A.
L'influence de la culture autocratique sur le droit de manifester
La conception congolaise de la liberté de manifestation
est facteur du contexte politique de l'ère. La période exerce une
influence significative sur la situation de la liberté de manifestation.
Toute la législation en vigueur traduit la nature du régime.
L'article 10 de la Constitution du 24 juin 1967 est
libellé en ces termes : « Toute personne a droit à
la liberté de pensée, de conscience et de religion. Dans la
République, il n'y a pas de religion d'État. Toute personne a le
droit de manifester sa religion ou ses convictions, seule ou en commun, tant en
public qu'en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques,
l'accomplissement de rites et l'état de vie religieuse, sous
réserve de l'ordre public et des bonnes moeurs ».
Et l'article 11 de renchérir : « Tout
Congolais a droit à la liberté d'expression. Ce droit implique la
liberté d'exprimer ses opinions et ses sentiments, notamment par la
parole, l'écrit et l'image. Il trouve sa limite dans les prescriptions
de la loi et les règlements qui appliquent celle-ci ».
D'une brève analyse de ces dispositions il ressort les
considérations suivantes : d'abord, le droit de manifester sa
religion ou ses convictions, seule ou en commun, tant en public qu'en
privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques, l'accomplissement de
rites et l'état de vie religieuse peut-il être assimilé
à la liberté de manifestation telle qu'envisagée dans
cette étude ? Ce questionnement n'autorise pas une réponse
hâtive pour la simple raison que, lorsque le constituant parle de
manifester sa religion ou ses convictions, il ne détermine pas la nature
de convictions dont il s'agit. Celles-ci peuvent être religieuses,
philosophiques ou politiques. Cependant, lorsqu'on analyse les moyens
prévus par le constituant pour manifester lesdites opinions (le culte,
l'enseignement, les pratiques, l'accomplissement de rites et l'état de
vie religieuse), on se rend vite compte que la liberté de manifestation
dans le format actuel de l'article 26 de la Constitution n'est pas
concernée par cette disposition. En outre, le fait que cette disposition
se rapproche de l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme, et que ce dernier texte consacre le droit à la liberté
de réunion et d'association pacifiques, plus proches de la
liberté de manifestation prouve à suffisance la volonté du
constituant de 1967 d'omettre de consacrer carrément la liberté
de manifestation.
La même analyse mérite d'être
appliquée à l'article 11 de la Constitution de 1967. Les moyens
d'expression recensés ici nous rapprochent de la liberté de
manifestation : la parole, l'écrit et l'image. Mais la question de
son exercice risque de contrarier cette position. La liberté
d'expression se présente ici comme un droit d'exercice individuel alors
que la liberté de manifestation est, en principe, d'exercice
collectif.
Sous la Constitution du 24 avril 1967, les libertés
garanties aux articles 10 et 11 sont limitées par l'ordre public et les
bonnes moeurs pour la première et par les prescriptions de la loi et les
règlements qui appliquent celles-ci pour les secondes. Il est à
noter que dans un contexte d'un pouvoir autocratique, la fluidité de la
notion d'ordre public a toujours servi de prétexte réel ou
fallacieux aux pouvoirs publics pour limiter à outrance les droits
fondamentaux.
Lorsque même on aurait assimilé la liberté
d'expression ou celle de l'article 10 de la Constitution de 1967 à la
liberté de manifestation, les limitations auxquelles ces libertés
ont été astreintes rendraient leur exercice hypothétique
au regard de la réalité.
Si certaines dictatures font prospérer les droits
fondamentaux notamment économiques, sociaux et culturels pour en obtenir
la subjugation volontaire du peuple, il est admis que les dictatures
contrastent notoirement avec les droits civils et surtout politiques.
La dictature de Mobutu n'a pas exception à la
règle. Ce fut une période horrible et particulièrement
obscure pour les droits fondamentaux de la personne humaine et pour la
liberté de manifestation en particulier. Mobutu ne tolérait
aucune voix discordante ni aucune revendication.
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