Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounaispar Ivan De Nguimbous Tjat Limbang Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018 |
CHAPITRE III : L'IDENTIFICATION DES CONSÉQUENCES IGNORÉES PAR LE LÉGISLATEUR116. Le terme identification vient du verbe identifier, qui signifie établir l'identité288(*), préciser la nature de quelque chose, son existence. L'identification des conséquences du principe général de responsabilité pénale des personnes morales ignorées par le législateur revient donc à les établir leur non prise en compte par le législateur camerounais, mais aussi la relation de cause à effet avec le principe général de responsabilité pénale des personnes morales. Dans ce sens, si le principe général a accentué la menace pénale pesant sur les personnes morales et limité leur possibilité de contourner la répression, cela se traduit sur le plan formel par l'expansion du contentieux devant les juridictions répressives. Toute chose qui nécessite de déterminer la procédure criminelle à suivre lorsqu'une personne morale est mise en cause, mais aussi dans la mouvance du procès pénal, prendre en compte les moyens de défense de la personne morale, qui pourrait faute d'un encadrement légal rigoureux déjouer les poursuites pénales. 117. À cet effet, lorsqu'on analyse le droit positif, il apparait que l'insuffisance des mesures procédurales applicables à la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des personnes morales (Section 1) et le déficit des règles encadrant les moyens de défense de la personne morale (Section 2) dénotent de la non prise en compte de certaines conséquences du principe général de responsabilité pénale des personnes morales par le législateur camerounais. Section 1 : L'insuffisance des règles fixant les modalités procédurales de poursuite des personnes morales mises en cause.118. Ce qui manque le plus dans le processus de répression de la personne morale, c'est la mise en place d'une dynamique répressive qui prendrait en compte toutes les spécificités de la personne morale. Contrairement au législateur français, qui en prenant en compte l'instauration de la responsabilité pénale des personnes morales a procédé à l'ajout d'un ensemble d'articles dans le Code de procédure pénale consacrés aux règles de procédures particulières applicables aux personnes morales.289(*) Le législateur camerounais n'a effectué aucune modification allant dans ce sens. Ainsi les autorités de poursuites seront enclin à adapter des règles initialement prévues pour les personnes physiques, et parce que toutes les règles décrites dans les lois de formes ne peuvent pas s'adapter aux personnes morales, la limitation est d'abord quantitative (§1). Ensuite, parce que les règles adaptées à la personne morale ne prennent pas en compte sa spécificité, leur limite est aussi qualitative (§ 2). §- 1 Une limitation quantitative des règles adaptables à la personne morale 119. La limitation quantitative s'exprime par l'insuffisance des règles adaptables à la personne morale. Aucune disposition n'étant spécifiquement établie pour être appliquée à la personne morale poursuivie, une première interprétation des textes reviendrait à admettre que toutes les dispositions établies par les lois procédurales lui sont applicables, à moins d'avoir été expressément exclues par le législateur.290(*) Cette interprétation n'est pas tout à fait vraie. Il apparait que seules certaines dispositions générales applicables aux personnes physiques sont adaptables à la personne morale avant la mise en mouvement de l'action publique (A) et après la mise en mouvement de l'action publique (B). A- L'adaptation des règles procédurales à la personne morale avant la mise en mouvement de l'action publique 120. La personne morale qui endosse le statut de suspect peut se voir appliquer les règles classiques de compétence (1) et d'enquête(2) en fonction des atteintes qu'elles ont commises. 1- Les règles de compétence adaptables à la personne morale 121. La compétence peut être définie comme l'aptitude légale pour une autorité publique ou une juridiction, à accomplir un acte ou à instruire et juger un procès291(*). En matière pénale, la compétence est d'ordre public et d'intérêt général292(*), c'est-à-dire que les parties ne peuvent pas déroger aux règles de compétence d'un commun accord. Les principales conséquences étant que tout manquement aux règles de compétence doit être soulevé d'office, par toute juridiction qui a l'obligation de vérifier sa compétence et aussi par les parties au moyen d'un déclinatoire de compétence ou d'une exception d'incompétence. La violation d'une règle de compétence est sanctionnée par la nullité de l'acte qu'elle affecte, sans que soit exigé la condition d'un grief.293(*) 122. Il existe des principes particuliers qui gouvernent la compétence en matière pénale qui sont la territorialité qui sous-tend que toutes les infractions commises au Cameroun294(*) relèvent des lois et juridictions pénales camerounaises. Le principe de personnalité qui lie la compétence des lois et juridiction à la nationalité295(*). Ces règles doivent être combinées avec celles fixées par la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire qui fixe la compétence des juridictions répressives en fonction de la gravité des infractions, leur nature et le lieu de commission ; mais aussi avec les articles 289 et suivants du code de procédure pénale et l'article 21 du code pénal sur la classification des infractions. Ainsi, des règles de compétence, les atteintes de droit commun seront prises en charge en instance par le Procureur de la république du TPI296(*) du lieu de commission de l'infraction297(*). S'il s'agit d'un délit c'est-à-dire d'une atteinte qui dont le maximum de la peine d'amende encourue est supérieur à vingt-cinq mille (25000) francs, mais aussi des contraventions lorsque la peine d'amende n'excède pas vingt-cinq (25000) francs ; par le Procureur de la république du TGI, en cas de crime, défini uniquement par rapport à la peine de mort ou à la peine d'emprisonnement. 123. Les atteintes spécialisées seront prises en charge principalement soit par le Procureur général près le TCS lorsque la personne morale est suspectée de détournement de bien public d'un montant minimum de cinquante millions (50.000.000) de FCFA qui exerce les attributions du Procureur de la république lors de l'enquête et de l'information judiciaire298(*) ; soit par le Commissaire du Tribunal militaire lorsque sera commise une des atteintes édictées l'article 8 de la loi n°2017/012 du 12 juillet 2017 portant code de justice militaire. Si les règles de compétences sont facilement adaptables parce que d'ordre public, les mesures d'enquête adaptables à la personne morale sont moins importantes. 2- Les règles d'enquête adaptables à la personne morale suspecte 124. La phase d'enquête est la première phase du procès pénal. Encore appelée phase policière, elle est menée par les police judiciaire, sous la direction du Procureur de la république, ou du Procureur général près le TCS299(*). Mais aussi par le commissaire du gouvernement, s'il s'agit du TM. L'enquête s'ouvre pour établir s'il y a des liens entre l'infraction et le suspect entendu comme celui contre qui il existe des renseignements ou indices susceptibles d'établir qu'il a pu commettre une infraction ou participer à la commission de celle-ci.300(*) La loi distingue des types d'enquêtes qui sont l'enquête de flagrance qui concerne principalement les délits qui se commettent ou qui viennent de se commettre301(*) et l'enquête préliminaire qui est le régime de droit commun302(*). Pour appliquer une mesure d'enquête à la personne morale, il faut que celle-ci soit ouverte. L'enquête ne peut débuter qu'après la saisine des autorités de police judiciaire ou du Procureur de la République303(*). Une fois ouverte, les mesures d'enquêtes applicables à la personne morale, sont les perquisitions, des fouilles prévues aux articles 104-1 (f)304(*) du Code de procédure pénale et l'article 12 du Code de justice militaire qui peuvent être mené dans les locaux appartenant à la personne morale. Une fois l'enquête clôturée, le Procureur de la république peut décider de poursuivre la procédure contre la personne morale, elle change alors de statut. B- L'adaptation des règles procédurales à la personne morale suspecte après la mise en mouvement de l'action publique 125. Lorsque le Procureur de la république estime avoir suffisamment d'éléments lui permettant d'établir la participation de la personne morale à la commission de l'infraction, celui-ci peut alors décider de la poursuivre, en mettant en mouvement l'action publique. Cette dernière tend à faire prononcer contre l'auteur d'une infraction une peine ou une mesure de sûreté édictée par la loi304(*). Au cas contraire, c'est-à-dire s'il décide de classer sans suite305(*), la victime pourra mettre en mouvement l'action publique contre la personne morale par le biais d'une plainte avec constitution de partie civile. Un dernier acteur vient se greffer aux personnes susceptibles de mettre en mouvement l'action publique : Il s'agit des administrations spéciales. Le Procureur de la république, la victime, l'administration spéciale peuvent choisir la voie de l'information judiciaire, la personne morale sera alors inculpée, et le juge d'instruction pourra lui appliquer certaines règles liées à l'instruction (1) ou faire le choix de saisir directement la juridiction répressive, la personne morale aura alors le statut de prévenu ou accusé(2). 1- Les règles procédurales adaptables à la personne morale inculpée 126. L'inculpé est le suspect à qui le juge d'instruction notifie qu'il est présumé désormais comme étant soit auteur ou co-auteur, soit complice d'une infraction306(*). Ainsi, plan formel, la personne morale est inculpée lorsque le juge d'instruction lui a notifié sa situation par un acte d'inculpation307(*). Le juge d'instruction est saisi in rem et non in personam comme pour les personnes physiques par le Procureur de la république par un réquisitoire introductif d'instance ou par une plainte avec constitution de partie civile.308(*) Une fois inculpée, elle peut voir ses locaux perquisitionnés, certains de ses biens saisis, en l'occurrence ceux ayant servi à commettre l'infraction309(*). Toutes les règles ne visant pas spécifiquement l'inculpé peuvent également être appliquées comme l'audition des témoins. L'information judiciaire terminée, la personne morale peut être renvoyée devant la juridiction de jugement par une ordonnance de renvoi du juge d'instruction, elle change ainsi de statut. 2- Les règles adaptables à la personne morale prévenue ou accusée 127. Un prévenu ou un accusé est toute personne qui doit comparaître devant une juridiction de jugement pour répondre d'une infraction. Lorsque cette infraction est qualifiée de délit ou de contravention la personne a le statut de prévenu, lorsque cette infraction est qualifiée de crime, la personne a le statut d'accusé310(*). La personne morale peut être citée311(*) devant la juridiction de jugement délivrée à la requête du ministère public, de la personne lésée par l'infraction, ou par toute autre personne intéressée312(*). La citation peut lui être servie à personne par le biais d'un organe, ou à la mairie du lieu de son siège social ou même à parquet.313(*) La citation adaptée à la personne morale doit contenir non pas le nom, mais la dénomination de la personne morale et son siège social. Elle doit également mentionner les faits incriminés et vise le texte de loi qui les réprime, elle doit également contenir les indications prévues à l'alinéa 2 de l'article 40 du code de procédure pénale314(*). La personne morale peut également se faire signifier les actes de procédures conformément aux articles 56 et suivants du code de procédure pénale. À l'audience, la personne morale a droit aux garanties accordées à la défense315(*), à la présomption d'innocence, et les règles de preuves reconnus. * 288 Généralement, l'identification pour les personnes se fait grâce au nom, prénom au domicile. * 289 L'article 78 de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 a créé un titre XVIII du code de procédure pénale français intitulé « de la poursuite, de l'instruction et du jugement des infractions commises par les personnes morales ». * 290 BENILLOUCHE (M.), « La poursuite des personnes morales », in la dépénalisation de la vie d'affaire et la responsabilité pénale des personnes morales, sous la direction de DAURY-FAUVEAU et Mikaël BENILLOUCHE, 2009, p.18. * 291 Lexique des termes juridiques, Dalloz 20117-2018, p. 467. * 292 GARRAUD (R.), Traité théorique et pratique d'instruction criminelle, Paris, Sirey, t.3, p.423. * 293 NTONO TSIMI (G), Fiche de TD de procédure pénale de troisième année licence, année académique 2016-2017, p.5. * 294 Art. 7, 8 C.P camerounais de 2016. * 295 Art. 10 C.P camerounais de 2016. * 296 L'article 13 et 15 de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2015 portant organisation judiciaire fixant la compétence rationae materiae et rationae loci du TPI. * 297 Art. 140 du CPP camerounais article 140 « (1) Est compétent, le Procureur de la République : a) soit du lieu de commission de l'infraction ; b) soit du lieu du domicile du suspect ; c) soit du lieu d'arrestation du suspect. (2) En cas de saisine concurrentielle, la priorité revient au Procureur de la République du lieu de commission de l'infraction ». * 298 Art. 6 al. 2 Loi N°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d'un Tribunal Criminel Spécial. Le procureur général près le TCS « exerce les attributions du Procureur de la République lors de l'enquête préliminaire ou de l'information judiciaire ». Art. 7 al. 1 « Toute plainte, toute dénonciation ou toute requête relative à une des infractions visées à l'article 2, doit faire l'objet d'une enquête judiciaire ordonnée par le Procureur Général près le Tribunal ». * 299 L'article 79 donne des précisions sur la qualité de police judiciaire, ces précisions sont complétées par le décret n°213/131 du 03 mai 2013 portant organisation et fonctionnement du corps spécialisé d'Officier de police judiciaire du Tribunal militaire. * 300Art. 9 al. 1 CPP camerounais. * 301 Art. 101 al. 1, 2 CPP camerounais. * 302 Art. 116 du CPP et suivant. * 303 Art. 135 du CPP le procureur de la république est saisit par « une dénonciation écrite ou orale ; - une plainte ; - un procès-verbal établi par une autorité compétente. (b) Il peut également se saisir d'office ». * 304Art. 59 du CPP camerounais. * 305Art. 141 al. C CPP camerounais « Le Procureur de la République saisi, dans les conditions prévues aux articles 135, 139 et 140, peut: décider du classement sans suite d'une affaire et le faire notifier au plaignant; copie de toute décision de classement sans suite est transmise dans le mois au Procureur Général près la Cour d'Appel ». * 306 Art. 9 al. 2 CPP camerounais « L'inculpé est le suspect à qui le Juge d'Instruction notifie qu'il est présumé désormais comme étant soit auteur ou co-auteur, soit complice d'une infraction ». * 307 Art. 67 CPP camerounais. * 308 Art. 157 CPP camerounais « (1) Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou par un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile devant le Juge d'Instruction compétent. (2) La plainte avec constitution de partie civile met en mouvement l'action publique. (3) La règle édictée à l'alinéa (1) n'est applicable ni aux contraventions, ni aux infractions dont la poursuite est réservée au seul Ministère Public ». * 309 Article 177 et suivants du code de procédure pénale camerounais * 310Art. 9 Al. 3 ibid. * 311Article 40 ibid. « (1) La citation est une sommation à comparaître devant une juridiction. (2) Elle est délivrée par exploit d'huissier à l'inculpé, au prévenu, à l'accusé, à la partie civile, aux témoins, au civilement responsable et éventuellement à l'assureur ». * 312Art 40 al. 3, ibid. * 313Art. 40 al. 4, ibid. * 314 Art. 41 al. 2 « La citation énonce les faits incriminés et vise le texte de loi qui les réprime. Elle indique en outre, suivant le cas, le Juge d'Instruction ou la juridiction de jugement saisie, détermine les lieu, heure et date de l'audition et précise que la personne est citée en qualité d'inculpé, de prévenu, d'accusé, de partie civile, de civilement responsable, de témoin ou d'assureur. » * 315Il s'agit d'une catégorie juridique constitué du droit à un juge, du droit à un procès équitable. |
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