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L'humanisation des soins en réanimation


par Laurane Gros
Institut interhospitalier Théodore Simon, Paris 13 - Infirmier  2024
  

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IV. ENQUÊTE

Méthodologie de l'enquête :

Ainsi, pour explorer ma question de départ, j'ai choisi de mener une enquête qualitative à travers quatre entretiens en présentiel, avec des infirmières de réanimation polyvalente sensibilisées au concept de l'humanisation des soins. J'aimerai recueillir leurs pratiques, leurs ressentis sur la posture empathique et leur point de vue sur la résilience des patients. Estiment-elles que la capacité à comprendre le patient puisse avoir un impact sur sa résilience ? Car il me semble que là est le coeur de l'humain dans le soin. L'objectif étant de voir en quoi l'humanisation des soins est reliée à l'empathie des soignants et à la résilience des patients en réanimation. En effet, comment ces concepts interagissent-ils entre eux ? En quoi sont-ils interdépendants ? Il m'intéressera aussi de savoir si leur posture soignante évolue avec ces soins qui privilégient l'humain.

Ces différents points de vue et expériences me permettront d'approfondir et de comparer, afin de mettre en lumière ma question de départ, qui est avant tout portée sur l'impact de l'humanisation des soins sur les patients et les soignants.

Le guide d'entretien, visible en annexe, est ainsi composé de quatre thèmes : le profil de l'infirmière et son expérience en réanimation polyvalente, le concept d'humanisation des

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soin, l'empathie des soignants et la résilience des patients. Je débuterai les sections sur l'empathie et la résilience avec une définition de la notion abordée. Ceci nous permettra de nous accorder sur la définition de ces concepts complexes. J'ai obtenu leur accord pour enregistrer les entretiens et pouvoir aisément les exploiter par la suite. Pour préserver l'anonymat lors de la restitution des résultats, j'ai changé le prénom des infirmières interrogées. Ils sont visibles en annexes.

RESTITUTION DES RÉSULTATS

1. Expérience en réanimation polyvalente :

Anna : Anna a 25 ans de réa. Elle n'a fait que de la réa. En réanimation, elle aime le «côté technique», le fait qu'«il n'y a aucune journée qui se ressemblent» (l. 20), qu'il y ait de «l'action». Paradoxalement, le fait de pouvoir prendre son temps en ayant «deux-trois patients» favorise selon elle une meilleure prise en charge. Elle apprécie également le travail en binôme avec l'aide-soignante, qui favorise une prise en charge de qualité en duo (l. 29).

Chloé : Chloé a 8 ans d'expérience. Elle n'a fait que de la réa également, et ne se «voyait pas faire autre chose» (l. 12). Comme Anna, Chloé a été attirée par le côté «très technique» (l. 8) de la réanimation.

Justine : Justine a 12 ans d'expérience en réanimation. Malgré une première année compliquée avec des «soins compliqués qu'elle ne connaissait pas, Justine se réjouit de cette «rigueur» (l. 24) et de cette «organisation» (l. 22) acquises qui lui «assurent une sécurité» du patient.

Clara : Avec 4 ans d'expérience, Clara n'a fait que de la réanimation également. Elle est jeune diplômée. Elle a choisi ce service car celui-ci lui semblait très complet, au niveau des «soins de confort, le relationnel, les soins techniques, l'urgence» (l. 10).

2. Humanisation des soins :

Anna : La formation à l'humanisation des soins, qui est intervenue au milieu de sa carrière, dans les années 2010, lui a permis de mieux comprendre, et «d'approfondir les choses qu'elle faisait déjà» (l.46). Elle approchait naturellement le patient par le «toucher» (l. 38), et l'explication du principe de la stimulation basale, a renforcé son importance à ses yeux. Elle estime que «ça les rassure» (l. 40). Ce contact n'est pas forcément utile, notamment lorsqu'elle

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«pose la main sur eux quand [elle] leur explique quelque chose» (l. 40). Elle dit que cette approche est encore «plus importante» (l. 42) pour les patients conscients, supposant qu'elle a la même approche avec les patients inconscients. Qu'est que le toucher induit chez le soignant ? Aussi, grâce à la formation, elle communique davantage avec le patient en expliquant précisément le soin effectué. Elle précise par exemple au patient de quel côté elle va le tourner, alors qu'avant elle ne pensait pas à le faire. Elle s'est sensibilisée à l'importance de bien «situer» le patient «dans l'espace» (l. 48). Elle a également accentué la manière dont elle préservait l'intimité du patient, en fermant la porte, les rideaux (l. 51), en toquant à la porte quand les stores sont fermés (l. 56). L'humanisation des soins lui a fait conscientiser que dans chacun de ses gestes, il pouvait y avoir une conséquence chez le patient qu'elle ne soupçonnait pas forcément, et qui était indépendant de sa volonté. Anna se dit «sensible de base» (l. 66), et ne rapporte pas de charge émotionnelle en plus après la formation. Concernant le fait de s'identifier à un patient, elle parle plutôt de «transfert» (l. 71). Le fait de se mettre à la place d'une patiente et de s'identifier à elle, complexifie la prise en charge. « Tu peux plus facilement craquer » (l. 77), me dit-elle. Cependant, elle ajoute qu'elle va faire mine de rien durant la prise en charge, et qu'elle va « craquer après » (l. 80). Concernant le fait de s'impliquer tout en gardant une juste distance, elle cite l'exemple d'un patient souffrant d'un delirium tremens (l. 99) : l'implication dans le soin est difficile quand le patient lui-même refuse le soin, et se montre « violent » et « agressif » (l. 103).

Chloé : Avant la formation à l'humanisation des soins qui a duré « trois jours » (l. 41), Chloé rapporte qu'elle « ne se préoccupait pas tant que ça finalement, du bien-être du patient » (l. 21). Elle exemplifie : « on avait tendance à pas forcément fermer les portes » (l. 18), « les stores lors des soins » (l. 19), « on avait tendance à mettre de la musique quand on faisait les toilettes, pour les patients intubés et sédatés » (l. 20). Lors de la formation, elle a expérimenté « l'approche expérientielle » (l. 28) : elle a été mise à la place du patient, contentionnée, et remontée dans le lit avec la méthode qu'ils utilisaient dans le service. Elle s'est dit que c'était « terrible » et que « plus jamais » elle ne le referait (l. 33). Elle a découvert que certaines de leurs pratiques pouvaient se montrer « anxiogènes » (l. 37) pour les patients, qu'elle n'avait « peut-être pas les bonnes pratiques finalement », et qu'à partir de cette formation, elle a « plus fait attention aux ressentis du patient » (l. 39). Cette formation lui a « donné envie de s'impliquer encore plus dans ce travail-là » (l.46). Elle mentionne la « stimulation basale » (l. 26), qui était à l'origine utilisée en réanimation néonatale.

Concernant l'implication émotionnelle, elle dit « qu'en réanimation, on a tendance un peu à se blinder » (l. 34), « que bizarrement, on peut penser que au fur et à mesure des années

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on se blinde encore plus, mais moi je vais dans le sens inverse des autres » (l. 62). Elle explique cette réduction du blindage par l'accumulation de ses ressentis face aux décès et à la souffrance des patients autant que des familles, qui à un moment, explose. Elle estime avoir fait une erreur en se blindant dès le départ, car cela ne lui a pas permis de « sortir les émotions » (l. 72). Pour Chloé, la famille est plus émotionnellement difficile à gérer que le patient. Elle dit que le relationnel avec le patient, a un côté « rationnel » (l. 115), contrairement au relationnel avec la famille, qui est plus « hors cadre » (l. 129). Ce relationnel avec la famille est cependant au coeur de l'humanisation des soins, avec la « biographie sensorielle » (l. 136), « retranscrire les habitudes de vie du patient » (l. 137). Il y a un lien qui se tisse avec la famille autour du patient pour améliorer mutuellement sa prise en charge.

Chloé, parle de « transfert » (l. 78) plutôt que d'identification. Elle cite un cas qui l'a marqué, et explique comment elle s'est effondrée avec la famille quand la patiente est décédée, lui faisant revivre le décès de sa grand-mère. Encore une fois, c'est la gestion émotionnelle avec la famille qui lui a paru le plus difficile. Elle dit à ce propos, que la juste distance « est vraiment difficile à trouver » (l. 106).

Justine : Au premier abord, pour Justine, l'humanisation des soins ne s'assimile pas à des soins de bien-être (l. 33), mais permet de « recentrer le patient au centre du soin, et pas mettre des soins sur un patient » (l. 45). « Ça commence par des trucs basiques » (l. 35) que Chloé a déjà cité. Justine ajoute l'attention portée à l'alimentation à travers la collaboration avec la diététicienne, à la communication avec la famille, pour retranscrire des habitudes de vie (sommeil, style de musique, hobbies...l. 43). Communiquer lors des soins, et « faire participer au maximum » (l. 35) le patient dans la mesure du possible, est essentiel dans sa pratique. Elle parle également des « soins du corps » (l. 58) : les « massages », shampoings « avec nos propres produits » (l. 61), « on coupe les cheveux » (l. 63), « on essaie de raser » (l. 64)... Ce « côté esthétique » (l. 65) permet aux patients de se réapproprier leur corps « petit à petit ». La collaboration avec la famille passe aussi par « rendre l'environnement un peu plus accueillant » (l. 70), notamment par la personnalisation des chambres avec des photos... Tous les exemples que Justine me donne, elle insiste sur le fait qu'elle les applique toujours dans la mesure du possible, qu'ils essayent. Et pour savoir si c'est possible, il faut pouvoir communiquer efficacement avec le patient. La communication verbale ou non verbale est très importante pour elle (l. 89), car « sans communication, tu n'as pas d'humanité » (l. 90).

Justine pense qu'en tant que soignant, on se forge « une carapace » (l. 97), et que cette carapace, on peut soit la garder, soit la laisser tomber peu à peu, et alors dans ce cas, « forcément ça t'affecte » (l. 98), que la situation soit positive ou négative. Justine rappelle

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qu'avant d'être soignant, nous sommes humains et nous avons nos failles et notre personnalité (l. 102), et que cela « joue dans la relation que tu vas instaurer avec ton patient » (l. 103). Elle ajoute que ceux qui « auront une carapace, ne vont pas tisser de liens avec leurs patients » (l. 108). Justine dit qu'elle est surtout impactée émotionnellement positivement par l'humanisation des soins, dans le sens où elle se sent plus « légère » (l. 112) quand elle parvient à adoucir la situation du patient qui se trouve hospitalisé en réanimation, donc porteur d'une pathologie lourde, et devant faire face à des soins invasifs. Remettre de l'humain apporte de la légèreté et améliore le bien-être du patient (l. 119), ce qui lui procure un sentiment de reconnaissance et d'utilité autre que dans les seuls soins techniques.

Elle rapporte qu'il y a des patients auxquels elle s'identifie plus que d'autres, et cela se traduit dans la relation de soin par plus d'investissement et de compréhension. Comme Anna, cette relation de soin ne sera pas favorisée avec un patient « aigri » qui n'aura pas envie de la voir (l. 137).

Concernant la juste distance, elle hésite. Avec le temps, elle a appris « à prendre plus de recul sur les situations qui sont compliquées » (l. 144), car elle en avait marre de se sentir lourde en rentrant chez elle, et qu'elle avait besoin de se sentir plus légère.

Clara : Pour Clara, l'humanisation des soins passe par la proximité qu'elle créée avec ses patients. « Au niveau personnel, je vais mettre pas mal d'humour. Je discute beaucoup avec mes patients » (l. 18). Elle est attentive à leur état d'esprit, « s'ils sont anxieux », s'ils s'ennuient » (l. 20) et va s'appliquer à préserver « la bonne humeur, la communication et l'humour » (l. 21).

Comme Justine, elle « essaie », en prenant en considération les souffrances des patients. Clara associe aussi la juste distance au fait de pouvoir rentrer chez soi après le travail sans garder un impact émotionnel. Elle rapporte à ce propos avoir « la capacité de séparer », de se « protéger » (l. 30). Elle est capable d'avoir « un bon relationnel sans pour autant trop s'investir ou faire de transfert » (l. 32). Selon elle, c'est son relativisme naturel et sa résilience qui lui permettent de trouver la juste distance (l. 53). Comme Chloé, elle a une approche rationnelle qui vient la rassurer quand le patient décède : elle se dit toujours qu'elle « a fait le maximum » (l. 65). Sa troisième ressource, c'est « l'équipe » (l. 75). Les debriefs, les discussions, les relais en cas de besoin... elle exprime qu'ils sont toujours entourés (l. 76).

Clara ne rapporte pas avoir fait de transfert, mais avoir vécue un décès où elle était « très très peinée » (l. 42). Elle avait collaboré pendant des mois avec la famille pour « personnaliser les soins » (l. 40), et avait fini par s'attacher.

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3. L'empathie des soignants :

Anna : Pour Anna l'empathie, c'est se mettre « à la place du patient », (l. 115), le rassurer, l'aider « dans tous les gestes du quotidien » (l. 116). Depuis qu'elle travaille en réanimation, Anna n'a pas observé d'augmentation ou de diminution de son empathie, si ce n'est avec les patients moins réceptifs aux soins. Elle dit, non sans gêne qu'être infirmière, « c'est un métier où on donne beaucoup de nous », et quand « il n'y a pas de retour » (l. 129) de la part du patient, elle se montre moins empathique, avec l'expérience (l. 134 à 136). Anna a déjà eu l'impression de faire des soins sans prendre soin du patient « dans l'acharnement thérapeutique » (l. 142). Elle confie qu'avec l'expérience, elle sait malheureusement que le patient va décéder (l. 146), et elle trouve parfois « qu'on va au-delà de ce qu'on devrait faire », que « ça va trop loin » (l. 148). Mais elle le fait car « je suis infirmière et que je fais ce qu'on me prescrit » (l. 148). Pour Anna, être empathique est « une qualité » (l. 153), surtout dans « ce métier-là » (l. 159), et que « tu dois vraiment être dur si tu n'as pas d'empathie avec les patients » (l. 161). Ainsi, selon elle, l'empathie est primordiale dans le cadre de l'humanisation des soins, « c'est la base » (l. 177). Elle ajoute que « si t'as pas cette qualité-là [...], tu peux pas être humain avec un patient » (l. 170). À son sens, « c'est de l'empathie finalement l'humanisation des soins » (l. 175).

Chloé : Pour Chloé « l'empathie, c'est ne pas trop s'impliquer émotionnellement dans une situation » (l. 144), savoir « rester neutre » (l. 142). Au début de sa carrière en réanimation, Chloé m'a déjà confiée s'être « blindée » (l. 63), et être aller dans le sens inverse des autres, « je me suis déblindée » dit-elle (l. 166). Étant donné que pour elle l'empathie c'est rester neutre, elle m'a d'abord signalé une « diminution de l'empathie » (l. 158), car elle a « été beaucoup moins capable de prendre du recul et de faire la différence entre [son] travail et [son] affectif » (l. 159). Mais elle n'était pas sûre que cela ne corresponde pas aussi une « augmentation de l'empathie » (l. 164). J'ai conclu sur le moment que cela dépendait par quel bout on abordait le concept d'empathie. Chloé a déjà eu l'impression de faire des soins sans prendre soin du patient quand au début de sa carrière, « elle faisait les toilettes sans faire attention, en mettant de la musique, en se racontant [leur] vie » (l. 170) entre collègues. Ensuite, grâce à la formation à l'humanisation des soins, elle n'a plus eu « l'impression de faire des soins sans prendre soin du patient » (l. 172). Elle ne pense pas que le fait d'être empathique aille avec le fait d'être professionnel, car selon elle, « c'est propre à chacun. On ne peut pas exiger la même chose de tous les professionnels ». (l. 178). Elle explique cela par le fait qu'on « a notre propre vécu, notre propre expérience, des moments qui sont plus difficiles que les autres » (l. 179), et qu'ainsi, « on peut pas avoir la juste mesure de l'empathie à chaque moment

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de la vie » (l. 180). Elle explique plus loin que la capacité empathique dépend de son environnement : « le prendre soin, le développement de la relation, [...] ça dépend vraiment du service dans lequel on travaille, ça dépend de la personne qu'on est, des personnes avec qui on travaille, et puis des patients et des familles » (l. 190). Elle confie par ailleurs, que « l'humanisation des soins, ça...ça développe un petit peu finalement cette empathie-là » (l. 189). Chloé ne pense pas qu'on soit vraiment capable de gérer notre empathie, « Je pense qu'on fait comme on est, et au moment T » (l. 185).

Justine : Pour Justine, l'empathie désigne « la capacité à ressentir les émotions des autres...et la façon dont ça t'affecte » (l. 154). Bien que selon elle, son empathie varie « en fonction de [son] état de fatigue » (l. 168), elle s'estime « plus empathique maintenant » (l. 169), qu'au début de sa carrière. Elle explique ce changement par le fait qu'elle ait d'abord dû se concentrer sur l'acquisition de ses compétences et connaissances, plutôt que sur la communication avec le patient (l. 169 à 173). Elle explique que c'est lorsque que le soignant est à l'aise avec ses compétences et connaissances, qu'il peut communiquer avec son patient en lui offrant une disponibilité mentale et émotionnelle (l. 177 à 184). Elle émet donc la difficulté à se concentrer en communiquant lors des soins, et relie la capacité empathique à cet aspect pratique.

Justine exprime sans hésitations qu'elle a déjà eu l'impression de faire des soins sans prendre soin du patient, quand elle n'est pas en accord avec la prise en charge, « et qu'on [lui] dit `il faut quand même le faire' » (l. 188). Elle cite aussitôt un exemple de cas où « il a fallu attendre que la dame, [la patiente] dise STOP pour qu'on écoute, alors qu'il y avait plein de soignants qui n'étaient pas d'accord avec la démarche ! » (l. 201). Avant que la patiente puisse s'exprimer, elle était intubée et sédatée. Justine exprime de la colère : « On va où, on va où ! [...] Mais tu rentres, t'es pas à l'aise avec ce que t'as fait dans la journée quoi ! » (l. 218). Concernant l'équipe médicale, Justine dit : « On arrive à dire ce qu'on pense, et à pas être d'accord » (l. 222). Elle explique ensuite le principe des staffs où une décision collégiale est prise sur la continuation, la condition, la limitation ou l'arrêt des soins (l. 225 à 234).

Pour Justine, être professionnel ne va pas forcément avec le fait d'être empathique, car « tu peux être empathique dans la vie de tous les jours, pas forcément dans ton métier (l. 237). Elle pense que ce n'est « pas lié, parce que malheureusement on connait tous des professionnels et soignants, qui ne sont pas empathiques, et on se demande ce qu'ils foutent dans le métier » (l. 241). Selon elle, ces dits professionnels sont soit « à bout de leur métier » (l. 243), soit « n'ont jamais été faits pour ce métier » (l. 244). D'ailleurs, elle confie par la suite qu'on « ne peut pas faire de l'humanisation des soins, sans empathie [...] c'est pas compatible pour moi »

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(l. 248 à 250). Car sans empathie selon elle, « tu ne peux pas vouloir te dire, bah tiens `je vais mettre tout en place pour qu'il [le patient] soit bien' » (l. 252). Enfin pour Justine, cette capacité empathique est déterminée par « l'amour de ton métier [...] Tu ne peux pas vouloir t'occuper de l'humain, et t'en foutre de l'humain » (l. 263).

Clara : Pour Clara, l'empathie « c'est la capacité de comprendre l'autre. C'est essayer de comprendre ses besoins, d'essayer d'y répondre. Et de comprendre l'émotion de l'autre sans forcément la vivre et être touché » (l. 83). Elle ajoute : « je pense qu'il faut être un minimum touché pour pouvoir ressentir certaines choses. Mais...voilà, on n'est pas à la place de l'autre » (l. 88).

Au cours de sa récente carrière, elle a observé « une évolution » de son empathie, « parce que face à la souffrance, à la douleur, aux familles, [...], on doit accompagner, [...], prendre en compte le patient et la famille, donc on est obligé d'avoir cette capacité d'écoute » (l. 99 à 102). Cependant, elle « arrive encore à plus prendre de distance, à force d'avoir de l'expérience, quand une situation qui je pense va trop me toucher, j'arrive à me dire stop » (l. 104). En sommes, la connaissance d'elle-même et son expérience lui permettent de prendre de la distance quand elle risque d'être trop touchée. Elle ajoute que cela n'impacte pas son empathie, car elle se met à la place des familles, et « essaie de faire ce qu'[elle] aurait aimé qu'on [lui] fasse » (l. 111). Quand je l'interroge sur son impression de faire des soins sans prendre soin du patient, elle a besoin d'un temps de réflexion : « des fois oui, quand c'est trop dans le rush » (l. 125), et qu'elle fait « les choses machinalement » (l. 123), quand par exemple, elle a « trois patients intubés, qu'ils sont instables tous les trois » (l. 119). Elle s'est déjà excusée auprès du patient et de la famille quand elle n'a pas eu beaucoup de temps à leur accorder (l. 128).

Pour Clara, être professionnelle et empathique, ne va pas l'un sans l'autre (l. 132). Elle explique que par notre rôle propre et prescrit de soignant, « on doit avoir une capacité d'écoute » (l. 133). Elle ajoute que quand il y a un manque d'empathie, « on le remarque » car « les patients se plaignent » (l. 137). Enfin, selon elle, l'empathie ne peut pas se dissocier de l'humanisation des soins, car cette dernière « doit prendre en compte le patient, la famille, les besoins. On doit personnaliser [...], ça nécessite de la communication, de l'écoute » (l. 150).

4. La résilience des patients :

Anna : Anna n'était pas familière avec le concept de résilience, mais d'avantage avec la notion de ressource. Elle mentionne directement qu'il est compliqué de mobiliser les

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ressources d'un patient intubé et sédaté (l. 193), mais que grâce à « la biographie sensorielle » (l. 197), et « aux familles » (l. 196), ils peuvent en apprendre plus sur le patient : « ce qu'il a l'habitude de faire, ses goûts, qu'est-ce qu'il fait dans la journée, qu'est-ce qu'il mange, est-ce qu'il aime avoir chaud [...], qu'est-ce qu'il aime regarder à la télé, ou est-ce qu'il écoute la radio ? » (l. 203). L'objectif derrière l'outil de la biographie sensorielle ou de la collaboration avec la famille, est de retranscrire au mieux les habitudes de vie du patient. En exemple, Anna cite un patient intubé qui d'habitude buvait une quinzaine de café par jour. Le fait de faire ses bains de bouche au café « l'aidait en fait à être patient parce qu'avec le tube ce n'était pas facile pour lui » (l. 214). Ensuite, Anna évoque la culture et principalement « la religion » (l. 216), indiquant qu'elle lance les patients « sur des sujets de chez eux, de leur pays » (l. 220). Elle dit à ce propos : « Et puis, tout ça facilite aussi les relations et la communication, parce-que les gens quand ils s'identifient à leur pays, forcément souvent, à leurs origines, et ben ça leur permet de plus facilement communiquer je trouve » (l. 221). À la question qui s'intéresse à ce qui dans sa pratique peut influencer la résilience du patient, Anna a tourné autour en restant centrée sur les problématiques que pouvait rencontrer le patient, à savoir être soigné par un homme plutôt que par une femme pour les patientes musulmanes, la barrière de la langue pour les patients étrangers...Que ce soit du côté de la famille du patient ou des interprètes présents à l'hôpital, « on trouve toujours quelqu'un qui peut nous aider dans la prise en charge » (l. 269). Après quelques hésitations, elle confirme que sa capacité à être empathique a un impact sur la résilience du patient : « Je pense que si je...si je suis pas dans l'empathie avec un patient, je pense que lui-même ne se sentira pas en assurance avec moi. » (l. 274). Elle cite pour finir un exemple d'un patient qui exprime sa gratitude en lui disant « [...] vous m'aidez beaucoup, je me sens rassuré avec vous, j'espère que vous êtes là demain... » (l. 280).

Chloé : Chloé non plus au premier abord, ne savait pas trop ce que désignait la résilience. Elle l'a définie par « l'acceptation » (l. 198). Elle n'a pas trouvé évident de s'exprimer sur le fait qu'elle parvienne dans sa pratique, à déceler et mobiliser les ressources du patient : « Quand le patient est sédaté, intubé, et cetera...bin je ne vais pas pouvoir utiliser les ressources du patient. » (l. 219). Mais elle se demande : « est-ce que la famille n'est pas une ressource aussi ? » (l. 220). L'essentiel pour elle, est de rendre le patient « acteur » (l. 211), car « utiliser les ressources du patient...c'est voilà, développer enfin, lui redonner un peu d'autonomie, l'encourager à se reprendre en main, par exemple, le mettre au fauteuil... » (l. 213). Globalement selon elle, « c'est tellement propre à chaque patient que c'est difficile de répondre à cette question » (l. 221). Elle ne pense pas que l'humanisation des soins l'a aidé dans le processus de mobiliser les ressources du patient ; « en fait, [elle ne s'est] jamais posée

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la question » (l. 229). Les éléments qui dans sa pratique soignante peuvent influencer la résilience du patient, sont pour elle « la discussion avec la famille, [...] connaître le patient à travers sa famille » car cela « permet aussi de savoir qui on a en face de nous, qui on prend en soin, et comment est-ce que justement on va pouvoir mobiliser cette résilience-là, en faisant des choses auxquelles il pourrait adhérer » (l. 239). Et agir directement auprès du patient : « discuter avec [lui], s'intéresser à lui, à ce qu'il fait dans la vie... » (l. 242). Elle cite en exemple un patient artiste peintre qui faisait ses « aquarelles » (l. 246) dans sa chambre, ce qui le réjouissait, tout en développant « ce lien avec l'équipe » (l. 252). Après réflexion, elle confie que son empathie peut avoir un impact sur la résilience du patient (l. 264). Elle dit : « je l'imagine dans l'autre sens, j'imagine qu'un soignant qui prend en charge un patient mais qui ne s'intéresse pas du tout à lui, forcément le patient il a plus de chance de se braquer » (l. 259). Cela s'explique selon elle par l'intérêt qu'on va lui adresser, la communication que l'on va mettre en place, et par l'adaptabilité du soignant (l. 267). Elle parle également de « passer des contrats avec les patients » (l. 273), basés sur la « confiance » (l. 274) mutuelle, qui permettent d'augmenter l'acceptation du patient. Elle revient ainsi sur la nécessité de rendre les patients « acteurs de leur prise en charge » (l. 281), en leur expliquant les risques, en les impliquant dans les soins, en leur faisant prendre conscience... (l. 282), tout cela augmente la résilience du patient.

Justine : Pour Justine, la résilience c'est quand « ton patient va subir plein d'épreuves et malgré tout ça il arrive à avancer quand même, [...] à malgré tout trouver le bout de force qui lui reste pour continuer à faire les soins » (l. 269). Dans sa pratique, elle arrive à mobiliser les ressources du patient, mais « c'est patient dépendant » (l. 279). Elle cite un exemple relatant que si le patient ne veut pas coopérer lors des soins, les ressources trouvées ne peuvent pas être mobilisées. Elle ajoute qu'on peut faire de l'humanisation à un patient qui est dans le coma, notamment grâce à la famille ; et en ce sens le patient n'a pas forcément besoin d'être réceptif (l. 292). En revanche, un patient qui est éveillé et qui exprime sa volonté, « tu ne peux pas aller à l'encontre de la volonté de ton patient » (l. 295). Cela nécessite une forme d'alliance thérapeutique, pour mobiliser les ressources.

Elle pense que l'humanisation des soins l'aide pour déceler et mobiliser les ressources du patient, surtout lors de la « toilette » et des « repas » (l. 309). Car en favorisant le plaisir (l'eau chaude, la gourmandise), cela encourage le patient à se mobiliser et à « se dire : « j'ai réussi quand même à faire ça » (l. 307).

Justine pense que sa pratique soignante peut influencer la résilience du patient : « il faut adapter les objectifs entre guillemet que tu veux en fonction du patient et de ses capacités » (l.

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317). Dans sa posture, elle estime qu'elle est là pour « booster » les patients à la manière d'une « cheerleader » (l. 319). Bien que certains patients râlent, par exemple d'aller au fauteuil, elle « pense que c'est important qu'ils voient notre motivation à les soigner » (l. 324), que cela permet aux patients de se « booster » aussi, et de se dire que ça en vaut la peine (l. 326). Enfin, elle pense que son empathie peut avoir un impact sur la résilience du patient, car « si on est en mesure de comprendre ses envies, ses désirs, enfin tout ce qui peut le motiver, ou ce qui fait qu'il est lui, ça peut [...] l'aider » (l. 329). Elle ajoute : « C'est-à-dire que si ton interlocuteur te comprend, bah il est en capacité de t'aider à aller au-delà de tes limites » (l. 333).

Clara : Pour Clara, la résilience, « c'est accepter une situation [...] Quel que soit le moyen » (l. 164, 166). Selon elle, les ressources du patient se retrouvent dans « la famille », le fait « qu'il puisse communiquer [...], nous exprimer soit ses besoins, des craintes ou des envies » (l. 173). Clara dit que même si elle a l'habitude de beaucoup communiquer avec ses patients (l. 179), l'outil de la « biographie sensorielle » (l. 181), inhérent à l'humanisation des soins, « pousse un peu plus la chose, parce qu'il y a plusieurs thèmes » (l. 182), et apporte plus de précision dans les habitudes de vie du patient.

Dans les éléments de sa pratique qui peuvent influencer la résilience du patient, Clara mentionne la communication et l'honnêteté : « il faut pas mentir au patient sur son état de santé [...]. Faut dire les choses, pour qu'il puisse faire un peu son deuil, [...], accepter sa maladie, accepter [...] son devenir » (l. 195).

Elle pense que son empathie peut avoir un impact sur la résilience du patient, car « le fait de...dire aux patients qu'on comprend la situation, de lui souhaiter du courage, de l'accompagner, de l'écouter » (l. 205), lui permet de mieux vivre sa maladie.

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