La protection du droit de manifester dans l'espace publicpar Charles ODIKO LOKANGAKA Université de Kinshasa - Doctorat 2020 |
B. Le contrôle de la dispersion d'une manifestationLa dispersion d'une manifestation peut concerner les manifestations autorisées, comme celles non autorisées. D'ailleurs ces dernières ne doivent pas nécessairement être dispersées. Dans le cas, par exemple, où une réponse immédiate à un événement peut justifier une manifestation spontanée, les mesures prises pour disperser cette manifestation, au seul motif qu'il n'y a pas eu de notification préalable, alors que les participants n'ont commis aucune infraction, constituent une restriction disproportionnée à l'article 11886(*). La Cour d'Appel de Paris a considéré « que si les arrêtés litigieux étaient également motivés par le fait que la manifestation envisagée était "susceptible de donner lieu à des actes et propos de nature à porter le discrédit sur la fonction policière", un tel motif tiré de la méconnaissance éventuelle par les fonctionnaires des services de police de leurs obligations statutaires ne pouvait fonder légalement les arrêtés pris par l'autorité administrative investie des pouvoirs de police en vue d'assurer la protection de l'ordre public »887(*). 3. Les troubles de l'ordre public : seul motif valable d'interdictionLa limitation de la liberté de manifestation ne doit se justifier que par l'existence avérée d'une menace sérieuse et inéluctable à l'ordre public. Le caractère sérieux de la menace se traduit dans le fait que les troubles de l'ordre public ne se présument pas, l'autorité administrative doit asseoir la décision d'interdiction sur les éléments de fait, objectivement attestés. La menace doit être inéluctable. Ce critère, qui doit être cumulatif avec le premier, prescrit que, même en cas de menace sérieuse de troubles de l'ordre public, l'interdiction ne peut se justifier que si le dispositif d'encadrement dont dispose l'administration ne suffit pas pour contenir la menace. La Cour constitutionnelle béninoise a jugé non seulement que « la nature des revendications ne peut être une cause de limitation de ce droit », mais aussi que « l'effectif suffisant d'agents de Force de sécurité publique disponible » ne justifiait pas une décision d'interdiction888(*). Ainsi, le motif évoqué par le gouverneur de la ville de Kinshasa - évoquant la sacralité de la date du 30 juin - pour interdire la manifestation projetée par la coalition Lamuka pour le 30 juin 2019 constitue une illustration patente des atteintes au principe de la liberté de manifestation. Triste est de constater que devant pareille bavure juridique de l'autorité provinciale, les organisateurs ont choisi la résignation et sombré dans un mutisme déconcertant au lieu de saisir le juge en référé-liberté pour paralyser cette décision. Nous pensons que la responsabilité de la faillite des droits fondamentaux en général et de la liberté de manifestation en particulier est à partager entre les débiteurs et les créanciers des droits fondamentaux. La nonchalance des congolais face à l'arbitraire des pouvoirs publics ne peut qu'aggraver les violations. Nous pensons que la mise en oeuvre systématique de l'éducation constitutionnelle et la propagation par tous moyens de la culture démocratique contribueront à la promotion de la liberté de manifestation en RDC. Dans cette entreprise, le rôle des partis politiques et des acteurs de la société civile devrait être renforcé. Le juge déclare illégales les interdictions lorsque les risques générés par la manifestation auraient pu être contenus par des effectifs de police. À propos d'une manifestation d'opposition à la visite en France du président Chinois, le Conseil d'État affirme « que s'il appartenait au préfet de police de prendre toutes mesures appropriées, notamment aux abords de l'ambassade de Chine, pour prévenir les risques de désordres susceptibles d'être occasionnés par les manifestations envisagées (...), il ne pouvait prendre un arrêté d'interdiction générale qui excédait, dans les circonstances de l'espèce, les mesures qui auraient été justifiées par les nécessités du maintien de l'ordre public à l'occasion de cette visite »889(*). La décision préfectorale d'interdire la manifestation est illégale dans la mesure où l'ordre public aurait pu être maintenu par la mobilisation de forces de police aux abords de l'ambassade. De même, s'agissant d'une manifestation d'inspecteurs de police à Paris (de la place Joffre au ministère de l'Intérieur), le juge administratif affirme « qu'il ne ressort pas des pièces versées au dossier que, eu égard à son caractère limité (...), ladite manifestation ait été de nature à menacer l'ordre public dans des conditions telles qu'il ne pouvait être paré à tout danger dans le quartier considéré par des mesures de police appropriées »890(*). * 886Cour européenne des Droits de l'Homme, 19 novembre 2012, dans l'affaire Berladir c. Russie, Op. cit., § 43. * 887 CAA Paris, 7 mars 2000, Syndicat national des officiers de police, n° 97PA00133, inédit (arrêt concernant l'interdiction d'une manifestation d'agents de police). * 888 Idem., p. 283. * 889 CAA Paris, 7 mars 2000, Syndicat national des officiers de police, n° 97PA00133, inédit. * 890 CAA Bordeaux, 19 juill. 1999, n° 97BX01724, Assoc. rétaise des amis d'Henri Béraud, inédit. |
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