B. Les autres violations des droits humains
Lors des conflits, aucun droit humain n'est respecté.
Les violations des droits partent la perte de la vie humaine aux arrestations
et détentions illégales en passant par les préjudices
physiques.
S'agissant des droits économiques, sociaux et
culturels, civils et politiques, il faut noter l'efficacité des
garanties constitutionnelles des droits de l'homme et des libertés
fondamentales : les droits civils et politiques consacrés par les
principaux instruments internationaux sont intégrés dans le
corpus de la constitution. Mais dans la pratique tout diffère, tous ces
droits mentionnés en noir sur blanc dans la constitution sont
bafoués lors des conflits liés à la mobilité
pastorale. L'article 18 de la constitution de la République du Tchad
dispose : « Nul ne peut être soumis, ni à des services ou
traitements dégradants et humiliants, ni à la torture
», l'article 19 de la constitution dans le même élan
dispose : « L'esclavage, la traite des êtres humains, le travail
forcé, la torture physique ou morale, les traitements inhumains, cruels,
dégradants et humiliants, les violences physiques, les mutations
génitales féminines, les mariages précoces ainsi que
toutes les autres formes d'avilissement de l'être humain sont interdites
», et l'article 21 est bref et concis : « Nul ne peut
être tenu en esclavage ou en servitude ». Ces trois passages de
la constitution consacrent le droit au respect de l'intégrité de
tout citoyen. Par ces dispositions, le constituant tchadien condamne fermement
toute atteinte illégale à l'intégrité physique.
Dans le premier, il interdit absolument les services ou traitements
dégradants et humiliants, et la torture. Dans le second, il interdit
avec la même rigueur l'esclavage, la traite des êtres humains, le
travail forcé, la torture physique ou morale, les traitements inhumains,
cruels, dégradants et humiliants, les violences physiques, les mutations
génitales féminines, les mariages précoces ainsi que
toutes les autres
50
formes d'avilissement de l'être humain. Dans le
troisième, il interdit formellement l'esclavage et la servitude. Le
législateur énumère l'article 21 de la constitution pour
besoin d'insistance, car les deux pratiques sont déjà interdites
dans les articles 18 et 19. Les droits sus cités sont mis en mal lors
des conflits liés à la mobilité pastorale. Les
éleveurs nomades, en déplacement achètent sur place des
enfants mineurs pour garder leurs boeufs. Ils les traitent comme des
bêtes de somme. Ces enfants sont vendus par leurs parents avec la
complicité des autorités locales. En guenilles, chaussures
usées au pied, les yeux rouges et mine renfrognée, ces enfants
essaient tant bien que de regrouper des troupeaux d'environ deux cent (200)
boeufs. L'âge de ces enfants bergers varie dans la plupart des temps de
treize (13) à neuf (9) ans. Il existe dans la région des
centaines d'enfants gardiens des boeufs de moins de dix-huit
(18) ans. Ils doivent garder les boeufs pour subvenir aux
besoins de leur famille et particulièrement de leur père qui
bénéficie des avantages sur le dos de ces enfants. Ces enfants
bouviers ont chaque année un veau pour un troupeau de cinquante (50)
à cent (100) boeufs et une somme de quinze mille (15 000) francs en
guise de récompense. Ils parcourent des milliers de kilomètres
à pieds, ils conduisent des fois les boeufs jusqu'à Adoumri au
Cameroun qui est un carrefour de vente des boeufs dont les commerçants
viennent du Tchad, du Cameroun, de la Centrafrique, de la République
Démocratique du Congo et du Nigéria. Ces enfants sont de plus en
plus maltraités par les propriétaires des boeufs, ils sont
souvent ligotés et frappés par ces derniers. Loin de leurs
parents, ces enfants sont obligés de reprendre le chemin de la brousse
avec les animaux. Ils passent de fois plus de trois jours sans rien manger et
leurs moments de repos sont en fonction de ceux des bêtes. «
L'esclave n'a pas droit à la nourriture » répondent
les propriétaires des boeufs lorsque les bouviers réclament de
quoi à se mettre sous la dent, les moins cyniques leur remettent en
guise de ration alimentaire journalière un peu de pâte de mil et
du lait caillé.93 Ils doivent se contenter des fruits
sauvages et boire, comme les bêtes dont ils ont la garde, les eaux
insalubres des mares et des marigots. Ils dorment la nuit parmi les boeufs
à même que le sol. Plus, ils n'ont jamais accès aux soins,
malheur à celui qui tombera malade. « Un jour, j'étais
tellement malade et un agriculteur m'a donné les médicaments. Il
m'a trouvé couché sous un arbre, en pleine brousse où je
n'avais plus la force de contrôler les boeufs. Il m'a ainsi aidé
juste pour l'amour de Dieu, si cet homme ne me donnait les médicaments
j'allais mourir, mes parents sont à plus 200 km d'ici » dit un
enfant bouvier qu'on a rencontré à la sortie de Carrière
sur la route de
93 ARTIDI (Claude), Les « enfants bouviers
» du sud du Tchad, nouveaux esclaves ou apprentis éleveurs ?,
Cahiers d'Etudes africaines, Volume 45, Cahier 179/180, 2005, p. 717.
Fianga. Dans ces conditions inhumains et dégradants,
certains ne pouvant pas supporter abandonnent le troupeau et fuient.
Malheureusement, ils sont très vite rattrapés et reconduits dans
les troupeaux par les propriétaires des boeufs qui sont pour la plupart
des militaires et des administrateurs qui convoitent le sud du pays pour
l'élevage qui sera un complément à leurs salaires. La
chance de ces enfants d'échapper des mains de ces propriétaires
est très mince. Cette question a été soulevée en
1993 lors de la Conférence Nationale Souveraine94 et reprise
au Forum National Inclusif de 2018 mais il n'y a pas encore de manifestations
pour pallier à ce phénomène.
Tous les droits relatifs à la justice sont mis en mal
lors des conflits liés à la mobilité pastorale. L'article
22 de la constitution dit : « les arrestations et détentions
illégales et arbitraires sont interdites ». Lors des conflits,
les arrestations illégales sont innombrables. Les agriculteurs sont de
plus en plus les victimes de ces arrestations. La plupart des éleveurs
sont les autorités administratives (gouverneur, préfet
sous-préfet) et militaires (Commandant de zone, commandant de brigade,
commissaire de police...) et des proches des militaires. Ceux-ci dès
qu'un problème éclate contre les agriculteurs, ils arrêtent
automatiquement ces derniers et les conduisent soit à la brigade soit au
commissariat de police où ils sont détenus sans accès
à la justice durant des semaines voire des mois. Plus grave, ils sont
conduits à la maison d'arrêt sans passer devant un juge. C'est
tout à fait contraire à l'article 23 de la Constitution qui
dispose : « Nul ne peut être détenu dans un
établissement pénitentiaire s'il ne tombe sous le coup d'une loi
pénale en vigueur ». L'article 26 de la Constitution est clair
: « La peine est personnelle. Nul ne peut être rendu responsable
et poursuivi pour un fait non commis par lui ». Mais la
responsabilité pénale collective est très fréquente
dans la province du Mayo-Kebbi Ouest notamment lors des conflits liés
à la mobilité pastorale. Quand une personne est recherchée
pour une responsabilité, un de ses proches est arrêté pour
contraindre le coupable à revenir. Cette pratique est contraire à
l'article 26 de la Constitution. L'article 27 de la Constitution interdit plus
clairement la responsabilité collective en ces termes : « Les
règles coutumières et traditionnelles relatives à la
responsabilité pénale collective sont interdites ».
D'autres droits fondamentaux relatifs à la justice sont
également foulés au pied notamment la présomption
d'innocence et l'accès même à une justice satisfaisante.
Pour le premier cas, l'article 25 de la Constitution de la République du
Tchad dispose : « Tout
51
94 Ibid.
52
prévenu est présumé innocent
jusqu'à l'établissement de sa culpabilité à la
suite d'un procès régulier offrant des garanties indispensables
à sa défense ». Tant qu'un jugement de condamnation
définitive n'est pas intervenu, l'inculpé doit être
considéré comme innocent même s'il existe contre lui des
indices graves et concordants de culpabilité. En outre, il revient
à celui qui accuse d'apporter les preuves de la culpabilité, le
doute profitant à l'accusé. La présomption d'innocence qui
est un droit fondamental qui est méconnue quand les conflits opposent
les riches propriétaires des boeufs aux pauvres agriculteurs.
L'agriculteur est jeté en prison avant que sa culpabilité ne soit
établie par une juridiction compétente. Pour le second, il
ressort clairement de la Constitution du Tchad que la loi assure à tous
les hommes le droit de se faire justice. Ainsi, deux conditions doivent
être remplies. En premier lieu, la justice doit être accessible au
justiciable. La justice n'est pas accessible à tous citoyens surtout
lors des conflits liés à la mobilité pastorale. La
corruption perpétuée par les nantis, la lenteur, le coût de
la justice font qu'elle n'est pas accessible à tous. En second lieu, le
justiciable doit avoir confiance à ses juges. Pour dire autrement, le
justiciable doit être jugé par un juge indépendant et
impartial. Cette confiance du justiciable envers ses juges est loin de
s'établir car l'argent a tout gâté comme le dit dans le
langage de la province.
L'article 28 de la Constitution tchadienne dispose : «
Les libertés d'opinion et d'expression, de communication f...] de
circulation f...] sont garanties à tous ». L'alinéa 1
de l'article 7 du code pastoral dispose : « La mobilité
pastorale à l'intérieur du territoire national est une
liberté reconnue à tout éleveur dans le respect de la
réglementation nationale en vigueur et des us et coutumes de la zone
d'accueil », cette disposition vient en complément à
l'article 28 de la constitution pour garantir la mobilité pastorale. Par
ces dispositions, le constituant tchadien proclame la liberté d'aller et
de revenir qui comprend la liberté de mouvement. La liberté de
mouvement dont il est question renvoie à la liberté de
circulation à l'intérieur du pays, bien que libre, elle peut
être soumise au contrôle d'identité au niveau des
barrières de police ou de gendarmerie. C'est sont là les
restrictions à la liberté d'aller et de revenir qui sont
fixées pour des raisons de sécurité intérieure,
d'ordre public et même de santé publique. S'il faut
apprécier la clarté de ces dispositions qui garantissent la
liberté de circulation, toute fois la réalité
diffère. Les éleveurs en mobilité subissent toute forme de
tracasserie, dans les villages où ils passent, leurs biens subissent des
violences physiques qui vont des blessures jusqu'à la mort de l'animal
des fois, le vol de bétail etc.
Le droit de propriété est un droit fondamental.
C'est le droit de posséder des biens, d'en jouir à l'effet de
réaliser sa destinée personnelle en s'appropriant tant
socialement
53
qu'économiquement. L'Etat ne peut en priver l'individu
que dans les cas où l'intérêt général est mis
en cause. Dans ce cas, on parlera d'expropriation pour cause d'utilité
publique. L'Etat qui exproprie pour cause d'utilité publique devra
indemniser le propriétaire. Elle est inviolable et sacrée.
L'article 45 de la Constitution est sans ambiguïté : « la
propriété privée est inviolable et sacrée
». Le principe est que la propriété est un droit
imprescriptible et sacré de l'homme, pourtant la réalité
diffère. On constate une inégalité flagrante en
matière de propriété surtout lors des conflits liés
à la mobilité pastorale. La destruction des champs par les
éleveurs ; les blessures et les tueries d'animaux par les agriculteurs
sont des graves violations du droit de la propriété
privée. Ces violations des droits humains sont étroitement
liés à la mise en mal de la sécurité des personnes
dans la province et à la désorganisation sociale des pasteurs.
PARAGRAPHE II : LA MISE EN MAL DE LA
SÉCURITÉ DES PERSONNES DANS LA PROVINCE ET LA
DÉSORGANISATION SOCIALE DES PASTEURS
Les conflits liés à la mobilité pastorale
sont des facteurs de mise en mal de la sécurité des personnes
dans la province (A) et désorganisent socialement les
pasteurs (B).
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