Chapitre 2 : Méthodes et cheminement de
l'enquête
Pour apporter des éléments de réponse aux
questions que nous nous posons, notre recherche consistera à
étudier les trajectoires de plusieurs cohortes de sociologues en axant
principalement l'étude sur la relation « formation/emploi ».
Nous avons voulu traiter notre problématique à travers un angle
à la fois qualitatif et quantitatif pour nous former à ces deux
méthodes complémentaires. Concernant les statistiques, comme nous
l'avons présenté, nous nous sommes appuyés sur des
données issues de la DEPP (2006) et des travaux de Piriou (2008) pour
clarifier la question du « tournant praticien » et en
parallèle, nous avons récupéré les données
de l'enquête Génération 2010 du CEREQ pour tenter
d'en apprendre plus sur les caractéristiques des sociologues et sur les
questions de leur devenir professionnel et de leur insertion. En ce qui
concerne l'approche qualitative, nous avons réalisé 40 entretiens
semi-directifs d'une durée moyenne de 1h30 avec d'anciens
diplômés d'un master d'une université provinciale.
1. Les populations de l'enquête
L'enquête ethnographique s'est déroulée
auprès d'un corpus de 40 personnes (15 hommes et 25 femmes) dont le seul
prérequis exigé était d'être passé par le
Master de sociologie de l'université où s'est
déroulée l'enquête. La particularité de ce master
est qu'il est divisé en deux branches : une voie professionnelle (DIS)
et une voie recherche (ACCESS). Par nos questionnements quant au devenir des
diplômés de sociologie, nous souhaitions avoir une
répartition équilibrée des deux spécialités.
Ce qui fut plutôt le cas avec 19 diplômés DIS et 21
certifiés ACCESS.
La prise de contact s'est faite par e-mail (cf. Courriel
d'accroche en annexe 1). Cette manière de requérir la
participation des diplômés a eu des incidences qui feront l'objet
d'un travail réflexif dans la partie prévue à cet effet
(cf. Une enquête réflexive).
La plupart des participants ont la nationalité
française (34/40). L'âge moyen du corpus est de 29 ans (ET = 4,3
ans). La participante la plus jeune a 23 ans et le plus âgé 52
ans. En termes géographiques, beaucoup vivent encore dans l'espace
où se déroulait l'enquête (23) mais un nombre
conséquent est parti depuis la fin de leurs études (17).
Concernant la parentalité, on observe que la majorité des
diplômés ne sont pas parents (31/40). Il en est de même du
mariage
37
peu pratiqué (5/40). Pour ce qui est de leur situation
professionnelle, étant donné qu'elle représente une des
questions centrales de ce travail, elle sera évoquée
ultérieurement. Mais pour la plupart, ils ne sont pas concernés
par le chômage (4/40). Nous n'aborderons pas la question du capital
culturel puisque notre prérequis à la participation était
l'obtention d'un niveau master.
Comme notre population d'enquête présente
l'attribut d'en avoir fini avec « l'apprentissage », tous les
participants étaient bien actifs et pris dans leurs occupations.
Certains étaient éloignés de la région où
s'est déroulée l'enquête, de telle sorte que, «
l'entrevue physique » ne fut pas la seule situation d'entretien (17/40),
nous avons beaucoup échangé avec les diplômés par
téléphone (16/40) et par le logiciel Skype (7/40).
L'anonymat étant de rigueur, les noms des participants
ne seront pas rapportés. La formation s'inscrivant dans un tout petit
univers, celui du département de sociologie d'une petite
université, nous avons opté pour la restitution unique du genre,
de la tranche d'âge et de la voie de formation du diplôme (ex :
Homme, la trentaine, DIS). Les catégories pertinentes pour nos analyses
seront rapportées seulement si l'éventualité d'être
identifié est infime et si cela ne risque pas de nuire à
l'intégrité de la personne. Pour ce qui concerne les enseignants,
nous préciserons en aucun cas leur statut hiérarchique, nous
rapporterons seulement leur appartenance à l'équipe
pédagogique (ex : cadre de l'équipe pédagogique).
Pour ce qui est des données obtenues auprès du
CEREQ, une présentation est nécessaire. Les enquêtes
Génération sont des dispositifs originaux permettant
d'étudier l'accès à l'emploi des jeunes à l'issue
de leur formation initiale. Tous les trois ans, une nouvelle enquête est
réalisée auprès de jeunes qui ont en commun d'être
sortis du système éducatif la même année quel que
soit le niveau ou le domaine de formation atteint, d'où la notion de
« génération ». Ces enquêtés permettent de
reconstituer les parcours des jeunes au cours de leurs trois premières
années de vie active et d'analyser ces parcours au regard notamment de
la trajectoire scolaire et des diplômes obtenus. En s'appuyant sur un
calendrier qui décrit mois par mois la situation des jeunes et sur des
informations précises concernant le premier emploi et l'activité
occupée au bout de trois années passées sur le
marché du travail, il permet donc d'analyser les modalités
d'entrée dans la vie active.
Le questionnaire sur lequel se base l'enquête commence
par une partie filtre destinée à valider l'identification de
l'individu et à vérifier les critères
d'éligibilité. Le questionnaire aborde ensuite successivement les
thèmes suivants : le parcours scolaire, le calendrier mensuel
d'activité sur les 3 années suivant la sortie du système
éducatif, les caractéristiques individuelles
38
et l'environnement familial. Au coeur du dispositif est
édifié un calendrier professionnel, il retrace mois par mois le
parcours de l'enquêté entre la date de fin d'étude et la
date de l'enquête. A l'issue des différents traitements, les
fichiers de résultats de l'enquête Génération
2010 sont répartis en 3 tables rapportées dans un tableau en
annexe avec les effectifs de sociologues que nous avons pu retirer de ce
dispositif (cf. Annexe 2).
En définitive, l'échantillon réuni par
l'enquête regroupait 33 547 individus. Grâce à une variable
intitulée « Code de la spécialité (NSF ) de la classe
de sortie » nous avons pu distinguer les diplômés de
sociologie (tout niveau confondus) au sein de l'échantillon
Génération 2010. A partie de la NSF, nous avons pu
répertorier 257 étudiants sortis des études après
avoir effectué une année universitaire rattachée à
un cursus de sociologie. Pour respecter les critères de sélection
de nos participants nous avons supprimé les données des
diplômés de licence pour retenir uniquement celles des
certifiés d'un niveau master ou doctorat. Par conséquent,
à partir de la variable « Diplôme de classe terminale »
nous avons retiré tous les étudiants de l'échantillon qui
n'ont pas un diplôme de niveau 1 de telle sorte que notre
échantillon représente 59,8 % de diplômés de master
et 40 % de doctorant pour un effectif de 132 participants (cf. Annexe 3).
Les effectifs des sociologues issus de ces enquêtes
étant faibles il convient de relativiser les résultats que nous
retirerons de ces données. Par exemple, après discussion avec un
responsable de l'équipe Génération du CEREQ, nous
avons compris qu'il est communément admis en statistique que les
résultats peuvent être interprétés comme
significatifs à partir d'un seuil de 200 individus, ce qui n'est pas
notre cas. Cependant, la culture sociologique étant très critique
vis-à-vis du caractère arbitraire que recouvrent ces normes
statistiques il ne s'agit pas pour nous de considérer que nos
résultats n'ont aucune valeur mais qu'ils mériteraient
d'être étayés par des effectifs plus importants, gage d'une
significativité communément admise. Néanmoins, dans le
cadre d'un mémoire de Master il nous semblait nécessaire et
pertinent d'analyser ces données. C'est à travers ces
matériaux que seront exposées les caractéristiques des
diplômés de sociologie dans le 4ème chapitre
(cf. Les caractéristiques des diplômés de
sociologie).
2. La construction des matériaux
Cheminement et difficultés
Tout ce qui a trait au déroulement des entretiens, aux
difficultés (ou non) a fait l'objet d'un travail réflexif qui se
trouve dans la partie 3 (cf. Une enquête réflexive). Les
entretiens se sont déroulés de Décembre 2017
jusqu'à la fin Mai. Les coordonnées pour contacter les
diplômés ont été obtenus auprès du
secrétariat de sociologie sans grandes difficultés suite à
l'aval du directeur de formation. Pour ce qui est des données CEREQ,
nous avons été mis en relation avec un responsable de l'institut
via un professeur de l'université. Grâce à cela, nous avons
pris connaissance de la démarche à effectuer pour
récupérer les données auprès du centre Maurice
Halbwachs. Ainsi, nous avons pu mettre la main sur les données de
l'enquête Génération 2010. Concernant le cadrage
statistique des flux de diplômés nous nous sommes appuyés
sur le travail d'Odile Piriou (2008) qui avait analysé des
données issues de la DEPP21 en 2006. Ces données
datant quelque peu, nous avions formulé le souhait de reproduire la
démarche de l'auteure mais cette fois-ci en effectuant un
rafraîchissement des statistiques avec des fichiers plus récents.
Conformément à ce qui était indiqué sur le site de
la DEPP, nous avons contacter la secrétaire générale pour
nous renseigner sur la marche à suivre pour obtenir des données
concernant la fluctuation des certifications du supérieur. Cette
dernière nous informa « à son plus grand regret » que
ce service statistique ne relevait plus de la DEPP mais de « la
sous-direction des systèmes d'information et des études
statistiques de l'enseignement supérieur » dont elle nous fit
suivre un mail. Adresse qui se révéla être un automate
programmé pour accuser notre demande en affirmant qu'elle aurait une
réponse dans les 5 jours. Malgré nos relances nous n'avons jamais
eu de réponse. Cette déconvenue nous a conduit à nous
référer à des données plus anciennes mais
permettant une comparaison.
39
21 Direction de l'Evaluation, de la Prospective et de la
Performance.
40
Méthodologie de terrain
Les 40 entretiens ont été menés en
respectant le plus possible la trame élaborée dans notre guide
d'entretien. Au cours des entrevues étaient évoqués
plusieurs thèmes (cf. Grille d'entretien Annexe 9) : leur
origine sociale, la trajectoire scolaire et universitaire, l'engagement dans la
formation, la recherche/la thèse, l'influence de la sociologie, sa mise
en oeuvre, la situation et la pratique professionnelle, leur conception du
rôle du sociologue et de la sociologie, leurs projets, etc...
Concernant le déroulement de l'enquête,
même si comme le stipule certains manuels, l'exercice de l'entretien
correspond plus à de la « débrouillardise » qu'à
une méthode standardisée, nous nous sommes raccrochés
à des conseils fournis par des sociologues qui promulguent cette
approche. Ainsi, comme le conseillent Weber et Beaud (2010) nous nous sommes
efforcés de gagner la confiance des enquêtés qu'il faut
percevoir comme une condition nécessaire pour obtenir des informations
fiables et instructives. Pour cela, l'empathie, les signes
d'intérêts, d'approbations, d'étonnements, de compassion ou
d'effarement qui ponctuent toute interaction « ordinaire »
étaient de mise. Par ailleurs, nous avons veillé à ne pas
mettre en place une atmosphère d'examen ou d'audition (même si
cela peut sembler inévitable par moment) en mettant en avant notre
souhait d'un échange de point de vue. Afin de mener nos entretiens, nous
avons adopté un style semi-directif où nous faisions place aux
associations libres utilisant des relances en lien avec nos thématiques.
Il n'y avait pas d'ordre strict pour formuler nos questions, nos interventions
ne visaient pas à flécher le cheminement de l'entretien, à
juger ou à évaluer mais à favoriser la libre expression de
l'enquêté en l'invitant à poursuivre, à
compléter, à synthétiser, à demander une
précision...
Pour les entretiens qui se sont déroulés en
vis-à-vis, nous avons veillé à nous entretenir dans un
lieu calme et rassurant, la plupart du temps un café étudiant ou
le domicile pour ceux qui le proposaient. Considérant qu'un climat de
confiance devait s'installer nous prévoyions à chaque fois une
plage horaire conséquente. En termes de durée, les entretiens se
sont étalaient en moyenne sur 1h30. Les entretiens se sont en
général achevés lorsque les participants manifestaient le
souhait d'y mettre un terme.
Les données statistiques du CEREQ ont été
traitées à partir d'un logiciel SAS22
nommé JMP permettant de travailler directement les
données, de commander des tests statistiques
22 Statistical Analysis Software.
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restitués numériquement dans des tableaux sous
forme graphique et cela, tout en croisant les différentes variables.
Pour travailler nos matériaux qualitatifs,
conformément aux conseils de Weber et Beaud (2010) nous avons
édifié une grille d'analyse qui comprenait 4 grands axes : la
première concernait les caractéristiques sociales, la seconde le
devenir professionnel, la troisième le rapport à la sociologie et
la dernière recouvrait la question de la légitimité. Cette
grille, réalisée avant la réécoute des entretiens a
permis de centraliser notre attention sur nos problématisations.
Cependant, elle a été modifiée et modulée tout au
long de la réécoute, de telle sorte que l'on puisse dire qu'elle
fut structurante pour notre analyse et restructurée par cette
dernière.
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