La protection du droit de manifester dans l'espace publicpar Charles ODIKO LOKANGAKA Université de Kinshasa - Doctorat 2020 |
B. La protection par les sanctions ciblées de l'UE et les USALes mesures européennes et américaines dites sanctions ciblées ne font pas l'objet d'une réception moins contestée dans le paysage politique et scientifique congolais. Elles font l'objet des controverses tant sur le plan doctrinale que politique. Certains trouvent en celles-ci une pratique néo-colonialiste ; pour d'autres, ces mesures permettent de suppléer les insuffisances et les faiblesses de nos systèmes judiciaires dépourvus de toute indépendance et qui fonctionnent sous le soubresaut du politique. Dans cette partie, il sera donc question de répondre à une double interrogation, d'abord celle de savoir, en quoi consistent ces différentes mesures dites sanctions ciblées ? Et ensuite, quelle en est de l'effectivité de ces sanctions ? B.1. La portée des mesures dites sanctions ciblées Le 23 juin et le 28 septembre 2016, l'Administration américaine, à travers son Ministère des finances, agissant par le Bureau de contrôle des actifs étrangers, a annoncé dans un communiqué avoir inscrit sur sa très célèbre liste des sanctions, le Général Kanyama, Commissaire provinciale de la Police de Kinshasa, la Capitale de la RDC et deux autres généraux, entre autres Amisi Kumba dit Tangofort et John Numbi535(*). Dans le même sens, l'Union Européenne a pris des sanctions contre quelques personnalités congolaises soupçonnées d'être à l'origine de l'intimidation, harcèlement à l'encontre de l'opposition, de la société civile et de médias536(*). L'Union européenne n'a pas oublié non plus ceux qui, pour elles, entravent le processus démocratique, à commencer par le visage médiatique du pouvoir congolais, Lambert Mende Omalanga, Ministre de la Communication et Medias et Porte-parole du Gouvernement congolais, Emanuel Ramazani Shadary, Vice-premier ministre, Ministre de l'Intérieur et autre ténor du régime. L'organisation régionale européenne considère le Ministre des medias comme le porte-parole de la politique répressive du gouvernement vis à vis des médias537(*). « Une politique qui viole le droit à la liberté d'expression et d'information et compromet une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue des élections », estime l'UE dans un communiqué. Toutes ces personnalités sont désormais visées par une interdiction de pénétrer sur le territoire de l'Union européenne, un gel de leurs avoirs ainsi que par l'interdiction de percevoir des fonds de quelqu'un en Europe. En même temps les banques commerciales oeuvrant en République Démocratique du Congo décident d'appliquer à la lettre ces mesures à une seconde prête538(*). L'idée des Européens, c'est aussi de remettre un coup de pression pour faire avancer la transition en panne depuis janvier 2015. Et faire en sorte que le pays aille bien aux élections d'ici la fin de l'année comme il s'était engagé à le faire en décembre dernier. « Le processus électoral reste l'enjeu principal des prochains mois », insiste l'UE dans son communiqué.539(*) Arrivée à Kinshasa, une délégation diplomatique de haut rang, qui comprenait entre autres dans ses rangs, le Ministre des Affaires étrangères angolais, Georges Chikoti. Celui-ci représente, les pays voisins puisque l'Angola présidait la CIRGL, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, et fait partie de la Commission Défense et Sécurité de la SADC et de la Communauté de développement de l'Afrique australe. Selon Georges Chikoti, les sanctions européennes sont « un peu précipitées ». Il se demande « si l'UE n'est pas un peu trop détachée des réalités de la RDC »540(*). Pour les membres qui composaient cette délégation, il faut laisser au nouveau gouvernement qui vient d'être nommé, le temps aux choses, écouter les congolais et leur donner la possibilité de travailler pour sortir de cet imbroglio »541(*). Parlant des sanctions américaines, Augustin Mampuya démontre que les sanctions au sens du maintien de la paix et de la sécurité internationales, que prétendraient prendre unilatéralement des États ou des organisations internationales autres que l'ONU, sans l'implication du Conseil de sécurité, sont contraires à la Charte des Nations-Unies et donc, illégales542(*). Retenons que la RDC appartient au groupe des Etats Africains, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) qui sont associés à l'Union Européenne par les conventions de Lomé (I, II et III) et de Cotonou. L'article 36 de cette Convention conditionne l'accès aux mécanismes d'aide des Etats du Tiers-Monde au respect des droits de l'homme. La RDC étant signataire de ces accords, il est tenu de les respecter sous peine d'être sanctionnée. Il faut préciser qu'au départ, les sanctions étaient dirigées contre les Etats, et se sont révélées sans effets dissuasifs sur la conduite des dirigeants. L'UE a suspendu la coopération structurelle avec la RDC en 1990 pour cause de violation des droits de l'homme. En ce qui concerne les Etats-Unis, seuls les Etats respectueux des droits de l'homme peuvent accéder au titre préférentiel au marché américain. La RDC a été exclue pour non-respect des droits l'homme. Ce sont les mêmes sanctions qui sont aujourd'hui dirigées contre les individus afin de créer un effet dissuasif. Sans ignorer les contestations que suscitent les sanctions dites ciblées, en République Démocratique du Congo, tant sur le plan de leur régularité que de leur effectivité, il importe de signaler qu'elles restent dans le contexte congolais, l'une des rares qui puissent été prises visant l'effectivité du droit de manifester. B.2. L'effectivité des sanctions dites ciblées prises au travers les mesures américaines et européennes La réaction de certaines personnalités visées par les sanctions européennes et américaines risqueraient de faire croire que celles-ci ne sont que diffuses et par ricochet dépourvues de toute effectivité. C'est en tout cas l'impression que donne la réaction faite à chaud par le Général Olenga, l'une des personnalités congolaises reprises sur la très célèbre liste des américains543(*). Considérant l'habitude depuis longtemps adoptée par les politiques africains consistant à investir à l'étranger, cette position mérite d'être relativisée. En outre, lorsqu'on sait que chacune de ces personnalités possèdent au moins un compte en banque, soit un compte salaire ou privé, il est aussi possible d'affirmer qu'elles atteindront d'une manière ou d'une autre toutes les personnes visées. Pour justifier ces nouvelles sanctions, l'UE évoque de graves violations des droits de l'homme, des rapports faisant état de l'usage disproportionné de la force par les services de l'État, en particulier les forces de sécurité. Face à une situation qui se détériore, l'Union européenne devait envoyer un signal au pouvoir544(*). Toutes ces personnalités sont désormais visées par une interdiction de pénétrer sur le territoire de l'Union européenne, un gel de leurs avoirs ainsi que par l'interdiction de percevoir des fonds de quelqu'un en Europe. En même temps les banques commerciales oeuvrant en République Démocratique du Congo décident d'appliquer ces mesures545(*). « La personne, qu'elle soit physique ou morale si elle est sanctionnée la conséquence immédiate : c'est le gel des avoirs. Donc, ses comptes sont bloqués. Cette position des Américains est justifiée par le fait qu'on parle dollar américain [...], c'est leur monnaie », a expliqué M. Cuypers546(*). Si les banques commerciales n'appliquent pas les sanctions décidées par les Américains, elles seraient elles-mêmes immédiatement frappées. « Si vous n'appliquez pas la sanction, vous allez vous-mêmes être sanctionné. Ça veut dire que vous ferez partie de ces listes sur lesquelles il y aura des restrictions soit des interdictions. Et s'il y a interdiction, vous ne pourrez plus faire des transactions en dollar américain», a redouté la même source547(*). Une banque placée dans l'impossibilité de faire des compensations en dollar, a précisé Yves Cuypers, «c'est évidemment un coup dur» pour elle, dans la mesure où elle perdrait ses correspondants en dollars. Ces sanctions permettront-elles de changer la donne ? Rien n'est moins sûr tant la communauté internationale semble elle-même divisée sur la question. L'Union africaine pense ainsi que la méthode forte n'est pas la bonne et plaide plutôt pour un dialogue politique discret548(*). L'ONU de son côté, tiraillée entre ses différents États membres, n'est pas parvenue à ce jour à une position commune et claire sur la RDC. Enfin, sans l'Église catholique pour assurer la médiation entre pouvoir et opposition, les relais semblent de plus en plus limités pour faire pression sur les autorités. * 535MAMPUYA KANUNK a-TSHIOPO (A.), Les sanctions ciblées américaines violent le droit international. Les mesures contre les responsables congolais, Kinshasa, PUC, 2016, p. 92. * 536 Information disponible sur http://www.rfi.fr/afrique/20170529-repression-rdc-neuf-hauts-responsables-sanctionnes-ue, consulté le 26 mai 2019 à 07 heures 58'. * 537Idem. * 538Ibidem. * 539Ibidem. * 540 Information disponible sur http://www.rfi.fr/afrique/20170529-repression-rdc-neuf-hauts-responsables-sanctionnes-ue, consulté le 26 mai 2019 à 07 heures 58'. * 541Idem. * 542MAMPUYA (K.), Op. cit. pp. 6-7. * 543A ce sujet, la Déclarations du Général Olenga peut sembler prouver le contraire. * 544 http://www.rfi.fr/afrique/20170529-repression-rdc-neuf-hauts-responsables-sanctionnes-ue, consulté le 18 septembre 2019 à 20 heures 00'. * 545 https://www.radiookapi.net/2017/06/30/actualite/economie/sanctions-des-usa-et-eu-contre-des, consulté le 18 septembre 2019 à 20 heures 03'. * 546 Information disponible sur http://www.rfi.fr/afrique/20170529-repression-rdc-neuf-hauts-responsables-sanctionnes-ue, consulté le 26 mai 2019 à 08 heures 15'. * 547 Information disponible sur http://www.rfi.fr/afrique/20170529-repression-rdc-neuf-hauts-responsables-sanctionnes-ue, consulté le 26 mai 2019 à 08 heures 15'. * 548Une délégation emmenée par l'Union africaine était d'ailleurs en ce moment-là Kinshasa. |
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