L'engagement francais dans le processus d'internationalisation des droits de l'hommepar Aurelia Kergueno epouse Peuch Université Pierre Mendes France de Grenoble - DEA "histoire, droit, droits de l'homme" 1996 |
B-Promotion et protection universelles des droits de l'homme1-Droits de l'homme et Charte des Nations Unies a) Quelle place? "Relevant jusqu'alors, par excellence, de la "compétence exclusive" des Etats[...], les droits de l'homme ne peuvent plus être ignorés de la sphère internationale dès lors que leur négation par les Puissances de l'Axe est tenue pour l'une des causes principales de l'éclatement du conflit; la réalisation du premier des buts des Nations Unies, le maintien de la paix et de la sécurité internationales89(*),, exige le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, institué, lui aussi, en objectif essentiel de l'organisation tant par l'alinéa 2 du préambule que par l'article 1er, paragraphe 3, de la Charte."90(*)
En effet, dans le préambule, immédiatement après avoir affirmé leur volonté de "préserver les génération futures du fléau de la guerre" (§1), les signataires de la Charte se déclarent résolus à proclamer leur foi (§2): "dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites." L'article 1 de la Charte ne relie pas explicitement le maintien de la paix au respect des droits de l'homme. En revanche, son paragraphe 3, qui institue comme un but des Nations Unies la réalisation de la coopération internationale, établit un rapport direct entre cette réalisation et, d'une part, la résolution des problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, d'autre part le développement et l'encouragement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion91(*). Pour René CASSIN, le premier progrès consacré par la Charte réside dans l'idée de placer comme base de l'Organisation, l'interdépendance entre paix et sécurité internationales d'une part, et des conditions meilleures de bien-être économique et social et le respect des droits de l'homme, d'autre part92(*). b) Quel contenu? Les libertés sont fictives sans garanties sociales et économiques, c'est pourquoi les Nations Unies ont résolu de "favoriser le progrès social" et d'"instaurer de meilleures conditions de vie"93(*). Pour y parvenir, le meilleur moyen est la coopération entre les nations, qui permettra de résoudre les problèmes internationaux d'ordre économique, intellectuel ou humanitaires94(*). Le professeur Maurice FLORY observe95(*) que le développement d'une coopération internationale dans le domaine sensible des droits de l'homme tend à réduire la zone d'application de l'exception du domaine réservé96(*). Les droits de l'homme relèvent d'abord de la politique interne à chaque pays, mais ils découvrent progressivement la situation d'interdépendance dans laquelle ils se trouvent en la matière. La coopération que l'Assemblée générale a la charge de développer, s'adresse aux Etats, mais dès lors qu'il est question de droits de l'homme, c'est l'individu qui en devient le bénéficiaire. Cette analyse s'inscrit dans l'idéal démocratique qui apparaît dans la Charte dès ses premiers mots par l'utilisation de l'expression "peuples des Nations Unies". Elle tranche avec l'usage de la formule classique de "Hautes Parties Contractantes" qui était celle du Pacte de la S.D.N. Dans un régime démocratique, les traités, comme tous les actes engageant le vie de l'Etat, sont en effet conclus par les représentants du peuple et en son nom. Les rédacteurs de la Charte ont précisé leur intention de promouvoir et de protéger les droits de l'homme dans l'article 55, alinéas a, b, c de la Charte qui assigne à l'Organisation économique et sociale des Nations Unies une triple mission correspondant au but visé par l'article 1, alinéa 3. Pour créer des conditions nécéssaires à la paix, les Nations Unies favoriseront le "respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales". La Charte érigea la protection internationale des droits de l'homme au nombre des devoirs primordiaux incombant aux organes principaux des Nations Unies. L'Assemblée générale reçut la charge de provoquer des études et de faire des recommandations en vue de "faciliter pour tous (...) la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales"97(*). Sa troisième Commission, ou Commission des questions sociales, humanitaires et culturelles, qui siège à New York, examine notamment les rapports de la Commission des droits de l'homme de l'E.C.O.S.O.C. Celui-ci est en effet placé sous l'autorité de l'Assemblée générale. Sans entrer pour le moment dans les détails, il faut noter que de par sa fonction de coordination des activités économiques, et surtout sociales, de l'Organisation, il est l'organe principal dans le domaine des droits de l'homme. Il est habilité à "faire des recommandations en vue d'assurer le respect effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous" (article 62, alinéa 2). Le conseil de sécurité est responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales, ce qui lui confère deux rôles essentiels: le réglement des conflits et la lutte contre les agressions. Il intervient ainsi, lorsque le maintien de la paix peut être menacé par des attentats aux droits de l'homme, sur le fondement des articles 24, 34 et 39. La Cour internationale de justice est l'organe judiciaire principal des Nations Unies. L'Assemblée générale et le Conseil de sécurité peuvent lui demander un avis consultatif sur toute question juridique. Ce n'est qu'à partir de 1949 que la Cour a été amenée, à travers des arrêts dont la question des droits de l'homme n'était pas l'objet, à s'interroger sur la valeur juridique des droits fondamentaux et à se prononcer sur la nature et l'étendue des obligations qui pèsent sur les Etats98(*). Cette protection a été complétée, comme nous allons le voir, par la prévision de l'institution d'un organe subsidiaire du Conseil économique et social, chargé de veiller au progrès des droits de l'homme. 2-La création d'une Commission des droits de l'homme à l'O.N.U. "Du discours au Congrès du Président ROOSEVELT à la Conférence de San Francisco, les raisons du combat secrètent les buts d'après la victoire. Dès lors l'idée s'impose qu'aucune paix ne saurait être établie durablement sans que le respect universel des droits de l'homme ne soit garanti sur le plan international. Et, fruit d'une maturation douloureuse, la Commission des droits de l'homme qui sera instituée dans le cadre de la nouvelle organisation mondiale, devra être la pierre de touche de cette garantie."99(*). La Commission des droits de l'homme a été créée en 1946 sur la base de l'article 68 de la Charte des Nations Unies, qui autorisait au Conseil économique et social d'instituer "des commissions pour les questions économiques et sociales et le progrès des droits de l'homme [...]". Dès sa première session, tenue à Londres au début de l'année 1946, l'Assemblée générale, approuva les recommandations de la Commission préparatoire des Nations Unies de la fin de l'année 1945 relatives à l'institution de la Commission des droits de l'homme100(*). Saisie des projets de déclaration internationale déposés par les délégations de Cuba et de Panama, elle décida de renvoyer la question à la Commission des droits de l'homme, exprimant ainsi l'espoir de voir la question inscrite à l'ordre du jour de sa deuxième session. Ce fut donc très rapidement que la Commission s'attela à la tâche. a) Organisation de la Commission Un Comité initial de neuf personnes , dénommé Nuclear Commission, fut réuni par le Conseil économique et social avant de créer définitivement la Commission. Elus par l'E.C.O.S.O.C. pour leurs compétences et vertus personnelles, ses membres étaient chargés d'exprimer des recommandations au Conseil tant sur les termes du mandat que sur la composition définitive de la Commission. Le Comité élut E. ROOSEVELT (Etats Unis) comme présidente, R. CASSIN (France) comme vice-président et K.C. NEOGI (Inde)101(*) lors de sa réunion du 29 avril 1946 à Hunter College et entendit les suggestions présentées par les grandes associations internationales s'intéressant à la protection des droits de l'homme qu'il avait convoqué à cet effet. Il formula ses propositions dans un rapport qu'il remis à l'E.C.O.S.O.C. Le Comité initial recommanda que la Commission plénière fut composée de 18 membres, élus pour trois ans et renouvelables par tiers, et qu'elle soit assistée de trois sous-commissions (liberté d'information, protection des minorités, droits de la femme). Le conseil l'a suivie sur ces points. En revanche, il n'a pas ratifié les propositions du Comité quant à la qualité des membres de la future Commission. Celui-ci avait en effet proposé que les membres soient des personnalités indépendantes siégeant à titre individuel, mais le Conseil a préféré leur conférer le statut de délégués du gouvernement. Ce choix présentait un inconvénient majeur: "[la Commission] n'a pas pu, quels qu'aient été les mérites individuels de ses membres, manifester, dans des moments décisifs, cette indépendance qui eût été nécessaire pour en faire l'organe de tout premier rang préposé au développement d'une action absolument nouvelle des Nations Unies."102(*) La première session de la Commission définitive des droits de l'homme se tint en janvier-février 1947. Parmi ses dix-huit membres, on comptait P.C. CHANG, vice-président chinois; C. MALIK, rapporteur libanais et R. CASSIN. Ils furent assistés du juriste canadien J.P. HUMPHREY. b) Mandat de la Commission. L'E.C.O.SO.C. prit, le 16 février 1946, lors de sa première session, une résolution dans laquelle il déterminait le mandat de la Commission en plaçant en tête l'élaboration d'une déclaration. Le paragraphe 2 de la résolution est explicite sur ce point103(*): "Elle aura pour tâche de présenter au Conseil des propositions, recommandations et rapports concernant: a) Une déclaration internationale des droits de l'homme; b) des déclarations et conventions internationales sur les libertés civiques, la condition de la femme,la liberté de l'information et les questions analogues; c) la protection des minorités; d) la prévention des discriminations fondées sur la race, le sexe, la langue ou la religion." Au début de 1947,le Conseil économique et social élargit le mandat de la Commission en ajoutant un point e) ainsi conçu104(*): "Toute autre question relative aux droits de l'homme, qui ne serait pas visée par les points a), b), c) et d). La résolution de 1946 prévoyait en outre que la Commission ferait des études, formulerait des recommandations, fournirait des informations à la demande de l'E.C.O.S.O.C.(§3). * 89 Article 1, § 1 de la Charte de l'O.N.U.. * 90 Jean-Pierre COT et Alain PELLET, La Charte de l'O.N.U., commentaire article par article ,p.12. * 91 Chapitre I, article 1, alinéa 3 de la Charte de l'O.N.U.. * 92 René CASSIN, op.cit. p. 248. * 93 Préambule, alinéa 4. * 94 J-B. DUROSELLE, op.cit, pp.481 et 482. * 95 Dans son commentaire de l'article 13, §1, b in La Charte de l'O.N.U., commentaire article par article , pp. 139 et s. * 96 Article 2, §7 de la Charte de l'O.N.U., excluant de la compétence de l'Organisation "les affaires qui relèvent essentiellement de la copétence nationale d'un Etat". Le Pacte de la S.D.N. parlait quant à lui, dans son article 15, de question laissée à la "compétence exclusive" de chaque Etat. * 97 Article 13, §1,b, de la Charte de l'O.N.U.. * 98 Affaire du détroit de Corfou opposant le Royaume Uni à l'Albanie. La Cour a pris en compte "certains principes généraux et bien reconnus, tels que des considérations élémentaires d'humanité". * 99 Jean-Bernard MARIE, op.cit.,p.14. * 100 Jean-Bernard Marie, op.cit.,p.40. * 101 U.N.E.S.C.O., La Déclaration universelle des droits de l'homme, pp.11 à 17. * 102 René CASSIN, op.cit.,1951, p. 260. * 103 René CASSIN, op.cit., p.258. * 104 René CASSIN, op.cit., p.261. |
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