Section III. Prise en charge judiciaire des dossiers
relatifs au mobile money
Pour assurer la paix sociale dans le territoire
national, l'Etat Congolais a confié
aux officiers et inspecteurs de police judiciaire une mission régalienne
qui consiste à rechercher les infractions à la loi pénale
et de conduire les coupables devant les magistrats du parquet après
enquête préliminaire.
Comme nous l'avons souligné dans les
lignes précédentes ; cette section consiste
à jeter un coup d'oeil sur la prise en charge
judiciaire des dossiers relatifs au mobile money. En
d'autres termes, nous voulons comprendre
comment l'officier ou l'inspecteur de police
judiciaire est en train de remplir sa mission dans ce domaine afin de
répondre aux attentes de la société et comment les
victimes sont rétablies dans leurs droits.
Pour remplir cette mission,
l'Etat congolais a élaboré les textes
légaux (code pénal) qui l'a mis à la
disposition des officiers et inspecteurs de police judiciaire auxquels ils
recourent pour établir les infractions et les peines y
afférentes. Dans l'exercice de leurs
fonctions, ces fonctionnaires recourent à plusieurs
voies afin de répondre à leur mission. Parmi les
plus utilisées, nous citons : le
fragrant-délit ou infraction réputée flagrante,
la plainte, la dénonciation ou
l'auto-dénonciation,
et par la rumeur publique.
De toute cette panoplie de voies auxquelles les acteurs
judiciaires peuvent recourir, seule la plainte est
restée la voie la plus utilisée pour ce qui de la
criminalité dans les services financiers via mobile
money. Pire encore, malgré la
présence de victimes auprès des
Voici comment monsieur Kinshasa, victime
d'actes criminels dans les services financiers mobiles
justifie pourquoi il n'avait pas voulu intenter le dossier en
justice :
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agents fonctionnaires censés les rétablir dans
leurs droits, celles-ci ne sont
qu'abandonnées à leur triste
sort.
Confirmant ces propos, cet officier de
policier judiciaire que nous nommons (RDC 1) nous a déclaré ceci
:
« Mon ami chercheur, jusque
là nous avons des sérieux problèmes pour trancher les
dossiers relatifs au mobile money. Pas seulement ici dans mon
bureau mais dans tous les bureaux que tu vois là, on
vous dira qu il n y a rien à faire, nous ne savons pas
vraiment nous en sortir. Tous les dossiers relatifs au mobile
money que nous avons déjà eu à traiter sont toujours
pendants. Un dossier est dit pendant lorsqu il n y a pas de
suite concrète, qu il n y a pas d issue par rapport
à ce dossier là. Alors on dit que le dossier est
pendant ».
Monsieur RDC 3, inspecteur de police judiciaire
des parquets, le dit
autrement :
« Vous savez, surtout pour ce qui
concerne les infractions liées aux technologiques,
notre pays a encore des sérieux problèmes parce que nous
n avons pas jusque là des matériels qui peuvent nous aider
à établir la culpabilité de l infracteur.
C est comme le cas du dossier qu on parle.
Après le dépôt de la plainte par le
plaignant, j ai sollicité auprès du procureur
une lettre de réquisition et elle m a été
octroyée. Je suis allé chez Vodacom comme il s
agissait du compte M-Pesa qui est le service de la
Société Vodacom, j ai déposé la
réquisition et même exposé le problème,
on a échangé mais de toutes les façons,
ils m avaient promis qu ils pourront passer répondre mais
jusque là, ils ne sont jamais passés.
Je les attends jusqu aujourd hui. Et d ailleurs ta
recherche vient même me rappeler, il faut que je
sollicite une autre lettre de réquisition afin de relancer le dossier
».
A partir des propos de ces fonctionnaires de
l'Etat, nous comprenons
qu'il est presqu'inutile
d'amener son dossier relatif au mobile money à la
justice tout simplement parce qu'il n'y aura
pas d'issue.
Reconnaissant les difficultés que traversent les agents
de l'ordre en matière de preuve dans les dossiers
relatifs au mobile money, madame Tshikapa,
utilisatrice du mobile
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« Mon cher, est-ce
que nous avons une justice dans ce pays ? Tu es encore dans les théories
académiques qui te font croire qu il y a une justice dans ce
pays. Je connais des cas où quelqu un va se plaindre
auprès de la justice pour qu il soit rétablit dans ses droits
mais curieusement quand vous y arrivez, les OPJ et autres
là ne voient que l argent. En d autres termes,
tu me demandes qu au-delà de ce que j avais
déjà perdu, que j aille encore donner de l
argent aux OPJ qui sont assis dans leurs bureaux ? Surtout en matière d
enquêtes mon cher ami, notre justice ne connait
absolument rien ; c est un passe-temps
».
Ceci prouve donc que non seulement notre justice accuse des
limites pour trancher les dossiers relatifs au mobile money mais aussi la
population elle-même n'a plus confiance en la justice en
cette matière parce qu'elle sait déjà au
départ qu'il n'y aura pas de
suite. Mais, qu'est-ce qui
empêche alors la justice à arriver au bout des dossiers relatifs
au mobile money ? Monsieur RDC 2, inspecteur de police
judiciaire répond à cette interrogation sociale en ces termes
:
« Cher étudiant, le droit
congolais est un droit positif c
est-à-dire qui repose sur la
démonstration de la preuve. Par
conséquent, s il n y a pas de preuve,
il est difficile d établir la culpabilité de quelqu
un. Le monsieur est venu déposer sa plainte comme je te
l ai dis mais il fallait maintenant attendre que la justice fasse son
travail. Et le travail de la justice, ma
mission en tant qu inspecteur de police judiciaire, c est d
arriver non seulement à chercher les infractions, les
infracteurs et les traduire en justice, mais aussi je dois
prouver la culpabilité de ces infracteurs ; en d autres termes c est
fournir les preuves qui prouvent pour ne pas me répéter que la
personne a réellement commis l infraction.
Mais dans les dossiers relatifs au mobile
money, nous sommes bloqués par les
éléments de preuve il n y en a pas.
Toi-même tu sais que notre pays n a pas jusque
là d équipements capables de prouver les infractions
perpétrées à l aide des outils technologiques.
De toutes les façons, ce sont les gens de
maisons de télécommunications qui devraient normalement nous
aider dans ce travail mais eux aussi disent qu au niveau de Lubumbashi ici ils
n ont pas la possibilité d établir l infracteur et qu il faut
aller à Kinshasa et là on est bloqué
».
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money estime que cela constitue un point négatif des
nouveaux moyens de paiement dont le mobile money :
« Parce que ku banque mambo inaweza inatoka mais
parce que uko na ma documents d'abord ile iko nakuweka mu
contrat na ile banque et puis chaque transaction kule iko ni pa papier et
là c'est sécurisant même en cas ya
problème. Ku justice, kama uko na ma
preuves yote, utasamba bien mais mobile money preuve iko na
poser problème bataipata wapi na ii ma justice yetu iko paka
archaïque ; dunia mu ku évoluer mais justice yetu depuis
irishimamaka batapata preuve wapi kama mbele ma problèmes yenye simples
sa ya ma mpango na bingine ni paka bilefu bya makuta yashio konekana njo
bataweza je ne pense pas vraiment ».
Ceci pour dire :
« Auprès des banques classiques le
problème peut surgir mais parce que tu as tes documents (papiers) qui te
lient à ces banques là et en plus,
là-bas toutes les services financiers
(retraits ou dépôts) sont sur papier et là
c'est sécurisant même en cas de problème
tout simplement parce que tu sauras même à la justice brandir tous
tes documents comme preuve et là tu sauras comment affronter le
problème mais avec le mobile money, la preuve pose
énormément problème.
D'où viendra la preuve ? Avec notre justice
qui est restée archaïque ! Le monde en train
d'évoluer mais notre justice depuis
qu'elle s'était
arrêtée, elle va trouver les preuves où ?
Si seulement si les problèmes simples tels que ceux liés aux
parcelles et autres ils ont toujours des problèmes,
pensez-vous qu'ils vont trouver
solution aux problèmes d'argent invisible ? Je ne pense
pas vraiment ».
Contrairement au précédent acteur,
monsieur Gemena soulève les difficultés que traverse la
justice congolaise en matière d'investigation,
monsieur Boende, une autre victime dans
l'utilisation du mobile money, estime que le
problème n'est même pas à ce niveau mais
que les acteurs judiciaires ne font pas leur travail si ce
n'est demander de l'argent
:
« Justice yetu ni makuta mu makuta.
Batakwiba kweri unafika kule tena nabo batakulomba papa makuta na
mambo yenyewe abataisha ata kuisha. Batanjatu mwende,
mukuye, mwende, mukuye na vile
mutachoka mwebenyewe munabyacha. Turikuyaka ku ma justice yenu
ile na mambo ya mpango, bilefu na leo ii
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abiyaishaka. Ni paka mulete makuta ya
bifulani munaleta, mulete sasa ya bingine kama ni bya je
munaleta ; uku mwenye avocat naye animitia uku oh ! makuta kama ni ya je ;
shiweze lwangu mutoto yangu. Ile mambo mirimwachiakatu paka
Mungu ; vile yeye arinyonaka marimi ananiba ni yemoya. Mungu
atamuripa ».
Ceci veut dire :
« Notre justice c'est de
l'argent seulement. On peut te voler oui mais
quand tu vas arriver là, eux aussi à leur tour
vont te demander l'argent pendant que la solution au
problème n'est même pas encore
trouvée. Finalement ils vont commencer de vous faire
tourner en rond jusqu'à tel point vous allez vous
fatiguer.
Nous étions à la justice (la vôtre)
dernièrement avec un dossier relatif à la concession
(parcelle),
jusqu'aujourd'hui la solution
n'a jamais été trouvée mais chaque fois
ils ne font que demander de l'argent ; de
l'autre côté c'est
l'avocat aussi qui demande l'argent.
Je ne peux plus mon fils.
Ce problème, je
l'avais confiée simplement entre les mains de
Dieu. Comme cet enfant là m'avait
trouvée facile à voler, seul Dieu va le payer
».
Madame Bunia, utilisatrice du mobile money
donne aussi son impression par rapport à la justice dans le cas des
infractions liées au mobile money :
« Mon fils, que ça soit
à la justice ou encore aller le chercher mais il faut
d'abord connaitre l'accusé mais vu que
c'est quelqu'un que je ne connaissais pas
même de visage ; cela devient un peu difficile quand même ;
vraiment je ne pouvais pas l'identifier. Je
sais qu'il existe des plaintes contre inconnu mais je ne
pouvais que perdre encore de l'argent et peut être sans
suite valable parce que nous connaissons quand même notre justice ; nous
sommes congolais ; nous connaissons très bien notre pays.
La République Démocratique du Congo
c'est comme notre maison et donc ; nous pouvons
connaître partout où ça suinte
».
En sus, les abonnés de
Vodacom, Airtel, Orange et bien
d'autres qui recourent aux différents services de
transfert et conservation électronique de fonds sont souvent victimes et
font l'objet des dévastations,
malversations, arnaques,
maraudages, filouteries,
escroqueries....Certains d'entre eux
se voient être dépossédés de leur monnaie
électronique sans raisons plausibles et sans une procédure
appropriée par des manoeuvres dolosives.
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Par ailleurs, en cas dévastations des
fonds d'un abonné,
l'opérateur téléphonique en
charge dudit service ne parvient pas à répondre valablement
à la victime, soutenant avec élucubration
que, le service de M-Pesa, Orange
Money, Airtel Money... sont
administrés par les serveurs installés à Kinshasa,
où toute opération est gérée,
sachant bien que certaines personnes ne seront pas à mesure de
prendre l'avion ou une autre voie de transport en vue
d'aller se séjourner à la capitale,
pour réclamer la somme perdue.
De la preuve numérique
L'accès à la preuve
numérique est essentiel à l'investigation des
formes de criminalité via mobile money, notamment pour
celles qui sont réalisées intégralement sous la forme
numérique. Cela suppose la disponibilité de ces
données, leur conservation et un régime
juridique adapté permettant cet accès.
L'évolution des pratiques des
délinquants et les développements techniques nécessaires
à la préservation de la vie privée ont
entraîné un fort développement de l'usage
des technologies de chiffrement et
d'anonymisation.
Le recueil de la preuve numérique dépend parfois
de la durée de conservation des données par chaque
hébergeur, qui n'obéit à
aucune norme commune, mais aussi de la garantie que pourront
apporter les enquêteurs sur la qualité (non falsification) de la
preuve. Le respect de la procédure
d'accès à la preuve numérique est
d'une importance fondamentale car elle permet de
démontrer l'intégrité des données
électroniques et d'expliquer la manière dont
elles ont été obtenues en conformité avec les droits des
parties.
Voilà toutes ces réalités auxquelles la
justice congolaise doit s'attendre. Mais
jusque là, comme nous l'avons
constaté, rien et encore rien n'est
fait pour ce qui est de la criminalité dans les services financiers via
mobile money. C'est comme qui dirait que les
criminels dans ce domaine là ne font que se frotter les mains car ils
opèrent en toute quiétude.
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