Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounaispar Ivan De Nguimbous Tjat Limbang Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018 |
§-1 Les moyens de défense conventionnels limités défavorisant la personne morale137. Les moyens de défense conventionnels sont les plus usuels, les plus attendues devant les juridictions répressives. Ainsi, la charge de la preuve pesant sur l'accusation en vertu du principe de la présomption d'innocence, la défense peut soit se contenter de faire front et contester chacun des éléments de l'accusation afin d'obtenir un acquittement. Cette stratégie est plus souvent utilisée dans les cas où il existe des dissonances dans les éléments apportés par l'accusation et dans la procédure.325(*) Il sera donc question pour le mis en cause de contester sa culpabilité sous la base de ce que aucun élément de preuve ne le relie à la commission de l'infraction. La défense peut aussi ne pas contester les éléments de preuve présentés et admettre sa participation à l'infraction mais invoquer une cause d'irresponsabilité objective ou subjective. Cette stratégie est très souvent utilisée pour éviter de nier les évidences, de reconnaitre ce qui est incontestable et concentrer sa défense sur les circonstances atténuantes les faits justificatifs, les causes de non imputabilité326(*). Appliquée à la personne morale, celle-ci comme moyen de défense au regard des modalités d'imputation de l'infraction posées par le législateur ne peut que se contenter de contester sa participation à l'infraction ou la nullité de la procédure (A) car elle peut difficilement faire valoir des causes objectives ou subjectives d'irresponsabilité (B). A- La contestation comme moyen de défense ouvert à la personne morale 138. Contester c'est nier, réfuter. Ainsi, la personne morale étant responsable pénalement des infractions commises pour son compte par ses organes ou représentants327(*), la contestation portera sur des motifs différents suivant qu'elle ait des intérêts communs (1) ou divergents (2) avec la personne physique organe ou représentant. 1- La contestation en cas de convergence d'intérêts entre la personne morale et la personne physique organe ou représentant 139. Les intérêts de la personne morale peuvent converger avec ceux des personnes physiques organes ou représentants lorsque seule la responsabilité du groupement est engagée. Ce cas existe soit parce que le procureur aura fait le choix de poursuivre uniquement l'être collectif, soit lorsque que l'organe ou le représentant n'a pas pu être identifié. Ainsi, la personne morale contestera chaque élément présenté par l'accusation ayant pour but d'établir que l'infraction a bel et bien été commise par un organe ou le représentant de la personne morale. La personne morale pourra aussi, par le biais de son défenseur, contester la qualité d'organe ou de représentant de la personne physique auteur des actes incriminés lorsque cette personne n'est qu'un employé, ou un préposé ne bénéficiant d'aucune délégation de pouvoir. La contestation ne portera pas sur les mêmes éléments si les intérêts sont divergents. 2- La contestation en cas de divergence d'intérêts entre la personne morale et la personne physique organe ou représentant 140. Il y a divergence d'intérêts lorsque la personne physique est mise en cause cumulativement avec la personne morale pour les mêmes faits. Pour se dédouaner, la personne morale contestera les éléments tendant à démontrer que l'organe ou le représentant a agi es qualité pour son compte. Il s'agira alors de rejeter toute la faute sur la personne physique car elle aura agi dans son propre intérêt au mépris des intérêts du groupement. Dans ce cas la personne morale sera la victime. 141. Comme moyen de défense, elle peut aussi évoquer des dissonances dans la procédure sur le fondement de l'article 3 alinéa 1 du code procédure pénal328(*) ; mais aussi invoquer les différentes nullités, et les autres causes d'extinction de l'action publique énoncés à l'article 59 du code de procédure pénale camerounais. Pour ce qui est des causes d'irresponsabilité et circonstances atténuantes, elles semblent moins adaptées à la personne morale. B- Les causes exclusives de responsabilité comme moyen de défense fermé aux personnes morales 142. Les causes d'irresponsabilité pénale, sont des facteurs qui excluent la responsabilité pénale. Le législateur les regroupe dans les causes qui suppriment ou atténuent la responsabilité pénale.329(*) Certains de ces facteurs neutralisent le préalable légal de l'infraction en retirant à celui-ci son caractère délictueux, il s'agit des faits justificatifs (1). D'autres jouent sur la volonté, il s'agit des causes de non imputabilité (2). Il semble impossible pour la personne morale de faire jouer une cause d'irresponsabilité pour se dédouaner. 1- L'incompatibilité entre la nature de la personne morale et les causes objectives d'irresponsabilité 143. Les causes objectives d'irresponsabilité sont celles qui ne sont pas liées aux personnes, mais à l'infraction. En effet, il existe des causes qui viennent retirer le caractère injuste de l'action ou de l'omission incriminé, en supprimant le préalable légal. Il peut s'agir de causes postérieures à l'infraction comme l'abrogation de la loi. Mais le plus souvent le préalable légal va disparaitre du fait d'éléments contemporains à l'infraction c'est notamment le cas des faits justificatifs330(*). Ainsi, le fait justificatif est une circonstance matérielle qui vient faire obstacle à la qualification de l'infraction331(*). Il s'agit soit d'une obéissance332(*) soit une permission ou une tolérance333(*). À côté de ces faits justificatifs généraux il existe des faits justificatifs spéciaux334(*). Généraux ou spéciaux, les faits justificatifs jouent pour tous les auteurs, co-auteurs, complices et même receleurs, à toutes les phases de la procédure. Il n'est pas nécessaire pour qu'il soit reconnu d'aller jusqu'au stade du jugement. Si le procureur de la république constate que les conditions d'effectivité d'un fait justificatif sont réalisées, il n'engage pas les poursuites et classe sans suite. Si c'est le juge d'instruction qui constate que ces conditions sont remplies, il rend une ordonnance de non-lieu. Enfin, si c'est la juridiction de jugement, elle rend une décision de relaxe ou d'acquittement335(*). 144. La question est donc de savoir si un fait justificatif peut être caractérisé directement à l'égard d'une personne morale. Le législateur n'a pas apporté de précision sur la question, et la doctrine semble partagée. En effet, on imagine mal une personne morale commettre une infraction par légitime défense, toutefois des auteurs ont tenté de démontrer que la personne morale peut commettre une infraction par nécessité. L'exemple est celui-ci d'une personne morale qui fraude le fisc pour payer le salaire de ses employés en période de crise économique336(*). Cette solution est déjà applicable en droit brésilien qui admet la justification de l'infraction de défaut de paiement des impôts dans le but d'assurer les salaires des employés de l'entreprise dans un contexte de crise financière337(*). Il semble difficile d'admettre une telle solution, de telle sorte que les faits justificatifs ne peuvent pas être utilisés au cours d'un procès par la personne morale pour obtenir un acquittement. Par contre elle pourra pour bénéficier d'un acquittement faire valoir un fait justificatif chez son organe ou représentant poursuivi pour les mêmes faits. Le fait justificatif neutralise à la fois la responsabilité de l'organe mais aussi de tous ceux qui sont poursuivis. On dit que le fait justificatif opère in rem338(*). La jurisprudence est toujours hésitante à ce sujet. Sous le prisme du droit comparé, une seule décision dans le sens de la communication d'un fait justificatif à la personne morale339(*). Quid des causes subjectives ? 2- L'incompatibilité entre la nature de la personne morale et les causes subjectives d'irresponsabilité 145. Les causes subjectives contrairement aux causes objectives ne sont pas liées à l'infraction mais à la personne, à ses aptitudes. Elles sont encore appelées causes de non imputabilité. L'existence d'une cause de non imputabilité va faire obstacle à ce que « l'ordre juridique adresse un jugement de reproche à l'encontre de l'agent qui a accompli un acte illicite »340(*) pour des raisons telles que le défaut d'intelligence341(*) ou de volonté343(*). La coloration illégale de l'action ou de l'omission demeure mais ne sera pas blâmée. L'une des questions qui se pose est celle de savoir si un être immatériel peut soulever au cours de l'instance une cause de non imputabilité destinée aux personnes physiques ? La réponse semble à priori négative. D'abord, si l'on se fonde sur le mécanisme d'imputation morale de l'infraction à la personne morale, celle-ci doit être commise pour son compte, ce qui fait plus ressortir l'idée de profit, d'intérêt. Alors que l'imputation morale chez les personnes physiques repose sur l'intelligence et la volonté344(*). Pourtant, une partie de la doctrine milite pour l'admission des causes de non imputabilité à la faveur de la personne morale. L'argument se fonde sur l'égalité de tous devant la justice. 146. Certains auteurs ont fait observer qu'une infraction commise suite à une décision du conseil d'administration d'une personne morale prise sous la base d'information erronée fourni par une autorité administrative pourrait constituer une erreur de droit345(*). D'autres ont soulevé l'hypothèse dans laquelle unesociété mère impose une décision à une filiale, laquelle décision aboutira à la consommation d'une infraction qui profitera à toutes les sociétés du groupe. Mais, parce que la filiale a une existence propre seule sa responsabilité pénale sera retenue, la société mère a ainsi l'occasion de faire supporter à la seule filiale la conséquence pénale346(*). Pour contrer cette situation, qui est « une aubaine pour la société mère ainsi épargnée d'avoir à supporter, à l'échelle du groupe les conséquences patrimoniales ou organisationnelles d'une amende ou d'une sanction spécialement prévue »347(*), la doctrine propose que la contrainte348(*) soit reconnue comme cause de non imputabilité à la faveur de la société filiale. Et parce que les causes de non imputabilité ne se communiquent pas, rien n'empêche de poursuivre les personnes physiques auteurs des actes incriminés, la société mère quant à elle peut être poursuivie en tant qu'auteur moral. Il reste donc que par rapport aux personnes physiques, les personnes morales ne peuvent pas invoquer des causes subjectives d'irresponsabilité, et ne peuvent pas se prévaloir de l'admission d'une cause de non imputabilité à l'égard de l'organe ou du représentant, parce que contrairement aux faits justificatifs qui se communiquent, ceux-ci agissent in personam, donc uniquement à l'égard de la personne au bénéfice de laquelle elle est reconnue. Il apparait donc que les moyens de défense conventionnels de la personne morale sont limités, le droit pénal ne lui accorde pas suffisamment de marge de manoeuvre en la matière etelle semble défavorisée. Son caractère immatériel semble être donc la paralyser dans un sens, mais présente des avantages dans un autre. * 325 Daoud (E.) Les stratégies et modes de défense pénale, interview Dalloz Actu étudiant, 19 juillet 2018 * 326BENBOUZID (M.), petit manuel de défense pénal, International Bridges to Justice, version numérique www.justicemarkers.net switzerland, p. 19 * 327 Art. 74-1 CP camerounais. * 328 Article 3 CPP « (1) La violation d'une règle de procédure pénale est sanctionnée par la nullité absolue lorsqu'elle : a) Préjudicie aux droits de la défense définis par les dispositions légales en vigueur ; b) Porte atteinte à un principe d'ordre public. (2) La nullité prévue au paragraphe 1 du présent article ne peut être couverte. » Elle peut être invoquée à toute phase de la procédure par les parties, et doit l'être d'office par la juridiction de jugement ». * 329 Chapitre II du titre III du code pénal camerounais. * 330 MINKOA SHE (A.), cours polycopié de droit pénal général, dispensé en L2, année académique 2015-2016. * 331 REINALDET DOS SANTOS (T-J), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée franco-brésilienne, op.cit. p. 293. * 332 Dans cette catégorie on distingue l'obéissance à la loi (article 76) de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal, le commandement de l'autorité légitime (article 83). * 333 Dans cette catégorie l'on range la légitime défense (Article 81(1)), l'état de nécessité (article 86) et le consentement de la victime. * 334 Les faits justificatifs spéciaux sont liés à des domaines précis, en matière de sport par exemple dans un combat de boxe, le boxeur ayant respecté les règles du combat, ne pourra pas être poursuivi pour coup et blessure, en matière de diffamation, l'exceptiovéritatis constitue un fait justificatif. * 335 MINKOA SHE (A.), cours polycopié de droit pénal général, dispensé en L2, année académique 2015-2016. * 336 REINALDET DOS SANTOS (T-J), la responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée franco-brésilienne, op.cit. p. 296. * 337Ibid. * 338« Les faits justificatifs font perdre le caractère délictueux au fait générateur. Les éléments de l'infraction ne sont pas constitués, l'acte est conforme au droit (...) en principe, ils doivent être transmis à la personne morale. Comme ces faits justifient l'infraction, celle-ci n'est pas constituée et ne peut pas être imputée à la personne morale » AFCHAIN (M.-A.), La responsabilité de la société op.cit.p. 110. * 339 CA Paris, 28 mai 2009, Jurisdata n° 2009-004993 ; JCP G 2009, n° 36, 186, obs. MARÉCHAL (J.-Y.). * 340 REINALDET DOS SANTOS (T-J), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales : étude comparée franco-brésilienne, op.cit. p. 421. * 341342 Dans ces causes on regroupe la disparition de la capacité de compréhension soit par le fait de la démence (78(1)) CP camerounais, soit par l'intoxication involontaire (art 79) CP camerounais. Mais aussi la minorité (art. 80) C.P camerounais. * 343 Dans ces causes on regroupe la contrainte (art 77) CP camerounais. * 344 REINALDET DOS SANTOS (T-J), La responsabilité pénale à l'épreuve des personnes morales, op.cit. p. 423 * 345ibid. p. 423. * 346BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit. pp 497 et s. * 347BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale, op.cit. pp 497 et s. * 348 V. CARTIER (M.-E.), « La responsabilité des personnes morales : évolution ou révolution », op.cit. p. 26. |
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