Section IV. Revue de la littérature
Rachad, A., (2007),
explique que la revue de la littérature vise à faire le
bilan de ce que l'on sait déjà sur la question
de recherche. Elle est analytique dans la mesure où
elle ne consiste pas à faire une liste des auteurs et de leurs
idées, mais plutôt à identifier des
tendances, des orientations, et discutant les
conséquences des choix qui fondent ces orientations, en
mettant les auteurs en dialogue entre eux, et en soumettant
leurs idées et leurs travaux à la critique. Elle
démontre que l'on sait ce qui a déjà
été fait, de façon à aller un peu
plus loin.
Faire une revue de la littérature,
revient donc à situer un sujet par rapport aux recherches
antérieures, savoir si ce sujet a déjà
été traité et de quelle manière les recherches ont
été menées dans le même domaine de la recherche
ainsi que les résultats auxquels la recherche a abouti.
Le chercheur doit signaler, par
honnêteté scientifique, les travaux
antérieurement réalisés dans son domaine de
recherche.
Mais dans le souci de fournir un peu plus
d'éclaircissements à nos lecteurs sur la
littérature présentée par nos prédécesseurs
dans l'abord de ce champ de recherche, nous
avons cerné la thématique abordée en trois points de vue
différents. Tout d'abord,
notons que les études menées par nos
prédécesseurs, ont été toutes
orientées vers les facteurs (causes) à la base de
criminalité dans les services financiers mobile money mais ont
divergé quant à leurs résultats.
Certaines ont estimé que les causes sont
d'ordre juridique tandis que pour
d'autres, elles sont soit
d'ordre technologique soit d'ordre
organisationnel.
? Du point de vue juridique
Mercy W. Buku et Rafe Mazer (2017),
Services financiers mobiles : protéger les clients,
les prestataires et le système de la
fraude.
Dans cette étude-là, ces
auteurs commencent par reconnaître de prime abord que
l'espace de l'argent mobile ne cesse de
s'élargir. À mesure
qu'un plus grand nombre d'acteurs
intègre l'arène des services financiers mobiles
et que de nouveaux produits sont offerts, les prestataires
devront s'employer à travailler de concert et il faudra
alors probablement adopter les réglementations qui conviennent.
Les efforts visant à documenter et normaliser les solutions
efficaces de lutte contre la fraude et de gestion des risques peuvent
accélérer le développement d'approches
cohérentes et efficaces dans tous les services financiers mobiles
à travers le monde.
25
Cette note traite de la façon dont la fraude affecte
les prestataires, les agents et les utilisateurs de services
financiers mobiles, ainsi que les efforts
déployés pour atténuer les vulnérabilités et
les risques associés à la fraude dans les services
d'argent mobile et d'autres prestations
connexes. S'il n'est pas
possible d'éradiquer complètement la fraude de
tout service, argent mobile compris, les
exemples montrent renchérissent les auteurs que la fraude est un
problème majeur dans plusieurs marchés importants pour les
utilisateurs et les agents, et qu'il existe
de simples mesures que les prestataires peuvent appliquer pour réduire
leur vulnérabilité aux formes de fraude
habituelles.
Cela signifie que des mécanismes de surveillance comme
les contrôles de conformité et les dispositifs de retour des
clients resteront des éléments essentiels pour lutter
efficacement contre ce phénomène et réduire les
risques. Les prestataires doivent partager les
expériences réussies avec leurs pairs, afin que
tous adoptent des bonnes pratiques et mènent des actions collectives au
besoin. Pour ces auteurs, le secteur des
services financiers mobiles a certes mis au point un éventail de
solutions de lutte contre la fraude, mais de nombreux
responsables politiques restent à la traîne car ne disposant pas
de cadres réglementaires ou d'outils
d'évaluation des risques adaptés à ces
services.
À l'avenir proposent-ils,
les responsables politiques doivent participer davantage aux
initiatives menées par le secteur pour réduire la fraude
et, si possible, formaliser les bonnes
pratiques en des prescriptions communes applicables aux prestataires de
services financiers mobiles. La diversification des produits
et la réduction des pertes pour les utilisateurs, les
agents et les prestataires auront d'énormes effets
positifs sur les services financiers mobiles, le
bien-être des utilisateurs et la rentabilité des
prestataires.
INTERPOOL (2020),
Rapport sur l'infiltration par les milieux
criminels du secteur florissant de l'argent mobile en
Afrique.
Dans ce rapport, Interpool établit des
liens entre le secteur de l'argent mobile en Afrique en plein
essor et la traite d'êtres humains, le
blanchiment d'argent ainsi que le trafic des
stupéfiants.
Pour celui-ci, le secteur de
l'argent mobile en Afrique, qui
représente des milliards de dollars, est
exploité par les groupes criminels organisés,
une tendance qui ne fera que s'accentuer avec le
déploiement de ces services sur l'ensemble du
continent. Faisant
26
allusion à son rapport antérieur intitulé
: « Services de paiement par téléphone
mobile et criminalité organisée en Afrique »,
Interpool déclare comment celui-ci donne un aperçu de
l'exploitation criminelle de ces services,
notamment au travers de la fraude, du blanchiment
d'argent, de
l'extorsion, de la traite
d'êtres humains, du trafic de
migrants, du commerce illégal
d'espèces sauvages et du terrorisme.
Pour lui, le continent africain est le leader mondial
du secteur de l'argent mobile : on y trouve
en effet près de la moitié des comptes d'argent
mobile enregistrés dans le monde.
Du fait du rôle important que joue
l'argent mobile dans les sociétés et les
économies africaines, et de la rapidité avec
laquelle l'infrastructure correspondante a été
mise en place, renchérit Interpool,
les malfaiteurs ont pu « exploiter les faiblesses des
réglementations et des systèmes d'identification
» et commettre des infractions liées à
l'utilisation frauduleuse des services
d'argent mobile. Interpool estime que
c'est l'absence de contrôles
d'identité rigoureux qui est à la base de cette
criminalité. Le rapport souligne également que
l'argent mobile en lui-même s'est
avéré positif pour l'inclusion financière
et le développement économique dans de nombreux pays
africains, et qu'une économie
informelle davantage fondée sur le numéraire peut parfois
représenter un défi encore plus grand pour les services
chargés de l'application de la loi.
Toutefois, ajoute-t-il,
l'absence de contrôles rigoureux de
l'identité des utilisateurs s'ajoutant
au manque de ressources et de formation des services de police dans le domaine
des infractions liées à l'argent mobile a
donné naissance à un système financier
particulièrement vulnérable à
l'infiltration par les milieux criminels. Le
type de document d'identité demandé pour ouvrir
un compte d'argent mobile n'est pas uniforme
sur l'ensemble du continent africain, les
documents acceptés allant des cartes nationales
d'identité aux cartes
d'entreprise, attestations fiscales et permis
de conduire.
Si le large éventail de documents
d'identité acceptés favorise
l'essor des services d'argent mobile,
il accroît également leur vulnérabilité
à la fraude, au blanchiment et à
d'autres formes de criminalité. En
outre, même si l'on note une
augmentation du taux de condamnation pour les infractions liées à
l'argent mobile, il est parfois difficile de
faire admettre, lors de la procédure
judiciaire, l'expertise technique et les
équipements nécessaires à la réalisation de
l'enquête.
27
? Du point de vue technologique
Gaber, C., (2013),
Sécurisation d'un système des
services financiers sur terminaux mobiles.
Dans sa thèse de doctorat, cet auteur
donne comme premier objectif à son étude, celui
de proposer une architecture et des protocoles qui sont adaptés aux
réseaux tout-IP, qui tirent profit des capacités
des fonctionnalités de ces réseaux et des smartphones pour enfin
proposer des services sécurisés de bout-en-bout et plus
ergonomiques. La fraude et la détection de celle-ci
dans ce domaine ont aussi été
étudiées.
Quant au deuxième objectif, qui a un
lien avec notre objet d'étude,
l'auteur souligne qu'en dépit
de l'existence des travaux dans le domaine de la fraude
bancaire, aucune étude ne s'est
penchée sur la détection de fraude dans les services de
transaction sur mobile et l'adaptation des méthodes de
classification à ce domaine. La différence des
usages et des modèles, par rapport aux services
financiers bancaires, implique qu'il est
nécessaire de réaliser une adaptation propre au service de
paiement sur terminal mobile.
Gaber estime que, en ce qui concerne la
sécurité et les moyens permettant
d'éviter que des fraudes ne se réalisent en
exploitant l'architecture réseau du
système, il faut une architecture et des protocoles
propres à sécuriser la transaction de bout-en-bout entre une
carte SIM d'un terminal mobile et la plateforme de
paiement.
Andrew Dornbierer (2020),
L'argent mobile et les infractions
financières.
Analysant l'évolution de
l'argent mobile pendant la période marquée par
la pandémie à Covid-19, Andrew confirme que la
quantité d'argent qui transite à travers les
systèmes de paiement mobile a explosé mais il se pose une
question primordiale, celle de savoir si l'on
doit s'inquiéter pour l'utilisation de
l'argent mobile en matière
d'infractions financières.
A cette question, l'auteur
postule deux hypothèses, selon lesquelles.
Certains s'imaginent que les sommes sont encore
insignifiantes pour en tenir compte, d'autres
au contraire, disent que les systèmes sont ouverts aux
détournements par le crime organisé. On les
accuse de permettre le commerce illégal de devises.
Andrew estime que les systèmes d'argent mobile peuvent
être détournés pour la corruption et le blanchiment de
capitaux.
28
S`appuyant plus sur
l'expérience de terrain en Afrique
subsaharienne, l'auteur mentionne comment les
agents de détection et de répression peuvent profiter de ces
moyens de paiement largement répandus, afin de
dénoncer la corruption et les mécanismes de blanchiment de
capitaux afin de les confondre devant le tribunal.
Pour conclure ses propos, Andrew pointe du
doigt la qualité du service de l'argent mobile comme
faiblesse occasionnant toutes sortes de criminalité
financière. Un service qu'il estime ne
pas être à la hauteur de bien tracer non seulement le comportement
de ses usagers mais aussi celui de ses propres employés pour faciliter
le travail des enquêteurs.
? Du point de vue organisationnel
Neil, D., et Leishman, P., (2013),
Construire, motiver et gérer un
réseau d'agents pour les services
d'argent mobile: guide pratique pour les opérateurs de
téléphonie mobile.
Intéressés beaucoup plus par
l'importance combien incontournable que jouent les agents
(vendeurs) dans le service mobile money, ces auteurs mettent
l'accent sur l'encadrement de ces derniers
car, selon eux, les services
d'argent mobile constituent une activité bien plus
complexe que les services traditionnels de téléphonie
mobile. Et donc, pour eux,
les plateformes d'argent mobile présentent
pour les opérateurs une multitude de défis opérationnels
et de questions stratégiques. L'un des
défis les plus importants est la nécessité de mettre en
place un réseau d'agents.
Reconnaissant les multiples défis auxquels les acteurs
de l'écosystème mobile money sont
confrontés, dont la criminalité,
les auteurs estiment qu'investir dans la formation
des agents serait une bonne chose car,
renchérissent-ils, une bonne formation des
agents constitue le premier rempart contre les différentes formes de
criminalité (fraude,
abus...).
Illustrant l'exemple des Philippines,
les auteurs relatent que Smart Money8 et la Banque Centrale
du pays consacrent une journée complète à la formation des
nouveaux agents ainsi que du temps supplémentaire pour leur fournir de
l'assistance. Le résultat est un
réseau qui respecte systématiquement les procédures de
vérification d'identité des clients,
éliminant potentiellement la possibilité pour les
clients d'effectuer des opérations en dissimulant leur
identité.
8 Ce terme fait
référence aux banques centrales,
teneurs de marché et les investissements
institutionnels.
29
Mark, F., Claudia, M., et Mark, P.,
(2011), La gérance
d'agents trousse à outils : construire un réseau
viable d'agents de services bancaires sans
agences.
Pour ces auteurs, à mesure que les
activités d'un service bancaire mobile se
développent, les agents (acteurs) attirent de plus en
plus les criminels. Les auteurs relatent à cet
effet, qu'un groupeur qui opère pour
le compte de M-PESA lui a rapporté que 10 % des agents ont
été cambriolés en 2018. Au
Brésil, 93% des agents interrogés par le CGAP
ont déclaré que le fait d'être un agent
augmente leur risque de se faire voler, et 25 % ont
indiqué qu'ils avaient été victimes de
vol au moins une fois durant les trois dernières
années.
Le montant du capital de départ qu'un
agent doit constituer pour commencer ses activités peut
s'avérer plus élevé en raison des
dépenses inhérentes au renforcement des mesures de
sécurité. Toutefois, la
dépense qui résulte d'un cambriolage est bien
plus grande. De plus, les agents peuvent
être obligés de rembourser tout ou partie des fonds perdus pour
cause de vol. Lorsque les commerçants participent
à des programmes comme M-PESA, dont les agents doivent
fonctionner avec leurs propres fonds en caisse, ce sont les
agents mêmes qui doivent assumer
l'intégralité des pertes occasionnées par
un cambriolage.
Au Brésil, renchérissent ces
auteurs, les agents ne se servent pas de leurs propres
liquidités mais les banques leur demandent d'assumer
avec elles une partie des frais pour assurer ces liquidités ainsi que le
risque en étant responsables de la première partie des fonds
volés. En moyenne, cela
revient, pour un agent, à être
passible du remboursement de 540 USD de l'argent
volé, soit trois mois de bénéfice sur les
activités d'agent.
Bien que parlant aussi de la réalité du terrain
basée sur les formes de criminalité dans les services financiers
via mobile money, notre étude
s'écarte de celles précédentes,
car nous essayons d'aborder la question liée
à la criminalité via mobile money en faisant fi à la
manière dont les précédents auteurs l'ont
abordé. En sus, ce travail ne vise pas
à démontrer les avantages que procurent ce service financier
lié à la technologie mais plutôt cherche à
comprendre les différentes formes de situations-problématiques
que les acteurs utilisant ce service rencontrent au quotidien.
Nous pouvons dire que notre recherche contribue à la production
du savoir dans le domaine du mobile money en cherchant à comprendre les
problèmes d'ordre financier auxquels les utilisateurs
sont confrontés.
30
Nos prédécesseurs ont abordé le sujet en
reconnaissant que le service financier n'a pas seulement des
opportunités mais aussi des ennuis. Ils
établissent la responsabilité de ces failles soit dans les lois
qui régissent ces services, soit dans la technologique
qu'ils trouvent inefficaces pour contraindre les
déviants à commettre leurs bavures,
d'autres encore estiment que cela est dans
l'organisation même du service. A la
différence, nous abordons le sujet sous
l'aspect criminologique : analyser le
phénomène tel qu'il se déroule,
selon la manière dont les acteurs impliqués dans le
phénomène se représentent la réalité dans
leur subjectivité. En plus, nous
allons aussi démontrer que la déviance n'est
jamais monofactorielle comme l'ont estimé les
prédécesseurs mais plutôt et toujours
plurifactorielle.
Notre étude cherche bien entendu à faire une
analyse sur les formes de criminalité dans les services financiers via
mobile money, et cela d'une manière
démarquée des autres :
- Premièrement en nous distanciant du code
institutionnel ou substantiel (faisant référence au langage
juridique, à la loi) pour adopter celui descriptif
c'est-à-dire qui « abandonne les concepts
juridiques (pénaux), modifie leur signification ou
élabore de nouveaux concepts. Recourir au code
descriptif nous amène à maximaliser la capacité
descriptive de notre langage étant donné que celui-ci
évite l'utilisation d'un langage
à connotation juridique, justement parce que ce langage
se prête mal à la tâche de description empirique »
(Alvaro, P., 2008). Pour
cette raison, nous allons employer des concepts plus
descriptifs, c'est-à-dire la
description du phénomène sous étude et plus
ouverte, plutôt que les concepts affiliés au
droit pénal (Alvaro, P.,
2008). Chose qui n'a pas
été faite par nos
prédécesseurs.
- Deuxièmement, contrairement à
nos prédécesseurs qui ont analysé le
phénomène de manière statique,
c'est-à-dire sans rompre avec la vision
traditionnelle qui a toujours considéré la victime comme un
acteur passif de l'infraction, en voyant
seulement les traumatismes et préjudices subis par celle-ci,
notre étude ira au-delà afin de voir si la victime peut
à son tour avoir un rôle actif dans sa
victimisation.
Voilà les deux aspects originaux que nous apportons
à la littérature existante sur la criminalité via mobile
money.
Après avoir étalé la littérature
existante en rapport avec notre sujet de recherche et montré son
originalité, nous passons à la
problématique, une autre section aussi importante de
notre travail.
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