continuait à oeuvrer, multipliant les démarches près des partenaires potentiels et recherchant des subventions. Le lancement de la construction est prévu en 2008.

Le choix de la forme associative s'accorde parfaitement avec les objectifs du projet, mais de ce choix, vont découler un certain nombre de spécificités. On ne se trouve pas, ici, dans un cadre classique de construction et d'exploitation d'un navire. Un rapide état des lieux est nécessaire avant de développer une problématique.

L'association qui va mettre en oeuvre ce projet est une association déclarée loi de 1901. En matière de droit français des associations, les grands textes fondateurs sont la loi du 1er juillet 1901 et son décret d'application du 16 août 19017(*). La loi de 1901 opère une distinction entre quatre types d'associations : les associations non déclarées, les associations déclarées, qui ont une capacité réduite et ne peuvent en principe recevoir des dons et legs, les associations reconnues d'utilité publique, et les associations agrées8(*). Il faut noter également qu'existe un projet d'association européenne, destiné aux associations dont le champ d'activité s'étend à plus d'un Etat membre de l'Union Européenne et aux associations qui veulent agir en commun au niveau européen. Si ce projet voit le jour, il sera peut être intéressant pour le Cargo solidaire d'y prendre part, afin de donner une dimension supplémentaire au projet.

La déclaration à la préfecture ou à la sous préfecture est nécessaire pour faire acquérir à l'association la personnalité morale. En effet, une association non déclarée n'aura pas la personnalité morale vis-à-vis des tiers. Dans le cadre de l'association « Le Cargo solidaire », la déclaration fut faite à la préfecture. Depuis, l'association « Le Cargo solidaire » jouit donc de la personnalité morale, a un nom, un domicile, une nationalité (ici, la nationalité française), et un patrimoine propre qui ne se confond pas avec celui des membres. De plus, l'association peut passer des contrats avec des tiers, agir en justice par l'intermédiaire de ses représentants, et être elle-même représentée devant les tribunaux. Cependant, il est coutumier de dire que l'association déclarée ne jouit que d'une demi-personnalité morale, en ce qu'il y existe un certain nombre d'actes qu'elle ne peut accomplir, notamment recevoir des libéralités. Ce point sera développé plus tard.

Les statuts de l'association, formalité indispensable pour sa constitution, sont dans l'ensemble classiques et conformes au droit en vigueur, c'est-à-dire à la loi de 1901 et à son décret d'application9(*). Le siège de l'association se trouve à Nantes, et l'article 3 des statuts confère le pouvoir de changer le siège au conseil d'administration, ce qui est le plus simple. En effet, en l'absence de dispositions expresses dans les statuts, le pouvoir d'effectuer toute modification statutaire revient à l'assemblée des membres (générale ou extraordinaire), ce qui constitue une procédure longue et lourde.

L'association « Le Cargo solidaire » est constituée pour une durée illimitée, sa dissolution peut être prononcée à n'importe quel moment. Pour devenir membre de cette association, aucune condition de fond n'est posée, il suffit simplement d'adhérer aux statuts et de s'acquitter de sa cotisation. Peuvent être membres des personnes physiques ou morales. L'article 7 des statuts énonce les quatre cas classiques de perte de la qualité de membre : le décès, la radiation, la démission ou le non paiement de la cotisation.

Il est à noter que l'article 12 des statuts prévoit la rédaction d'un règlement intérieur qui viendra compléter les dits statuts. Ce règlement n'a toujours pas été adopté. Il est recommandé à l'association de le faire, afin de garantir l'homogénéité et la sûreté des règles lorsque l'association prendra de l'ampleur (au moment du lancement de la construction). Il sera nécessaire à ce moment là de préciser de nombreux points, aussi divers que les contrats de travail, les assurances, la tenue d'une comptabilité, etc... Le règlement intérieur peut être modifié assez facilement (contrairement aux statuts qui exigent la tenue d'une assemblée générale) : il suffit d'une décision du conseil d'administration portée à la connaissance des membres (par exemple, par voie d'affichage dans les locaux de l'association).

Les ressources de l'association sont nombreuses : cotisations, ventes de produits ou de services fournis par l'association, subventions, dons manuels, et toutes autres ressources non contraires au droit en vigueur. Ces ressources ne posent pas problème, la loi de 1901 disposant que « toute association régulièrement déclarée peut, sans autorisation, recevoir des dons manuels ainsi que des dons des établissements d'utilité publique »10(*). Cependant, l'article 17 de cette même loi interdit formellement aux associations déclarées de recevoir des dons et legs, soit directement, soit par personnes interposées, soit indirectement et cet article déclare nuls tous actes entre vifs ou testamentaires.

L'un des problèmes majeurs du projet « Le Cargo solidaire » est de trouver le financement suffisant pour assurer la construction du navire. Cette disposition ne va-t-elle priver l'association de ressources financières appréciables ? Une catégorie spéciale d'association a le droit de recevoir des dons et legs : il s'agit des associations déclarées d'utilité publique. Ces associations doivent présenter un intérêt particulier pour la collectivité nationale : elles doivent être d'une importance certaine et poursuivre un but d'intérêt général. C'est le ministre de l'Intérieur qui, après avis du Conseil d'Etat, signera un décret de reconnaissance d'utilité publique. Cependant, la reconnaissance d'utilité publique, si elle octroie certains avantages, fait également peser sur l'association un grand nombre de contraintes, en matière de fonctionnement interne notamment11(*). Il faut se demander si réellement, elle sera de quelque utilité à l'association « Le Cargo solidaire ».

Il semble que non. L'objet même de l'association devrait lui permettre de bénéficier d'une exception. En effet, un certain nombre de textes ont admis que des associations simplement déclarées puissent recevoir des dons et legs, notamment les associations d'assistance et de bienfaisance, catégorie dans laquelle pourrait rentrer « Le Cargo solidaire »12(*). De plus, le législateur a largement encouragé la pratique des dons en espèces faits au profit d'oeuvres ou d'organismes d'intérêt général, de caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social ou familial, puisqu'il autorise à déduire du montant de leur bénéfice imposable ces versements, dans une certaine limite. Cela permettrait d'encourager les dons faits à l'association.

Le budget de construction est très élevé13(*), et les membres de l'association n'ont pas misé sur l'apport de libéralités pour parvenir à le constituer. Les apports consistent davantage en subventions, mécénat, ventes de produits dérivés et visites guidées du chantier. La forme de l'association, association déclarée, convient parfaitement au projet, puisqu'il n'est pas fait appel, pour le moment, à des libéralités.

Trois organes vont présider au fonctionnement de l'association, dont l'un est plus spécifique au Cargo solidaire. Tout d'abord, la classique assemblée générale ordinaire, composée de tous les membres de l'association, qui se réunit une fois par an au minimum, valide les comptes et adopte certaines lignes directrices. Le même organe sera dénommé assemblée générale extraordinaire lorsque, par exemple, une modification statutaire ou une nécessaire dissolution ne peuvent attendre la convocation à une date normale de l'assemblée générale ordinaire.

Ensuite, on trouve le conseil d'administration, dont la particularité est d'être composé de neuf co-présidents14(*). Ce conseil d'administration met en oeuvre les décisions de l'assemblée générale et se charge du fonctionnement au quotidien de l'association.

Enfin, un troisième organe, moins classique, existe. Il s'agit du comité d'éthique, crée par l'article 10 du statut, qui est « garant du respect de l'objet de l'association ». Ce comité est constitué par les membres fondateurs de l'association, excepté les co-présidents pendant la durée de leur mandat. Avec ce comité d'éthique et l'objet de l'association, on va toucher le coeur même du problème, la véritable particularité juridique du projet.

Quelle est la raison d'être de ce comité d'éthique ? De garantir le respect de l'objet de l'association. L'objet de l'association, défini dans l'article 2 des statuts, est « la construction et l'exploitation, fondée sur la pratique des solidarités, d'un cargo mixte à voiles ». Le risque de dérive ne se situe certainement pas du côté de la construction et de l'exploitation. Ces deux thèmes sont suffisamment larges pour englober une grande catégorie d'actes s'y rattachant, sans que l'on sorte de l'objet de l'association. Le risque pèse bien sur la formule « fondée sur la pratique des solidarités ».

En effet, c'est commercer que de construire et d'exploiter un navire, et ce type d'activités est plutôt réservé aux sociétés. L'association est un groupement civil par nature, tandis que la société est un groupement commercial. Une différence fondamentale existe entre eux. La société, suivant l'article 1832 du Code Civil, « est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager ce bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ». Le but d'une association ne pourra jamais être de réaliser des bénéfices en vue de les partager entre ses membres. Si cela était, le juge requalifiera l'association en société crée de fait15(*).

Cependant, la ligne de démarcation entre société et association a tendance, au fil du temps, à devenir de plus en plus floue. Il est très fréquent que des associations aient une activité économique (activité qui consiste à produire ou distribuer des biens et des services). Il arrive donc qu'elles réalisent des bénéfices (cette hypothèse est envisagée dans le budget prévisionnel d'exploitation du Cargo solidaire).

La réalisation de tels bénéfices n'est pas interdite, c'est leur partage entre les membres de l'association qui l'est. Ces bénéfices devront être nécessairement réaffectés à la réalisation du but poursuivi par l'association ou mis en trésorerie.

Il arrive aussi que l'activité économique englobe également la réalisation d'actes de commerce. L'association, si elle ne veut pas se voir qualifiée de commerçante, devra accomplir ces actes de façon accessoire à son activité principale, et ces actes devront lui permettre de réaliser son objet statutaire. En effet, l'article 1er du Code de Commerce dispose que « sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ». Les deux critères retenus ici (exercice habituel d'actes de commerce et exercice à titre professionnel) pourront trouver à s'appliquer à bien des associations, qui deviendront alors des associations commerçantes et se verront appliquer les règles du droit commercial : rien, dans la loi de 1901, n'interdit en effet à une association d'être commerçante.

On le voit, la frontière est souvent ténue entre l'association et la société. Différentes dans la théorie, elles se ressemblent plus qu'il n'y paraît au premier abord dans la pratique. En particulier, dans le cas du Cargo solidaire, le risque d'une dérive apparaît nettement. Il est aisé d'imaginer, à terme, une association fonctionnant comme n'importe quelle société, organisant des voyages et des affrètements en se servant d'une vague image « solidaire », et réalisant des bénéfices qu'elle partagerait entre ses différents membres. L'activité de l'association ne serait plus désintéressée et risquerait la requalification en société de fait.

Il faut garder intact l'esprit du projet voulu par les fondateurs : la construction et l'exploitation d'un navire dans un but désintéressé. Ce sont donc toute la particularité, toute la richesse, tout l'intérêt même du projet qui vont s'exprimer ici. On se trouve en présence de deux activités classiques du droit maritime : la construction et l'exploitation d'un navire, activités normalement tournées vers la réalisation de bénéfices. Ces deux activités vont être mises au service d'un objectif ambitieux : la pratique des solidarités, pratique garantie à la fois par le comité d'éthique et par l'article 2 des statuts de l'association.

Le problème qui se pose, qui sous tend alors toute cette réflexion est forcément axé sur cette originalité du projet. Toute la question, alors, est de savoir si la pratique des solidarités, véritable coeur du projet, conduit à envisager des solutions différentes de celles que l'on trouve classiquement. Quelles sont les spécificités dans la construction et l'exploitation du Cargo solidaire qui découleront de cette finalité première et nécessaire qu'est la pratique des solidarités ?

La réponse va être amenée en deux temps : tout d'abord (Titre I), en étudiant de l'origine à la construction un projet basé sur la pratique des solidarités. Comment, du financement à la fin du chantier, va-t-on réussir à combiner les règles classiques du droit maritime avec des règles innovantes qui reprendront les différents objectifs du projet ? Ensuite (Titre II), en concentrant la réflexion sur l'exploitation non lucrative mais économique d'un navire. Cette exploitation ne peut donc être tournée uniquement vers la réalisation de bénéfices. La garantie de l'esprit du projet exige même qu'elle se fasse dans un esprit strictement désintéressé. Mais elle sera aussi nécessairement économique, tout simplement parce qu'un budget équilibré sera nécessaire à l'association pour perdurer.

* 1 www.penichecapvert.com/ .

* 2 www.jst.org.uk/: site du Lord Nelson et du Tenacious.

* 3 Encore que la question reste à discuter si le cargo solidaire rentre dans la catégorie des navires spéciaux (cf Titre I, Chapitre II, Section I, §2).

* 4 Source : www.equiterre.com

* 5 Définition élaborée par les acteurs du Nord et du Sud impliqués dans le commerce équitable et regroupés au sein de FINE, groupe de travail regroupant quatre structures internationales de commerce équitable (FLO-I, IFAT, NEWS et EFTA).

* 6 Pour toute information complémentaire relative à la législation sur le commerce équitable, voir http://www.artisansdumonde.org/legislation-commerce-equitable.htm

* 7 Autres textes applicables aux associations et pertinents dans le cas du Cargo solidaire : les articles du Code Civil relatifs aux contrats ; les articles L-612-1 et suivants du Code de Commerce dont les conditions d'application sont fixées par le décret du 1er mars 1985 en ce qui concerne les associations ayant une activité économique (comme « Le Cargo solidaire ») ; les articles L-610-1 et suivants du Code de Commerce relatifs au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ; la loi n° 85- 698 du 11 juillet 1985 autorisant l'émission de valeurs mobilières par certaines associations ; le décret n°86-469 du 15 mars 1986 et la loi n°87-518 du 10 juillet 1987 sur les associations d'assistance et de bienfaisance ; la loi n°92-645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d'exercice des activités relatives à l'organisation et à la vente de voyages ou de séjours et son décret d'application n°94-490 du 15 juin 1994 ; et enfin, sur les conditions d'octroi d'aides publiques, la circulaire du Premier Ministre du 24 décembre 2002 relative aux subventions de l'Etat, JO du 27 décembre 2002, p. 21697.

* 8 Il faut noter que certaines activités sont uniquement réservées aux associations ayant obtenu un agrément, et notamment les activités d'organisation de voyages et de séjour. L'association « Le Cargo solidaire » aura-t-elle besoin de cet agrément ? Dans la partie II de ce mémoire, il sera retraité de ce point important.

* 9 L'article 1 des statuts prévoit l'application de la loi de 1901 et de son décret d'application.

* 10 Loi 1er juillet 1901, art. 6.

* 11 C'est, entre autres, l'obligation d'adopter des statuts types, ce qui poserait problème pour le maintien du comité d'éthique, organe non classiquement prévu en droit des associations.

* 12 C'est la loi du 14 janvier 1933 qui prévoit cela, à la condition que l'autorisation d'accepter les dons et legs ait été donnée par décret pris en Conseil d'Etat.

* 13 38 856 000 euros aux dernières estimations.

* 14 Pour les dénominations et fonctions des co-présidents, se reporter aux statuts insérés dans les annexes.

* 15 Pour un exemple de requalification, voir C. Cass. 2 mars 1982, BCI n°85.

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