Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounaispar Ivan De Nguimbous Tjat Limbang Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018 |
§- 2 : les moyens de défense non conventionnels de la personne morale mettant à mal les autorités de poursuite147. Les moyens de défense non conventionnels sont ceux que la personne morale peut utiliser pour contourner la répression, il s'agit de la ruse. Ces moyens de défense propres à la personne n'ont pas été prévus par le législateur camerounais. Elle a trait tout d'abord à la nature de la personne morale mais aussi l'exigence de personnalité juridique posée par le législateur. Ainsi, pour contourner le champ pénal, les organes et représentants peuvent commettre l'infraction avant d'effectuer les formalités légales liées à l'acquisition de la personnalité morale (A) ou instrumentaliser les opérations de restructuration pour échapper à la répression (B). A- La commission d'infraction avant l'acquisition de la personnalité juridique par l'être moral 148. En utilisant l'expression « personne morale », le législateur fait ainsi le choix d'exclure les groupements non dotés de la personnalité juridique. Positivement les autorités de poursuite doivent vérifier ou apporter la preuve de l'existence légale du groupement au moment de la commission de l'infraction. Négativement, la personne morale devra juste apporter la preuve de l'absence de personnalité juridique au moment de la commission de l'infraction. Ainsi, si cela apparait comme un moyen de défense intéressant pour les personnes morales (1), il a des effets pervers en termes de criminalité (2). 1- La preuve de la commission de l'infraction avant l'acquisition de la personnalité morale comme moyen de défense intéressant pour les personnes morales 149. Naturellement, la charge de la preuve appartient à celui qui accuse. Mais rien n'interdit à la défense de produire des moyens de preuves. Ainsi, elle parait intéressante parce qu'elle est facile. Il suffit juste de se référer à la date inscrite sur le récépissé de déclaration ou la date l'immatriculation. Elle peut même servir de preuve préconstituée dans la mesure où les organes et représentants ont volontairement effectués des actes incriminés avant l'acquisition de la personnalité morale. 150. Il en est de même pour les groupements déjà constitués mais à qui la loi ne reconnait aucune existence propre. Ceux-ci n'auront même pas besoin de fournir une quelconque preuve. L'un des exemples les plus marquants est celui des succursales et du groupe de société. La succursale est définie par l'AUSCGIE comme étant un établissement d'exploitation industrielle, commercial, ou de prestation de service appartenant à une autre personne morale ou une personne physique349(*) qui n'ont pas de personnalité juridique distincte des personnes physiques ou morales propriétaires. On a donc une entité qui existe dans la légalité, qui a une autonomie de gestion350(*), mais qui lorsqu'elle commettra une infraction celle-ci sera considérée comme celle de la personne physique ou morale qui en ait propriétaire. Ce moyen de défense se base sur le fait qu'un être qui ne vit pas ne saurait commettre des infractions. Par analogie, admettre la responsabilité pénale des groupements non dotés de la personnalité morale s'assimilerait à admettre la responsabilité pénale d'un foetus. Tout comme la personnalité juridique est nécessaire pour les personnes physiques, elle est tout aussi pour les personnes morales. Pour être pénalement responsable il faut d'abord exister légalement, et parce qu'elle existe légalement, la personne morale a un patrimoine ; est titulaire des droits et obligations et est donc « admissible à la responsabilité pénale »351(*). Il est également possible d'assimiler à cette situation, les fermetures frauduleuses et dissolution frauduleuses, c'est-à-dire cette à dire celles qui sont instrumentalisée par l'être collectif pour éluder les poursuites. Ainsi, pour échapper à la répression, la personne morale pourra provoquer sa dissolution pour mieux « renaitre » sous un autre nom avec une personnalité juridique différente. Toutefois, l'absence de personnalité morale n'exclut pas la responsabilité des personnes physiques auteurs des actes incriminés. En effet, seul ceux-ci seront poursuivis et leur responsabilité pourra être établie. L'absence d'existence légale constitue donc une sorte d'immunité pour la future personne morale à naitre. Cette conception présente un réel problème du point de vue de la criminalité. 2- Les effets pervers de l'exclusion des groupements non dotés de la personnalité juridique du champ de la responsabilité pénale 151. Si l'exclusion des entités morales non dotés de la personnalité morale se justifie par un souci d'égalité devant la justice ; il n'en demeure pas moins regrettable que le législateur camerounais n'ait pas été plus rigoureux dans la rédaction de l'article 74-1 alinéa (a) du Code pénal. Comme le remarquait déjà un auteur, « un discours idéologique de personnalité et d'égalité est venu habiller une volonté pragmatique d'engager la responsabilité pénale des entreprises, sans que pour autant l'on ait cessé d'avoir ces dernières en ligne de mire et en référence, et sans que l'on ait mesuré les conséquences qu'engendrerait cet habillage »352(*). Elle est un facteur d'impunité et permet pas d'appréhender la criminalité collective. Tout d'abord parce qu'il peut être utilisé par une pléthore de groupement, qui du point de vue criminologique jouent un rôle conséquent dans le processus de passage à l'acte353(*), mais aussi parce qu'il tend à exclure une autre garantie à la partie civile car le patrimoine de la personne morale ne sera pas pris en compte dans le calcul des dommages-intérêts. Ce moyen de défense peut être utilisé à par les personnes de bonne comme de mauvaise foi. C'est le cas par exemple des infractions commises par les sociétés en formation c'est à dire des sociétés qui ne sont pas encore constituées, celles dont les statuts ne sont pas encore signés et adoptés par l'assemblée générale354(*), des sociétés déjà constituée comme les sociétés de fait qui sont considérées comme « des sociétés de droit dégénérée, une conséquence du non-respect du formalisme légal qui préside à la constitution d'une société »355(*). La société de fait est celle dans laquelle les constituants de mauvaise foi veulent profiter des avantages d'une société régulièrement constituer sans accomplir les formalités nécessaires356(*). Les sociétés créées de fait sont cellesdans lesquelles les constituants sont de bonne foi, ils se sont mis en société sans s'en rendre compte357(*). Et les sociétés en participation qui sont celle dans lesquelles les constituants conviennent de pas l'immatriculer au RCCM358(*). 152. Le droit pénal camerounais semble désarmé face à ces situations. Dans d'autres branches du droit, il est possible d'attribuer les actes passés par les constituants avant l'acquisition de la personnalité morale par le groupement, c'est le cas par exemple en droit des sociétés, lorsque les sociétés une fois immatriculées reprennent les engagements pris par leur représentant durant la période de formation. Bien plus, comme il est possible pour les personnes physiques d'invoquer une cause de non imputabilité comme moyen de défense ou un fait justificatif, cela pourrait très souvent être une cause d'impunité. C'est le cas par exemple pour les constituants d'une société de fait qui en commettant des infractions lors de la constitution de la société invoque l'erreur comme fait justificatif. B- L'instrumentalisation des opérations de restructuration comme moyen de contournement de la répression pour la personne morale 153. Restructurer c'est aménager une nouvelle structure, donner une nouvelle organisation sur le plan économique ou technique.359(*) Elle revêt diverses modalités parmi lesquelles la transformation, les fusions-scissions, l'apport partiel d'actifs, l'administration provisoire. 154. La transformation désigne un changement de forme. La forme d'une personne morale est son vêtement360(*) elle peut donc la changer pour s'adapter aux contingences du moment, l'hypothèse est plus fréquente dans le cadre des entreprises. La transformation se fait généralement par une modification des statuts. Parce qu'elle n'entraine pas la création d'une nouvelle personnalité, la responsabilité pénale s'applique à elle peu importe la forme prise par la société. La transformation ne pose donc pas à priori un problème du point de vu de la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des personnes morales. Il en est de même pour les apports partiels d'actifs361(*) et administration provisoire.362(*) Les opérations de restructuration qui mettent à l'épreuve le droit pénal sont donc celles qui entrainent la création d'une nouvelle personnalité morale titulaire du patrimoine de l'ancienne personne morale, il s'agit des opérations de fusion et de scission. 155. La fusion est l'opération par laquelle au moins deux personnes morales en l'occurrence les sociétés se réunissent pour n'en former qu'une seule soit par création d'une société nouvelle, soit par absorption de l'une par l'autre.363(*)Elle entraine transmission à titre universel du patrimoine de la société qui disparaît aux sociétés existantes ou nouvelles ; elles entraînent dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent, et simultanément l'acquisition par les associés des sociétés qui disparaissent, de la qualité d'associés des sociétés bénéficiaires dans les conditions déterminées par le contrat de fusion.364(*) La scission est l'opération par laquelle le patrimoine d'une société est partagé entre plusieurs sociétés existantes ou nouvelles365(*). Elle entraine les mêmes effets que la fusion. Ces opérations peuvent être utilisées pour des fins autres qu'économiques. Ainsi, lorsqu'elles interviennent pendant les poursuites mettent en échec l'action publique (1) lorsqu'elles interviennent après la condamnation sont de nature à perturber l'application de celle-ci (2). 1- L'utilisation des mécanismes de fusion et de scission pour mettre en échec l'action publique 156. La fusion et la scission peuvent permettre à une personne morale contre qui est dirigé des poursuites de mettre en échec l'action publique. Ainsi ce n'est pas les mécanismes en eux même qui posent problème en droit pénal camerounais, mais leur instrumentalisation. Comme on l'a vu366(*), la fusion et la scission entrainent la dissolution d'une personne morale et la transmission de son patrimoine à une ou à plusieurs autres personnes morales. Le problème soulevé par cette opération est lié au sort de l'action de publique lorsque celle-ci était engagée contre la société absorbée. Ainsi si pendant le procès pénal deux sociétés s'entendent pour fusionner ou alors pour se partager le capital d'une société pour permettre à celle-ci d'échapper aux poursuites pénales, l'action publique pourra-t-elle être redirigée contre la société absorbante ou les nouvelles sociétés bénéficiaires ? En l'état actuel du droit pénal positif camerounais la réponse à une telle question ne peut être que négative. Car cela reviendrait à poursuivre la société absorbante ou la nouvelle société pour une infraction qu'elle n'a pas commise, et même pour une infraction dont elle ignorait peut-être l'existence jusqu'à la fusion, cela s'apparenterait donc une responsabilité pénale du fait d'autrui. Non pas que la responsabilité pénale du fait d'autrui soit étrangère en droit camerounais367(*), mais parce qu'en ce qui concerne les personnes morales au regard des dispositions de l'article 74-1 du code pénal de 2016, elles sont pénalement responsables de leur propre fait. Bien plus, l'une des causes d'extinction de l'action publique est la mort du suspect de l'inculpé, du prévenu ou de l'accusé368(*), pour la personne morale c'est l'équivalent de la dissolution et donc de la perte de la personnalité morale, même si la loi ne vise pas expressément ce cas de figure369(*).Pourtant la question de la transmission de la responsabilité pénale des personnes morales mérite d'être posée avec acquitté, en raison de leur capacité à disparaitre pour mieux renaitre370(*) il serait contreproductif de leur appliquer tous les principes propres aux êtres humains. La fusion et la scission peuvent également intervenir avant l'exécution de la sanction pénale. 2- L'utilisation des mécanismes de fusion et de scission pour mettre en échec l'application de la sanction pénale 157. La responsabilité pénale et la sanction pénale sont tous deux régies par le principe de la personnalité. Ainsi, si nul n'est pénalement responsable que de son propre fait, nul ne devrait être sanctionné pour une infraction qu'il n'a pas commise de telle sorte que l'absorption de la personne morale condamnée empêche l'application de la sanction pénale, puisque le sujet passif sur qui elle pèse n'existe plus. Pourtant un mécanisme permet bien de reconnaitre la responsabilité civile des personnes morales pour les amendes prononcées à l'encontre de leurs organes. Celle-ci assume donc les sanctions pécuniaires alors qu'aucune peine n'a été prononcée contre elle371(*). La difficulté principale avec les opérations de fusion et scission est qu'elle entraine dissolution sans liquidation. Or la durée de la liquidation peut permettre d'appliquer la sanction à la personne morale dans la mesure où la personnalité morale existe jusqu'à la fin des opérations de liquidation, de telle sorte que la société dissoute garde sa personnalité juridique pour des besoins de liquidation. * 349 Art. 116 de l'AUSCGIE. * 350 Art. 117 al. 1 de l'AUSCGIE. * 351Ibid. DESPORTES (F.) Le GUNEHEC ((F.) Droit pénal général, op.cit. p. 562, n° 588. * 352 Giudicelli-Delage (G.), « La responsabilité pénale des personnes morales en France », op.cit., p. 189. * 353NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. pp. 121 et s. * 354 Art. 100 de de l'AUSCGIE. * 355 POUGOUE (P-G.), ANOUKAHA (F.) et alt., Acte uniforme du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, in OHADA Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, premier semestre 2016, p. 697. * 356 SOH FOGNO (D.R) « La sanction pénale des personne morales en droit camerounais » op.cit.p. 48. * 357Ibid. * 358 Art. 854 al. 1 de l'AUSCGIE. * 359 Dictionnaire encyclopédique pour tous, Petit LAROUSSE illustré,Paris 1979, P.891. * 360POUGOUE (P-G.), ANOUKAHA (F.), NGUEBOU TOUKAM (J), société commerciale et GIE, cours en ligne http://www.ohada.com/presentation-droit-ohada/categorie/3/societe-commerciale-et-gie.html, p29. * 361 Il s'agit de l'opération par laquelle une société fait apport d'une branche autonome d'activité à une société préexistante ou à créer. La société apporteuse ne disparaît pas du fait de cet apport. Art. 195 AUSGIE. * 362 Art. 160-1 AUSGIE. * 363 Art. 189 al.1 AUSCGIE. * 364 Art. 189 al. 3. * 365 Art. 191 AUSCGIE. * 366N°164. * 367 En effet il existe une responsabilité pénale du fait d'autre en l'occurrence celle du chef d'entreprise. Lire à cet effet NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des lois spéciales vers un énoncé général ? »op.cit.pp. 221 et s. * 368 Art. 62 CPP camerounais. * 369 Là encore c'est une preuve que le code de procédure pénale camerounais est taillé à la mesure de la personne physique. * 370 BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale. Nouvelle édition [en ligne]. Toulouse : Presses de l'Université Toulouse 1 Capitole, 2019 (généré le 29 avril 2020). DESPORTES (F.)LE GUNEHEC(F.), Droit pénal général, op.cit. p562, n° 588. * 371 Lire à cet effet NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des lois spéciales vers un énoncé général ? » op.cit.pp 221 et s. Dans une affaire concernant le délit de déclarations mensongères, abus de fonction, complicité de déclarations mensongères, le juge du TPI/CA a, par jugement n° 2265/COR du 28 novembre 2007, déclaré la société AES SONEL civilement responsable des condamnations pécuniaires prononcées contre son agent déclaré coupable, inédit. Dans le même sens, le TPI d'Edéa a, par jugement n° 931/COR du 20 juin 2006, déclaré la personne morale civilement responsable des condamnations pécuniaires prononcées contre ses agents reconnus coupables de corruption, d'abus de fonction et refus de service, inédit. |
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