L'engagement francais dans le processus d'internationalisation des droits de l'hommepar Aurelia Kergueno epouse Peuch Université Pierre Mendes France de Grenoble - DEA "histoire, droit, droits de l'homme" 1996 |
A- Du système des Alliances à l'organisation internationale de garantie de la paix: la position françaiseLe 8 janvier 1918, le Président WILSON formula un message en quatorze points. Le point 14 annonçait que le réglement de la paix, pour être durable, devait établir une organisation nouvelle des relations internationales12(*). L'établissement d'une Société des Nations devait "offrir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux petits comme aux grands Etats". La thèse de Scott G. BLAIR, intitulée "La France et le Pacte de la Société des Nations", a mis en évidence la complexité de la politique et de la diplomatie françaises à l'égard de la préparation du Pacte instituant l'organisation. Pour certains Français, il s'agissait d'une entreprise propice et inespérée; pour d'autres, d'une aventure redoutée et maléfique. Le 25 janvier 1919, une semaine après l'ouverture de la Conférence de la paix à Paris, la Conférence plénière adopta la résolution portant création de la S.D.N. Le désir de forger une organisation de maintien de la paix existait depuis plusieurs siècles déjà. Mais ce ne fut que durant la première guerre mondiale qu'il existât des hommes suffisamment nombreux, motivés et influents pour transformer cette idée en réalité13(*). La violence et l'étendue du conflit avaient convaincu les hommes politiques et les diplomates de la nécessité d'oeuvrer en ce sens. La Grande guerre devait être la "der des ders". Les Français affichaient une attitude générale de scepticisme. Le Président du Conseil CLEMENCEAU, tout comme le Président de la République POINCARE, n'avaient pas caché dans leurs discours qu'un traité de paix juste devait se fonder non pas sur une organisation internationale mais sur la punition de l'Allemagne. Si elle voyait cependant le jour, la Société devait alors se munir, selon les français, de toute une série de sanctions économiques, juridiques, politiques et militaires, et disposer d'une armée de contingents nationaux placés sous le commandement d'un Etat-Général international. Cette vision musclée du maintien de la paix était inconciliable avec la conception anglo-américaine. Le Président WILSON par exemple préférait des accords généraux de paix garantis, non par une force militaire, mais par le poids de l'opinion publique14(*). CLEMENCEAU notamment était attaché au système des Alliances. Il n'envisageait pas qu'une Société des Nations puisse un jour le remplacer, mais il acceptait qu'elle devienne une "garantie supplémentaire"15(*): "Si l'équilibre, qui s'est spontanément produit pendant la guerre, avait existé auparavant, si l'Angleterre, l'Amérique, la France et l'Italie étaient tombées d'accord pour dire que quiconque attaquait l'une d'entre elles attaquait tout le monde, la guerre n'aurait pas eu lieu. Il ne doit rien arriver qui puisse séparer dans l'après-guerre les quatre puissances qui étaient réunies dans la guerre." Comme l'écrit l'historien Pierre MIQUEL16(*), l'essentiel, pour CLEMENCEAU était de concevoir la S.D.N. comme une alliance des peuples victorieux donnant à la France un surcroît de sécurité. Léon BOURGEOIS encore, représentant de la France à la S.D.N. (nommé par CLEMENCEAU) devait plus tard s'exprimer sur la question: pour lui, la S.D.N.serait fondée sur "l'obéissance à la volonté commune des Nations civilisées", sous-entendu sur une alliance contre les pays non civilisés tels l'Allemagne17(*). La position française s'opposait donc à l'esprit de réconciliation de WILSON pour qui la simple assemblée des puissances victorieuses ne pourrait constituer une Société des Nations. En juillet 1917, Alexandre RIBOT, Président du Conseil français, transféra la question de la S.D.N. à un comité officiel crée spécialement pour gérér en France tout développement à ce sujet. Il fut créé une Commission interministérielle d'études pour la Société des Nations (C.I.E.S.N.), présidée par Léon BOURGEOIS. Elle rédigea un projet, mais il n'est pas certain que ce projet ait été déposé au bureau de la Commission internationale de la S.D.N. chargée de rédiger le Pacte définitif de la nouvelle organisation, lorsque, au cours de la première séance du 3 février 1919, le plan anglo-américain fut adopté18(*). Ce fut ainsi à l'écart des Français qu'Américains et Britanniques rédigèrent l'avant-projet du Pacte (plan HURST-MILLER) et qu'ils le firent adopter par la Commission. L'historien Pierre RENOUVIN écrit à ce propos19(*): "Le projet français dont le principal auteur est Léon BOURGEOIS n'a aucun rôle: en fait, les délégués français sont pratiquement tenus en dehors des travaux préparatoires." CLEMENCEAU apporta finalement l'appui de la France à la création de la Société des Nations, afin de gagner le soutien du Président WILSON pour certaines revendications traditionnelles françaises en matière de sécurité20(*). Mais l'absence de consensus touchant au sens et à la portée de la future S.D.N., causa un préjudice certain à l'affirmation de la position française21(*).
Le Pacte constitutif de la S.D.N. fut adopté par les Alliés et incorporé au Traité de Versailles. Il comportait trente-deux membres fondateurs dont, paradoxalement, les Etats-Unis ne firent pas partie22(*). Le siège de la Société fut fixé à Genève. Son Assemblée était formée de délégués désignés par les Gouvernements et chaque Etat y disposait d'une voix. Son Conseil, composé de membres permanents (les "grandes puissances") et de membres non permanents élus par l'Assemblée, était , en somme, le pouvoir exécutif23(*). Une Cour permanente de justice internationale, fut créée en exécution de l'article 14 du Pacte de la S.D.N.24(*). Elle se composait de quinze membres, siégeait à La Haye et tranchait les différends entre les Etats qui avaient seuls qualité pour se présenter devant elle (article 34 du Statut de la Cour). Quelles que soient ses motivations, la France était donc entrée à la Société des Nations. Elle acceptait ainsi qu'une organisation internationale puisse garantir le maintien de la paix. Or, comme on le sait, la paix repose sur de nombreux facteurs imbriqués. En 1919, il n'était pas encore question d'établir un lien entre le maintien de la paix et le respect des droits de l'homme. Comme le soulignait René CASSIN, le Pacte de la S.D.N. ne contenait aucune disposition relative à ces droits . "Le Pacte de la Société des Nations ne mentionnait nulle part le principe général des droits de l'homme: il reste imprégné de la souveraineté des Etats et il fait reposer le droit international sur les seuls Etats."25(*) le Pacte n'en a cependant pas moins participé, de façon incidente, à la maturation de l'idée selon laquelle le respect des droits de l'homme nécéssite l'élaboration d'institutions globales de sauvegarde. Cette contribution s'exprima notamment26(*) à travers trois sytèmes de protection mis en place par la S.D.N.: le système des minorités, celui des mandats ainsi que celui du travail. Tous trois en effet eurent comme implication la garantie des droits des individus appartenant à certains groupes et la France y marqua son empreinte. * 12V. ce message en annexe n.1, cité par Pierre RENOUVIN in Le traité de Versailles. pp.118 à 120. * 13 Scott BLAIR, op.cit., p. 4. * 14Ibidem, p. 357. * 15Ibidem, pp. 372 et 373. * 16 Pierre MIQUEL, La paix de Versailles, pp. 167-173, cité par Scott BLAIR, ibidem, p.429. * 17 Discours de Léon BOURGEOIS exprimé devant WILSON le 25/01/1919, cité par Scott BLAIR,op.cit., pp.429 et s. * 18 L'incertitude est liée à l'absence de secrétariat lors des premières séances de la Commission, ibidem, p.461. * 19 Cité par Scott BLAIR, ibidem, p. 413. * 20Ibidem, p. 375. * 21Ibidem, p. 583. V. par exemple p. 595, la paralysie des efforts déployés par Léon BOURGEOIS, occasionnée par le manque de soutien de la part de CLEMENCEAU. * 22 Le Sénat refusa de donner son autorisation de ratification. Cette non-implication allait fragiliser gravement l'institution de la S.D.N. * 23 Pierre RENOUVIN, Le Traité de Versailles, p. 78. Pour plus de détails sur les organes principaux de la Société, v. en annexe n.2, DUROSELLE, Histoire diplomatique 1919-1957, pp. 70 et 71. * 24 Art. 14 du Pacte de la S.D.N.: "Le Conseil est chargé de préparer un projet de Cour permanente de justice internationale et de le soumettre aux Membres de la Société. Cette Cour connaîtra de tous différends d'un caractère international que les parties lui soumettront. Elle donnera aussi des avis consultatifs sur tout différend ou tout point, dont la saisira le Conseil ou l'Assemblée." * 25 René CASSIN, Recueil des cours de l'Académie de droit international, 1951, p.246. * 26 La S.D.N. marqua également de nombreuses avancées en matière de droit humanitaire par exemple (protection des réfugiés particulièrement), que nous nous bornons à mentionner ici, ce travail ne portant que de façon indirecte sur la S.D.N. |
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