4. Perspectives et enjeux professionnel de
l'éducation progressive pour une amélioration du système
éducatif camerounais.
Dans ce siècle où l'on assiste à une
croissance rapide de certains pays, ceci due à une éducation
solide, il est impératif d'interpeller le système éducatif
afin de redoubler d'effort en convergeant vers une professionnalisation de son
éducation dans l'optique de réduire le taux de chômage, de
promouvoir l'innovation. Mais comment donc y procéder ?
Aujourd'hui recourir à la pédagogie progressive
de John Dewey nous sera très utile. Il a beaucoup oeuvré pour son
pays les Etats-Unis à travers son école-laboratoire où il
promouvait la professionnalisation, une éducation par
l'expérience où l'enfant est le centre d'attention
indépendamment de son niveau d'étude. Le maître ici est un
guide et l'élève apprend en agissant. Dewey veut donc
réconcilier esprit et action, travail et loisir, intérêt et
effort. Il pense que l'enfant doit agir plutôt que d'écouter.
Regardant la situation actuelle du système éducatif camerounais,
l'on peut avoir l'impression que c'est ce qui est vécu sur le terrain
mais grande est notre surprise de constater le contraire.
Faire de l'enfant le centre d'intérêt en
éducation favorisera non seulement un esprit créatif et critique
mais aussi la capacité pour l'enfant de faire face aux problèmes
réels et d'en trouver des solutions par lui-même. Il fera donc
usage de la théorie donnée par le maître afin de consolider
le résultat par la pratique. Le Pape Jean Paul II avait raison de nous
dire en parlant du rapport entre la foi et la raison : « la foi et la
raison sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de
s'élever vers la contemplation de la vérité.
»78 En éducation donc, la théorie et la pratique
sont comme ces deux ailes qui favorisent l'élévation de l'enfant
à la maturité, qui le rendent social, cet être qui
contribue à l'épanouissement et à la construction d'une
société démocratique.
Le programme valable se rapporte à l'expérience
quotidienne de l'enfant à la maison et dans la communauté, Dewey
attache une très grande importance aux occupations de la maison et de la
communauté, donc au travail manuel. Ce dernier fournit, à travers
les phases variées des diverses occupations, d'excellentes
opportunités pour apprendre les matières du programme, non
simplement comme une information en vue de fins scolaires, mais comme
connaissance issue des situations de la vie réelle. Le programme sera en
fonction de l'âge, les
78 Jean Paul II, Fides et Ratio,
Limete/Kinshasa (RDC), Médiaspaul, 1998, p.3.
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plus jeunes, de 4 ou 5 ans, se consacreront à des
activités déjà rencontrées dans le milieu familial
: la cuisine, la couture ou la menuiserie, par exemple, l'idée
étant bien d'assurer la continuité entre école et
société à travers des activités pratiques. Ces
occupations deviennent ensuite progressivement l'occasion d'un apprentissage de
matières plus théoriques. « L'enfant vient en classe pour
faire des choses : cuisiner, coudre, travailler le bois et utiliser des outils
pour des actes de construction simples ; et c'est dans le contexte et à
l'occasion de ces actes que s'ordonnent les études : écriture,
lecture, arithmétique, etc. »79 Par exemple, à
l'âge de 6 ans, les enfants vont construire une maquette de ferme dans le
bac à sable de la classe et semer du blé d'hiver dans la cour de
l'école. L'édification de la maquette sera alors l'occasion
d'apprendre certaines notions mathématiques :
« Lorsqu'il a fallu diviser le bac à sable
matérialisant l'exploitation en plusieurs champs destinés
à recevoir les cultures de blé, de maïs et d'avoine, et
prévoir aussi l'emplacement de la maison d'habitation et de la grange,
les enfants ont employés comme unité de mesure une règle
d'un pied et sont arrivés à comprendre ce que signifiait un
quart, une moitié ; même si les divisions qu'ils effectuaient
n'étaient pas exactes, c'étaient des approximations suffisantes
pour leur permettre de délimiter leur ferme. Et à mesure qu'ils
se familiarisaient avec l'usage de la règle et apprenaient à
manier le demi pied, le quart de pied et le pouce, on en vint naturellement
à attendre d'eux, et à obtenir, un travail plus précis...
La construction des bâtiments de la ferme nécessitait quatre
poteaux d'angle et six ou sept lattes de bois d'égale hauteur.
Lorsqu'ils mesuraient ces dernières, les enfants oubliaient souvent de
maintenir le point de départ de la graduation de la règle sur
l'extrémité gauche de la latte, de sorte qu'ils devaient s'y
reprendre à deux ou trois fois avant d'obtenir des mesures exactes. Puis
ils refaisaient pour un autre côté de la maison ce qu'ils avaient
fait pour le premier et, avec l'entraînement, leur travail gagnait
naturellement en rapidité et précision. »80
Les mathématiques n'apparaissaient alors plus à
l'enfant comme une matière inerte mais comme un véritable outil
de résolution de problèmes pratiques. Dans le même ordre
d'idées, les élèves seront amenés à
construire eux même leur propre matériel scolaire, ou à
cuisiner ensemble le repas du jour, ce dernier exemple étant un moyen de
les familiariser avec les unités de mesure, la botanique ou la biologie,
mais également de développer leur sens de la vie sociale
coopérative. Sous cette approche éducative, on retrouve cette
idée que le développement de la pensée en connaissance
passe par la résolution de problème en situation active, que la
pensée doit être testée par l'action pour passer dans
l'ordre de la connaissance. Selon cette perspective,
79 Dewey J., « A pedagogical experiment
», in Early works of John Dewey, Carbondale, Southern Illinois
University Press, 1972, vol. 5, pp. 244-246.
80 Mayhew et Edwards, The Dewey school, 1966,
pp. 83-84.
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le véritable test de l'apprentissage ne passe pas par
une série d'examens en fin d'année, il consiste en
l'accroissement de la capacité de l'enfant à affronter de
nouvelles situations par le développement d'habitudes d'actions
réfléchies au sein d'un environnement social.
Face à la mondialisation, le camerounais assiste
à une évolution rapide de l'éducation ce qui favorise
l'essor du pays. On assiste au Cameroun a un accroissement rapide de la
population scolaire. Si autrefois, seules les élites étaient
éduquées, aujourd'hui presque tous ont accès à
l'éducation. Malgré cette sur-scolarisation de la population,
cette population est « mal éduquée »81.
Quantitativement, l'éducation s'améliore au Cameroun mais
qualitativement, nous assistons à une éducation de plus en plus
dégradante. Face à ce boom scolaire, l'Etat est devenu incapable
de répondre à la demande scolaire au Cameroun d'où
l'urgence d'une professionnalisation du système éducatif
camerounais : création des écoles-laboratoires dès le
primaire. À ce niveau l'enfant sera capable d'entrer en contact avec sa
propre nature et d'utiliser ces ressources à des fins utiles. A long
terme l'enfant développera des aptitudes lui permettant de combattre le
chômage et de répondre aux besoins de la société en
ce sens donc il s'agit en fait de mettre l'école à
l'écoute de la société et d'ouvrir la
société à toutes les dynamiques créatives de
l'école afin que des transformations en profondeur soient
engagées en fonction des idéaux qu'un imaginaire de la
construction d'un Cameroun nouveau devrait nourrir avec l'économie de la
connaissance et la promotion des nouveaux savoirs.82 Il y a donc une
urgence de pallier à la non-conformité qu'il y a entre
l'école et le marché du travail car ceci remet le système
éducatif camerounais en question.
Notons aussi qu'au Cameroun, l'école a
été faite pour le culte de diplômes, les
éduqués aux sorties de celle-ci manquent un esprit de
créativité et de spontanéité et ne peuvent donc
être embauchés surtout par le secteur privé où ils
restent incompétents d'où un vibrant appel à
l'implémentation du « Learning by doing » (apprendre par
l'action) que soutient Dewey. Une réappropriation des propos de
Fichte sera également utile pour le système éducatif. Il
dit : « on n'étudie pas pour, tout au long de sa vie et comme si
l'on était constamment prêt pour l'examen, reproduire en ces
propos ce que l'on a appris, mais pour l'appliquer aux situations survenant
dans l'existence et ainsi le mettre en oeuvre (...) par conséquent, ce
n'est en aucun cas le savoir qui constitue ici le but ultime, mais bien
plutôt l'art d'utiliser le savoir ».83
Le sujet de l'éducation au Cameroun perd sa valeur
suite au manque d'éducateur bien
81 M., Ndongmo, La Scolarisation dans la
politique du développement au Cameroun. Réflexions éthique
et théologique sur la pratique éducative dans le
processusd'humanisation, Paris, Institut Catholique de Paris, 1994, p.9.
82Kä Mana, L'Afrique, notre projet : Révolutionner
l'imaginaire africain,Sénégal, Editions terroirs, 2009, pp.
301302.
83Vincenti., L, Education et liberté. Kant
et Fichte, Paris, PUF, 1992, p. 48.
formé. Le centre d'intérêt n'est plus
l'apprenant mais le maître. Les enfants sont éduqués dans
une certaine médiocrité où les notes sont vendues et
quelques fois échangées contre le sexe. Certains
enseignants ne notent plus les aptitudes et les compétences de leurs
éduqués mais plutôt leur docilité à
satisfaire leur plaisir sexuel et la capacité de ces enfants à
payer pour ces notes. « L'autre éduqué » (enfant), est
confondu à un objet sexuel que l'on peut manipuler à sa guise.
C'est ainsi qu'éduquer aujourd'hui « est devenu synonyme de pouvoir
sur quelqu'un, synonyme de privilège ».84
L'éducation, dans son sens plein, ne se limite pas seulement dans la
transmission des compétences intellectuelles ; il doit être
pratique et exemplaire dans le sens que le maître doit être un
modèle à imiter pour les enfants. Avec Jean Jacques Rousseau nous
constatons également que l'expérience est primordiale : « Au
lieu de coller un enfant sur des livres, si je l'occupe dans un atelier ses
mains travaillent au profit de son esprit, il devient philosophe et croit
n'être qu'un ouvrier. »85 Rousseau va ainsi placer
l'expérience au coeur de la formation de l'intelligence. Il s'agit de
permettre à l'enfant de faire corps avec la nature au moyen des
expériences diverses et concrètes.
Il doit aussi avoir la transmission des valeurs spirituelles et
morales qui des fois manques en éducation. Bref le système
éducatif doit s'attarder sur une éducation complète de
l'enfant (éducation du physique et de l'âme) et également
sur une éducation des mentalités qui est très demandant vu
l'allure avec laquelle le monde tend vers sa perdition particulière le
Cameroun. Au terme de cette partie, nous avons vu que la pensée
deweyenne sur l'éducation reste et demeure d'actualité pour les
pays Africains, notamment pour le Cameroun, qui est sans cesse à la
quête d'une harmonie sociale durable et dont l'éducation sera
porteuse des valeurs de notre temps. Son éducation progressive reste
très bénéfique pour un pays si elle est bien mise en
pratique et si on en fait bon usage.
84 G. Pallante, L'autre éduqué :
cours de philosophie de l'éducation, Yaoundé, COGESET, 2007,
p.49.
85 Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile ou de
l'éducation, p.443.
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