La protection du droit de manifester dans l'espace publicpar Charles ODIKO LOKANGAKA Université de Kinshasa - Doctorat 2020 |
FACULTE DE DROIT DEPARTEMENT DE DROIT PUBLIC INTERNE B.P. 204 KINSHASA XI LA PROTECTION DU DROIT DE MANIFESTER DANS L'ESPACE PUBLIC EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Étude de droit comparé français, espagnol et béninois. Par Charles ODIKO LOKANGAKA Diplômé d'Etudes Supérieures en Droit Public Thèse présentée et défendue en vue de l'obtention du grade de Docteur en Droit. Membres du jury: - Prof. Jean Louis ESAMBO KANGASHE, Président; - Prof. Jacques DJOLI ESENG'EKELI,Promoteur ; - Prof.Paul-Gaspard NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Co-promoteur ; - Prof. Célestin MUSAO KALOMBO, Secrétaire ; - Prof. ILUME MOKE, Membre effectif ; - Prof. Ivon MINGASHANG, Membre suppléant ; - Prof. MULAMBA MUBYABO, Membre suppléant. Année Universitaire 2019-2020 « Quand un peuple ne défend plus ses libertés et ses droits, il devient mûr pour l'esclavage. » Jean-Jacques Rousseau À Sarah Kabuya, mon épouse. Je tiens ici à exprimer toute ma gratitude envers Monsieur le professeur Jacques Djoli Eseng'ekeli, mon Promoteur de thèse, pour son entière disponibilité, ses conseils toujours précieux et son soutien constant tout au long de ce travail de recherche. Je lui sais également gré de la relation de confiance réciproque qui s'est installée dès le début de notre collaboration et qui ne s'est jamais démentie. J'adresse en deuxième lieu ma profonde reconnaissance au Professeur Paul-Gaspard Ngondankoy Nkoy-ea-Loongya, Co-promoteur et mon encadreur scientifique depuis 2010. C'est sous ses auspices que l'idée même de cette thèse, portant sur un de ses sujets de prédilection, est née. Comme l'a si bien dit un jour le professeur Jacques Djoli, si scientifiquement je suis pour lui un « fils adoptif », c'est que, pour le professeur Paul-Gaspard Ngondankoy, je peux revendiquer bien volontiers le titre de « fils biologique ». Je le remercie pour la confiance, l'encadrement et la rigueur scientifique reçus de lui. Mes remerciements s'adressent en troisième lieu à l'ensemble du corps professoral de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa et particulièrement aux Professeurs Jean-Louis Esambo Kangashe, Président du Jury, Célestin Musao Kalombo, Secrétaire du Jury, Ivon Mingashang, Michel Ilume Moke et Félicien Mulamba Mubyabo pour leurs précieuses remarques, lesquelles ont permis d'améliorer la qualité de cette étude. J'adresse aussi mes sincères remerciements à tous ceux qui ont contribué à l'accomplissement de ce travail : tout d'abord, le Professeur Léon Odimula Lofunguso ainsi que Messieurs les Abbés Professeurs Yengo et Nkwasa pour leurs conseils et leurs relectures ; ensuite, Monsieur le Chef de Travaux Christian Tshiamala et l'Assistant Dani Oleko pour leurs concours et la relecture d'ensemble du tapuscrit. Une pensée va vers mes amis et tous ceux qui ont partagé, à un moment ou à un autre et de diverses manières, ces cinq années de recherches. Je pense particulièrement aux Docteurs Félicien Kalala et Patrick Mende, aux assistants et chefs de travaux Ngebas Kipoy, Leroi Kangulumba, Byumanine Mpova, Célestin Kanyama, Emmanuel Ramazani Shadary, Laurent Onyemba, Célestin Ekoto, Cyrille Makepa et Franck Losoli. Leur présence et leur soutien sans faille m'ont aidé plus qu'ils ne peuvent le penser. Mes remerciements particuliers vont à mes parents Émile Lokangaka et Antoinette Edumbe ainsi qu'à mes oncles et tantes Albert Wongodi (d'heureuse mémoire), Simon Dikete, Kema Odiko, Ahoka Odiko, Ehowande Odiko, Okako Odiko, Lomandja Odiko, Welo Odiko, Ndjeka Odiko et Djemba Lokoto. Je ne peux oublier mes frères et soeurs Ekodi Lokangaka, Tshike Lokangaka, Asamawo Lokangaka, Wungudi Lokangaka, Lokanga Lokangaka et Lopaka Lokangaka. Je remercie - last but non least - ma famille : Sarah Kabuya, mon épouse ; Bryan Odiko, mon fils ; Fortelle Glorieuse Odiko, Muriella-Promel Odiko et Raelle Odiko, mes filles. Première partie : LA LIBERTÉ DE MANIFESTATION : SA FONDAMENTALITÉ, SES DIMENSIONS HISTORIQUES ET CONTEXTUELLES Chapitre I : La fondamentalité du droit de manifester dans un état démocratique Section 1 : Le principe de liberté, fondement substantiel de la liberté de manifestation Section 2. Les traits caractéristiques de la fondamentalité du droit de manifester Section 3 : La proximité sémantique impliquant une précaution de langage dans l'usage de certains concepts Chapitre II : L'évolution des cadres contextuel et juridique de l'exercice de la liberté de manifestation Section 1 : Le Congo-Belge : l'exercice de la liberté de manifestation dans un contexte colonial Section 2 : Le Congo-Zaïre : l'exercice de la liberté des manifestations dans un contexte dictatorial Section 3 : La liberté de manifestation sous les régimes de Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila III : L'ancrage de la liberté de manifestation en droit comparé Section 1 : La liberté de manifestation en France Section 2 : La positivité de la liberté de manifester en Espagne Section 3 : La liberté de manifestation au Bénin Deuxième partie : LA PROTECTION DE LA LIBERTÉ DE MANIFESTATION DANS L'ESPACE PUBLIC CONGOLAIS
Chapitre I : Une architecture virtuelle de protection de la liberté de manifestation Section 1 : Les mécanismes non-juridictionnels de protection de la liberté de manifester Section 2 : Les mécanismes juridictionnels de protection du droit de manifester Section 3 : Le régime de responsabilité découlant de la liberté de manifestation Chapitre II : Contradictions, ambiguïtés et inadaptations pratiques du système juridique congolais de protection de la liberté de manifestation Section 1 : La hiérarchie des normes : une exigence de l'effectivité de la liberté de manifestation Section 2 : La liberté de manifestation : un droit constitutionnel dont les modalités d'exercice postulent l'intervention du législateur Section 3 : La liberté de manifestation : la nécessité de la cohérence du système juridique de protection Chapitre III : Prospectives pour une protection plus efficace et plus effective du droit de manifester dans l'espace public congolais Section 1 : La nécessité de réformer le système juridique congolais de protection de la liberté de manifestation Section 2 : La légitimité de la norme de protection de la liberté de manifestation et la nécessité de sa mise en oeuvre Section 3 : L'instauration d'un service public de la justice de qualité PRINCIPAUX SIGLES, ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES UTILISÉS ABAKO : Association des Bakongo AFDL : Alliance de Forces Démocratiques pour la Libération du Congo AJDA : Actualité Juridique de Droit Administratif ANC : Alliances Nationales Congolaises AUF : Agence Universitaire de la Francophonie BCNDH : Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l'Homme CE : Cour Européenne CEDH : Cour Européenne de Droit de l'Homme Cfr. : Conferatur (voir tel, ou se référer à...) CNDH : Commission Nationale des Droits de l'Homme CRIDHAC : Centre de Recherche Interdisciplinaire pour la Promotion et la Protection des Droits de l'Homme en Afrique Centrale Dir : Sous la direction de Éd. : Éditions EUA : Éditions Universitaires Africaines FARDC : Forces Armées de la République Démocratique du Congo FONUS : Forces Novatrices pour l'Union et la Solidarité Ibidem : Même auteur encore Idem : Même auteur J.O.R.D.C : Journal Officiel de la République Démocratique du Congo LGDJ : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence M.P.R. : Mouvement Populaire de la Révolution MONUSCO: Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation du Congo NNT : Number Needed to Treat (Nombre de Sujet Nécessaire pour Traiter) OFCJOJ : Organisation, Fonctionnement et Compétence des Juridictions de l'Ordre Judiciaire ONG : Organisation non gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies Op. cit. : Opus Citatum (ouvrage déjà cité) Ord. : Ordonnance p. : page pp. : pages PUF : Presses Universitaires de France PUK : Presses Universitaires de Kinshasa R.D.P : Revue de Droit Public R.I.D.C : Revue Internationale de Droit Comparé RDC : République Démocratique du Congo SOS : Save our Souls (Sauver nos Âmes) spéc. : spécialement UDPS : Union pour la Démocratie et le Progrès Social Unikin : Université de Kinshasa vol. : volume Le droit de manifester revêt une importance tout à fait particulière dans le cadre d'un État de droit1(*). Il constitue la pierre angulaire du principe de la démocratie et des droits de l'homme et représente, pour une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun2(*). En aménageant une place propre et indépendante à cette liberté3(*), le Constituant congolais de 2006 semble avoir pris conscience de l'exacte mesure de ces enjeux. En effet, le lien entre droit de manifester et la démocratie est communément affirmé dans le droit positif, la jurisprudence et la doctrine4(*). Le Tribunal constitutionnel espagnol, affirme dans cette perspective que « la reconnaissance du droit de manifester par la Constitution manifeste la volonté de consacrer un élément déterminant de l'État démocratique et de l'État de droit ».5(*) La Cour européenne des droits de l'homme voit dans la liberté de manifestation l'un des fondements essentiels de la société démocratique6(*). Sa constitutionnalisation marque dans la plupart des États, la volonté claire et précise de ceux-ci de lui assurer plus d'autorité et de stabilité7(*), permettant aux pouvoirs publics d'en sauvegarder la fondamentalité. Au plan doctrinal, Hubert Alcaraz et Olivier Lecucq considèrent « la liberté de manifestation comme un pilier indispensable au système démocratique qui impose la liberté d'expression et la liberté des supports d'expression ».8(*)Fraisse décrit « la liberté de manifestation comme l'une des libertés civiles et politiques participant à l'émergence et à l'enracinement de la culture démocratique dans l'État moderne »9(*). Elle représente, de ce fait, le thermomètre ou l'un des indices probants dans l'appréciation de l'état des lieux ou du niveau démocratique d'un État10(*). En même temps, « elle est l'arme politique la plus efficace du moment où le recours à la force n'est plus un mode normal d'expression, mais bien une violation du droit ». A vrai dire, le droit de manifester est une véritable expression du constitutionnalisme populaire. Gérard Sain Saulieu démontre que « la manifestation permet à la démocratie de se mettre en oeuvre face à l'incurie anesthésiante des politiques qui n'engendrent pas l'allégresse. Tous ces gens dans la rue représentent une expression populaire, pour pallier l'impuissance du politique, contraints de prendre le risque d'une redoutable incertitude sur l'avenir, en payant ainsi le prix du disfonctionnement des institutions étatiques »11(*).C'est à cette dynamique que nous devons tous les mouvements observés dans le monde. D'aucuns s'étonneraient de constater que l'arsenal de nouvelles techniques utilisées pour restreindre la liberté de manifestation soit plus impressionnant que les efforts déployés pour la protéger. La violence n'est plus que policière ; elle a fini pour prendre des allures politiques et judiciaires. Pourtant, dans une démocratie, le contrat conclu entre le peuple et l'État repose sur l'idée selon laquelle celui-ci doit respecter les droits et libertés de celui-là.12(*) Ainsi, la raison d'être de l'État est d'apporter aux individus un minimum de sécurité leur permettant de s'épanouir pleinement.13(*) Avant de continuer, il nous paraît important de signaler notre choix consistant à ne pas opérer une distinction entre les concepts droit et liberté. Nous allons les utiliser l'un pour l'autre. Ce choix n'a aucune intention d'invalider la dichotomie notionnelle entre un droit et une liberté. Celle-ci existe à l'évidence, quoiqu'elle soit à la fois discutable sur le plan doctrinal que du droit positif. Dans plusieurs textes qui consacrent ce droit on trouve les deux expressions, soit en raison de l'instrument qui le porte ou d'un choix personnel dicté par la conception personnelle ou étatique des droits et libertés fondamentaux. Pour certains auteurs, dont Löhrer les droits subjectifs et les libertés publiques sont assimilables. Les seules différences qui les caractérisent, tiennent surtout au degré de latitude laissé à leurs titulaires14(*). Les droits sont des libertés strictement pré-orientées ou encore prédéterminées. Leur contenu n'est ni variable ni négociable au gré des personnes en relation. Quant aux libertés, elles sont des droits largement pré orientés, de telle façon que leurs titulaires possèdent, au sein de cette zone préfixée, une capacité d'autodétermination15(*). Ainsi que le définit Jean Rivero, la liberté est un pouvoir d'autodétermination, en vertu duquel l'homme choisit lui-même ses comportements personnels16(*). Pour permettre une bonne "entrée en matière" de cette dissertation, il nous revient, dans cette introduction, (1) de fixer le contexte de l'étude (2) et de dresser un état de la question, (3) avant de poser la problématique de l'étude (4) et d'émettre les hypothèses de la recherche (5). Ces rubriques seront suivies de la justification de l'étude (6), de l'indication de la démarche méthodologique (7) et de la délimitation du champ de la recherche (8), le tout finissant par l'annonce d'un plan sommaire (9). La dynamique socio-politique et juridico-institutionnelle en République Démocratique du Congo, est caractérisée de nos jours par la recherche de l'émergence et de consolidation d'un système démocratique et de mise en place d'un État post-autocratique. Afin de traduire dans les faits cet état de chose, la rue a été mobilisée par une partie de l'opinion publique. En l'occurrence, l'opposition politique représentée notamment par les associations de la société civile et les mouvements dits citoyens, pour qui le régime en place s'illustraient dans son fonctionnement par la violation de la Constitution. L'article 64 de ladite Constitution a été ainsi mis à contribution dans le but de faire échec à une telle entreprise.17(*) Car, estimaient-ils, que dans pareilles circonstances, la rue s'est toujours révélée plus forte que la police et l'armée, plus efficace que la diplomatie, quand tout devient trop insupportable, quand aucune issue politique ne se profile, le recours à elle reste l'ultime espoir d'un changement radical ».18(*) La situation politique traduisait un climat d'antagonisme provoqué par la tentative du président Joseph Kabila de rester au pouvoir au-delà de ses deux mandats constitutionnels opposant deux camps, en l'occurrence, la Majorité au pouvoir et l'Opposition. La scène était jonchée des partisans du régime, qui scandent au passage du Président de la République le cri « Wumela », c'est-à-dire « demeure longtemps au pouvoir », en face de leurs adversaires politiques qui criaient « Yebela » c'est-à-dire, « sois intelligent et sage pour quitter le pouvoir à temps, sinon, le peuple t'y contraindra ».Eu égard à une telle ambiance, la suspicion permanente, le contrôle strict et rapproché de toute tentative de manifestation ainsi que la censure systématique deviennent le mode de fonctionnement ordinaire pour éviter qu'un mouvement contestataire ne déstabilise le régime et ses dignitaires. Quelques manifestations ont bien eu lieu. Un grand nombre d'entre elles ont en réalité été cependant interdites, cela sans une motivation particulière. Par ailleurs, aucun contrôle de proportionnalité des mesures de restriction n'est apparu nécessaire pour apprécier leur bien fondé au regard de la menace à l'ordre public alléguée. Les auteurs de multiples entraves portées contre cette liberté n'ont manifestement pas été inquiétés en termes de leur responsabilité. On invoque habituellement l'ordre public immatériel.19(*) D'aucuns voient dans cette pratique, la volonté de museler l'Opposition et la Société civile. Dans ce cadre, seules les manifestations statiques et de soutien au régime peuvent recevoir l'approbation du pouvoir20(*). En témoigne les différentes restrictions et limitations imposées pour l'exercice de la liberté de manifestation. A cet effet, « un arsenal de nouvelles techniques est utilisé pour restreindre cette liberté. L'ordre public immatériel, la privatisation de l'espace public, la volonté de faire payer les manifestations pour les dégâts qu'elles génèrent et les nouvelles méthodes policières constituent autant de menaces ». À la suite des manifestations de janvier 2015, le Ministre de la Communication et Porte-parole du Gouvernement a, au cours d'un point de presse organisé au lendemain des évènementsimputé la responsabilité des dégâts orchestrés par les manifestants aux organisateurs desdites manifestations, tout en envisageant la possibilité de faire saisir leurs patrimoines en vue d'éventuelles réparations des dommages causés tant sur les biens publics que privés. La description du paysage socio-politique dans lequel se déroulent les mouvements de contestation par voix des manifestations publiques en République démocratique du Congo, serait incomplète si l'on indique également que les tactiques de terreur sont souvent utilisées par les organisateurs et les manifestants dans le but de donner de l'ampleur à leur revendication, ne peuvent que susciter d'inquiétudes. Une certaine opinion se fait la fausse idée qu'une manifestation sans dégâts matériels passe pour un échec. En recourant dans cet ordre d'idée à la terreur par l'érection des barricades, les jets des pierres,incendies de véhicules et bâtiments privés tout comme publics ainsi que les brûlages des pneus sur la voie publique. Il s'agit là, parmi tant d'autres dérapages aux conséquences fâcheuses qui rendent légitime, la question de savoir si l'on peut prétendre demeurer dans un idéal démocratique. Sans rechercher à participer, ni à tenter de répondre par une telle question, à ce stade, il y a simplement lieu de relever que chaque fois que le pouvoir en place se trouve confronter à cet état de fait, il fait usage des moyens répressifs. Les moyens de télécommunication sont perturbés, l'internet et le téléphone mobile. A Cette attitude autoritaire, interdisant techniquement la liberté d'expression et se traduisant aux yeux des observateurs par le caractère ouvertement répressif du pouvoir correspondent paradoxalement à la révolte.21(*) Les services de l'ordre et le Pouvoir judiciaire, au lieu d'être les garants des droits fondamentaux et des libertés publiques, sont détournés de leurs missions traditionnelles à la solde des individus et fonctionnent sous les soubresauts du politique. Dans leur actif, on dénombre plusieurs cas d'arrestations arbitraires, des jugements sur commande politique22(*) et une brutalité policière insoupçonnable. C'est à cette dynamique que l'on doit attribuer les différentes manifestations du 19, 20 et 21 janvier 2015, celles du 19 au 20 septembre 2016 convoquées par le Rassemblement de l'Opposition congolaise et celles organisées le 31 décembre 2017 par le Comité Laïc de Coordination, appuyé par la hiérarchie de l'Église Catholique pour exiger l'application de l'Accord de la Saint Sylvestre signé le 31décembre 2016 et qui prévoyait, entre autres, l'organisation des élections en décembre 2017, l'ouverture des médias proches de l'opposition et la libération de prisonniers politiques.23(*) Alors que certaines manifestations ont été déclarées et autorisées, d'autrespar contre, interdites, ont débouché sur une violente répression causant des pertes en vies humaines, des arrestations arbitraires et des dégâts matériels importants, au nombre desquels on peut énumérer une centaine des morts, des pillages et des casses des biens publics que privés, sans épargner la profanation des quelques lieux de culte (les paroisses catholiques). Il en résulte une question de la responsabilité pénale qui implique des poursuites judiciaires à l'encontre des acteurs des faits subversifs présentés en déterminant le rôle joué par chaque acteur. Cette description du contexte dans lequel s'exerce la liberté de manifestation en République démocratique du Congo ne suffit pas pour appréhender réellement l'état de lieu de la protection de cette liberté dans ce pays à forte tradition autocratique.24(*) Il importe de faire l'état de la question avant de poser la problématique de la présente recherche. 2. ÉTAT DE LA QUESTION ET REVUE DE LA LITTÉRATURE La question de la protection de la liberté de manifestation est au coeur d'un paradoxe qui devrait nécessairement conduire les juristes à s'interroger sur le rôle que jouent les pouvoirs publics en tant que premiers débiteurs des droits fondamentaux d'une part, et sur la fonction que remplit la norme juridique en tant qu'instrument de conduite humaine, d'autre part. L'esprit libéral qui a présidé à l'élaboration de la Constitution du 18 février 2006 laissait donc à penser que pareille liberté allait désormais connaitre son âge d'or. L'espoir était d'autant plus fort que l'article 26 lui ménage une place propre, indépendante par rapport aux libertés classiques telles que relatives à l'expression et réunion, auxquelles elle a été depuis longtemps attachée25(*). Pourtant, l'espoir n'a pas fait long feu. Le régime n'arrive pas à faire face à la désagrégation du système politique congolais. Autant la liberté de manifestation connait aujourd'hui une très forte actualité dans le monde entier, autant elle subit en même temps de fortes limitations et revers, aussi bien dans les pays en transition démocratique que dans les pays occidentaux, considérés traditionnellement comme étant les pays de vieilles démocraties26(*). Certains pensent même à son éclipse. Aujourd'hui, plus de quatorze ans après la promulgation de cette Constitution, l'architecture de protection du droit de manifester demeure inachevée. La promulgation formelle d'une loi censée fixer les mesures d'application de la liberté de manifestation, telle que prévue par l'alinéa 4 de l'article 26 libellé ci-dessous, continue à être victime d'une politique de l'autruche, de restriction camouflée, le Parlement et la Présidence se rejetant mutuellement la responsabilité du défaut de sa promulgation formelle. En vertu del'article 26 précité « La liberté de manifestation est garantie. Toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air impose aux organisateurs d'informer par écrit l'autorité administrative compétente. Nul ne peut être contraint à prendre part à une manifestation. La loi fixe les mesures d'application ».27(*) Paul-Gaspard Ngondankoy dégage de cette formulation quatre principes fondamentaux susceptibles d'encadrer ce concept. A savoir : la garantie de la liberté de manifestation ; la déclaration ou l'information qui n'impose pas aux organisateurs d'une manifestation de requérir une quelconque autorisation des pouvoirs publics. Puis l'autonomie de volonté, qui implique que la participation à une manifestation ne peut être forcée. Et enfin, celuide la réserve législative reconnaissant au seul législateur le pouvoir d'imposer les limites à la jouissance des droits et libertés fondamentaux28(*). Si les deux articles de Paul-Gaspard Ngondankoy sur la liberté de manifestation ont inspiré et motivé cette étude, celle-ci ne manque pas de prendre ses distances sur bon nombre de questions. En l'occurrence, sur l'effectivité de la promulgation de droit, s'agissant de la loi portant modalités d'exercice de la liberté de manifestation. Comme le dit le Tribunal suprême espagnol, à la Constitution les grands principes, à la loi organique les conditions précises d'exercice ou le contenu propre du droit de manifester29(*). Pourtant l'adoption et la promulgation d'une loi portant mesures d'application de la liberté de manifestation devrait être inscrite parmi les priorités du gouvernement issu des élections de 2006. Or la confusion persiste jusqu'à ce jour. En observant la pratique de cette disposition par les pouvoirs publics, nous avons l'impression que cette liberté est conditionnée par une autorisation préalable. Tout indique que les pouvoirs publics considèrent que la nouvelle loi n'étant pas encore promulguée, il faille se résigner à appliquer l'article 4 du décret-loi de 199930(*), même si celui-ci contredit l'esprit de la norme supérieure qui consacre le régime d'information. C'est aussi le lieu de répondre à la question de savoir si le Décret-loi du 29 janvier 1999 sur la liberté de manifestation et de réunion pacifique reste encore en vigueur et valide pour être appliqué. Dans l'hypothèse où il faut considérer ce décret-loi, il importe de rappeler que dans un système juridique, une norme trouve sa validité dans sa conformité à la norme fondamentale qui lui donne légitimité. Aux termes de l'article 221 de la Constitution31(*), ce Décret-loi devrait en principe être considéré comme abrogé implicitement surtout dans ses dispositions jugées contraires à la Constitution, notamment en son article 4 qui institue un régime d'autorisation contraire à celui d'information institué par l'article 26 de la Constitution.32(*) Donc, si l'on peut l'affirmer, avec Patrick Wachsmann33(*), que la hiérarchie des normes est un instrument privilégié de protection des libertés, la suprématie de la Constitution du 18 février 2006 sur les autres textes implique le principe de nullité de plein droit de tout acte contraire à la Constitution, le contrôle de tous les actes, qu'ils émanent du législateur ou de l'administration, étant le gage par excellence de la protection des libertés.34(*) Il se fait pourtant que dans les faits on a l'impression d'être confrontéà deux régimes contradictoires, ce qui nous permet de l'affirmer avec Julien Betaille que l'absence de contradiction entre les normes constitue l'une des conditions juridiques de l'effectivité de la norme35(*). Cependant, le régime juridique de la liberté de manifestation en droit congolais accuse une contradiction évidente. Cette incompatibilité pèche contre le principe de la hiérarchie des normes et affecte la cohérence du système juridique qui commande que la norme inférieure soit conforme à la norme supérieure. L'une des conséquences de cet état des choses réside dans le risque d'une neutralisation réciproque de leurs effets respectifs, voire d'une domination des effets de la norme inferieure sur ceux de la norme supérieure36(*). La contrariété entre le Décret-loi du 29 janvier 1999 et la Constitution du 18 Février 2006 rend non seulement ineffectif l'exercice de la liberté de manifestation, mais aussi, permet la neutralisation des effets de la Constitution en tant que norme fondamentale au profit d'un décret censé tirer sa légitimité de sa conformité à la Constitution. Toutefois, les critères de validité retenus dans le cadre de l'ordre juridique devraient permettre d'assurer sa cohérence, et ainsi préserver l'effectivité de la norme. En outre, pour être cohérent, l'ordre juridique doit nécessairement organiser la purge des normes non valides puisqu'un acte invalide « produit des effets de droit tant qu'il n'a pas été annulé »37(*). L'incompatibilité dudit décret-loi doit dès lors être attestée et ainsi organiser son retrait de l'ordonnancement juridique. Aussi, s'il faut s'appuyer sur les prescrits de l'article 140 alinéa 2 de la Constitution38(*), le défaut de promulgation d'une loi par le Président de la République dans le délai constitutionnel vaut promulgation de droit. Ainsi, la proposition de la loi portant mesures d'application de la liberté de manifestation devrait être considérée comme promulguée de plein droit, même si, à la surprise générale et au mépris de toute logique juridique, ladite proposition serait renvoyée en violation de la Constitution pour une nouvelle lecture au Parlement, laissant ainsi cohabiter l'actuelle Constitution avec le décret-loi du 29 janvier 1999. Autant dire que, quelles qu'aient été les bonnes intentions du Constituant en faveur d'une démocratie libérale, les conditions ne sont en réalité, pas réunies pour pouvoir assurer un développement favorable de libertés, en général et de celui du droit de manifester en particulier. Le régime de la liberté de manifestation reste ainsi, dans la pratique tout au moins, à quelque chose près, le même que sous l'empire du décret-loi de 1999. Dans la doctrine, le vide est loin d'être comblé. Les travaux juridiques existants n'ont pas de notre point de vuedirectement permis de répondre précisément à cette problématique. Paul-Gaspard Ngondankoy ne cesse d'alerter, lors de ses différentes interventions, sur la liberté de manifestation concernant le risque de voir les associations civiles et politiques, ainsi que leurs acteurs, dominer le débat sur la liberté de manifestation. Car, écrit-il, cette actualité est d'autant plus importante à analyser que le silence de l'intellectuel comporte le risque de laisser à ces acteurs le droit de tout dire sur cette liberté fondamentale, notamment celui de l'enfermer dans son seul aspect politique et ainsi réduire le cercle de son champ d'application39(*). Parmi les recherches importantes conduites dans ce cadre, on peut citer le colloque sur la liberté de manifestation dans l'espace public, organisé du 18 au 19 mars 2017 par la Faculté de Droit et Science politique de l'Université d'Aix-Marseille. Même si, dans ce cadre, les apports de la comparaison ont été précieux pour comprendre les contradictions qui affectent l'exercice de cette liberté, l'absence d'une analyse sur l'Afrique représente un vide qu'il conviendrait de combler par une étude plus globalisante, prenant en compte les spécificités africaines et congolaises. Les quelques analyses portant sur la question de protection de la liberté de manifestation n'ont pas pris suffisamment en compte la situation de la République démocratique du Congo et ses spécificités. Elles contribuent néanmoins à la conceptualisation des standards internationaux sur la liberté de manifestations. Afin de pouvoir répondre à la question de savoir si l'on assiste à une éclipse de cette liberté au regard de ce que Jacques Djoli qualifie, non sans raison, de tératologie des libertés fondamentales ou cette production protéiforme des déclarations, chartes, structures relatives aux libertés sur fond d'indigence effective et des pratiques nocives ou malveillantes, c'est qui est une forme de dépossession des libertés publiques, l'étude d'une aire européenne est apparue opportune mais pas suffisante. Durant les cinq dernières années, les peuples africains ont réinvesti la rue avec l'intention d'en faire un moteur de démocratisation. Tous ces mouvements qui ont provoqué plusieurs mutations tant sur le plan politique que juridique et causé des dégâts matériels et pertes en vies humaines, n'ont pas fait à ce jour l'objet de plusieurs recherches afin d'expliquer et appréhender les contradictions et les paradoxes autours de l'exercice du droit de manifester. L'essentiel des questionnements sur la liberté de manifestation, à travers la littérature remarquable, tourne autour des plusieurs problématiques liées tantôt à sa fondamentalité, à son implémentation et à l'établissement des limites à l'exercice de cette liberté, tantôt à la gestion de l'espace public et privé, tantôt à la sécurité publique, etc. Abordant la question, Gabriel Babineau recèle pourtant les différentes questions liées à la problématique dont l'occupation des lieux publics, la place de la violence dans la jouissance de la liberté de manifester et les limites établies dans l'exercice de cette liberté. Il souligne le fait que la limite imposée pour assurer le caractère pacifique de la manifestation ne doit pas restreindre indument le droit de manifester40(*), c'est-à-dire affecter le noyau dur de la liberté de manifestation ou altérer sa substance. Très vite, l'importance d'une justice indépendante, à même de sanctionner les différentes violations, se réclame.41(*) C'est pourquoi, parlant de la prise en charge constitutionnelle et législative du droit de manifester, Omar Bendourou martèle sur l'établissement du système de contrôle de constitutionnalité et des sanctions pénales42(*), qu'il considère comme gage de la protection du droit de manifester. Julie Ferrero propose de déplacer le point focal de l'analyse de la liberté de manifestation de la sphère interne au niveau international, dans une approche « top-down »43(*)sa régulation. L'évaluation des apports de la protection internationale permettra de mettre en lumière le contraste entre la force de la consécration de ce droit et l'ambivalence de sa mise en oeuvre44(*). Cette étude souscrit à cette démarche. La richesse de la jurisprudence internationale permet de contribuer et d'inspirer positivement les éventuelles réformes tant sur le plan juridique qu'institutionnel afin de rendre plus cohérent l'ensemble du système juridique de protection du droit de manifester45(*). La rareté des études axées spécifiquement sur la liberté de manifestation est reconnue par les juristes. La liberté de manifestation est souvent engloutie dans la liberté de réunion pacifique ou d'association auxquelles elle peut être rattachée avec comme conséquence déplorable que la majorité de recherches porte sur les droits fondamentaux en général, pourtant le droit de manifester présente des caractéristiques spécifiques dues à son influence sur le plan politique et à son essentialité. En République démocratique du Congo, les premières recherches sur la question de la protection de la liberté de manifestation avaient consisté, principalement, à préciser son régime juridique d'abord, comme innovation apportée par la nouvelle Constitution promulguée en 2006, puis, à démontrer l'inconstitutionnalité du Décret-Loi de janvier 1999 portant modalités d'exercice de la liberté des manifestations, lequel décret-loi soumettait l'organisation d'une manifestation à un double régime, celui de la déclaration préalable et celui de l'autorisation46(*). Cet état de choses, avait pour vocation d'affirmer la suprématie de la Constitution sur le Décret-loi conformément au principe d'autorégulation du système juridique. L'article de Yatala et plusieurs conférences organisées à la suite de la promulgation de la Constitution du 18 février 2006, répondaient de cet objectif47(*). On citera Trésor Lungungu dont les recherches, en la matière, proposent l'instauration d'un observatoire de manifestations publiques pour assurer une jouissance effective du droit de manifester48(*). De notre point de vue, un organe dépourvu de moyen de contrainte ne saurait permettre de rendre effective la protection du droit de manifester, car n'exerçant qu'une magistrature morale. Cette étude se démarque de celles qui l'ont précédé. D'abord, parce qu'elle s'inscrit dans la perspective du droit comparé et ensuite, parce qu'elle ne se limite pas à identifier les contradictions, les ambiguïtés et les paradoxes autour de l'exercice de cette liberté, mais propose les mécanismes permettant d'enserrer cette liberté dans un cadre juridique répondant aux standards internationaux, susceptibles de favoriser une jouissance aisée et effective du droit de manifester et notamment à travers le renforcement (pénalisation) des sanctions visant l'entrave au droit de manifester.49(*) Sur le plan du droit positif, en dépit de la règlementation existante, les manifestations organisées en 2015, les 19, 20 et 21 janvier, et celles de 2016, par le `'Rassemblement'' dans le but d'empêcher au Président Kabila de rester au pouvoir au-delà de la fin de son dernier mandat fixé au 19 décembre 2016, ont été entravées, débouchant sur des pertes en vies humaines, sans dénombrer tous les cas d'arrestations arbitraires et de disparition forcée. Les comportements des acteurs, lors de ces évènements, n'ont, à ce jour fait l'objet d'aucune recherche scientifique rigoureuse. Pourtant, ils suscitent les questions de responsabilité tant dans le chef des manifestants que dans celui des pouvoirs publics. Cette responsabilité peut être pénale ou civile et politique. Elle est pénale lorsqu'elle fait intervenir les notions de trouble à l'ordre public par le fait de comportement des acteurs ou par le fait d'entraver volontairement l'exercice du droit de manifester. L'aspect civil de cette responsabilité réside dans l'appréciation des dégâts causés et des préjudices subis par le fait de ces comportements. L'étude de la protection de la liberté de manifestation dans l'espace public en République Démocratique du Congo suscite denombreuses interrogations que de réponses susceptibles de favoriser sa compréhension. La garantie constitutionnelle offerte à l'article 26 de la loi fondamentalepour sa jouissance effective devrait être complétée par une loi portant mesures d'application, aux termes de l'alinéa 4 de la disposition constitutionnelle sus-évoquée. Le défaut de promulgation formelle de cette loi laisse cohabiter dans l'arsenal juridique deux textes contradictoires qui tendent à se neutraliser mutuellement et à favoriser, dans la pratique, la prédominance des effets de la norme inférieure sur ceux de la norme supérieure, engendrant ainsi une anomalie juridique susceptible de porter atteinte au principe de la hiérarchie des normes juridiques. Compte tenu de cette anomalie juridique, l'étude du régime de la protection constitutionnelle de la liberté de manifestation en droit positif congolais, par rapport à d'autres systèmes juridiques existants, nous a paru nécessaire. Dès le départ, plusieurs questions ont taraudé notre esprit, dont les deux principales ci-après : d'abord, quels sont les facteurs qui participent à la dégradation des conditions d'exercice du droit de manifester en République Démocratique du Congo ? Ensuite, si ces facteurs sont identifiés, quelles sont les pistes thérapeutiques appropriées pour rendre effective la protection du droit de manifester dans ce pays ? Telle est la substance de la problématique de cette étude dont il convient, à présent, de dégager des hypothèses. Le scientifique n'est pas seulement celui qui propose des réponses aux questions posées. Il est aussi, et peut-être surtout, celui qui pose de bonnes questions et fournit des réponses adéquates. La validité d'une recherche ne dépendra pourtant pas seulement de la pertinente des questions qu'elle soulève, mais aussi de la vérifiabilité des réponses provisoires formulées en formes d'hypothèses. En l'espèce, nous partons de l'hypothèse selon laquelle l'absence d'un régime juridique cohérent, l'inexistence et l'obsolescence des sanctions de l'entrave ainsi que la persistance de la culture autocratique et l'incivisme des citoyens constituent les principaux vecteurs de la fragilité de l'exercice de la liberté de manifestation en République démocratique du Congo. Il s'agit dans cet ordre d'idées, de procéder à l'harmonisation du système de protection du droit de manifester, par le renforcement et l'individualisation des sanctions de l'entrave au droit de manifester ainsi que l'éducation constitutionnelle en vue d'une citoyenneté active, si l'on veut réellement donner une portée réelle du droit de manifester, dans un environnement où le juge joue un rôle central. La présente recherche se fixe comme objectif principal de trouver les moyens théoriques et pratiques susceptibles de contribuer à l'émergence de la liberté de manifestation. La recherche comparative étant par essence une étudede reforme, l'enjeu essentiel consisteà identifier, à partir d'une comparaison entre quelques systèmes juridiques de promotion et de protection du droit de manifester, le meilleur système afin de contribuer à la réforme du système juridique congolais. Principalement, deux facteurs justifient le choix de mener une recherche sur la protection de la liberté de manifestation en droit constitutionnel : d'un côté, le désintérêt affiché par la doctrine vis-à-vis de cette liberté (A) et, d'un autre côté, le besoin indispensable de protection effective du droit de manifester (B), garantie de l'expression populaire dont la privation peut conduire à des insurrections ou des rebellions armées. Se basant néanmoins sur les réalités juridiques comme factuelles des autres systèmes juridiques, il importe tout autant de justifier le choix que nous avons porté sur la France, l'Espagne, le Bénin (C) pour en faire les miroirs de cette recherche. 5.1. Une question d'actualité délaissée par la doctrineLa liberté de manifester connaît aujourd'hui une très forte actualité, et ce dans le monde entier. Paradoxalement, elle n'a pas fait l'objet d'autant d'études doctrinales que d'autres libertés, à l'instar de la liberté d'expression, à laquelle elle peut etre rattachée. A cet égard, offrant des exemples de limitation apportée à cette liberté par-delà les frontières, son étude dans une perspective de droit comparé s'impose. Il s'agit d'examiner la façon dont le droit positif, notamment français, espagnole, et béninois encadre cette liberté. Du même avis que Paul-Gaspard Ngondankoy et Jean-Marie Denquin, nous partageons le constat selon lequel, il y a moins de réflexions des spécialistes sur la question de la liberté de manifestation, laissant la place au politique et à la Société civile. Pourtant l'idée que la somnolence de la doctrine facilite la prolifération des monstres n'est pas seulement ultime vestige de la pensée des lumières. Au-delà de son influence directe et mesurable, la pensée critique crée un climat d'insécurité. Elle reste la seule méthode connue pour insécuriser la bêtise50(*). Dans le même sens, Paul-Gaspard Ngondankoy s'inquiète du silence de l'intellectuel et craint que cette liberté demeure l'apanage des acteurs sociopolitiques qui peuvent se permettre de tout dire ou de ne rien dire sur cette liberté fondamentale, et notamment le risque de l'enfermer dans son seul aspect politique et, ainsi, réduire le cercle de son champ d'application51(*). Le Constituant congolais de 2006 se démarque nettement de ses prédécesseurs en ce qui concerne la liberté de manifestation. Cette liberté est autonomisée, les limitations constitutionnelles sont supprimées, le régime juridique est assoupli. Pourtant, il faut bien reconnaître que ces innovations mises en place n'ont guère suscité l'intérêt de la doctrine. En dépit de quelques études, généralement peu enthousiastes consacrées à cette liberté, la question de la liberté de manifestation a été jetée dans les oubliettes. Dans ces conditions, l'étude de la protection de la liberté de manifestation apparaît tout à fait bienvenue. * 1MORIN (J.-Y.), Libertés et droits fondamentaux dans les constitutions des États ayant le Français en partage, Paris, Bruylant/AUF., 1999, p. 1. * 2Idem, p. 13. * 3 Différemment des textes constitutionnels précédents qui rattachaient la liberté de manifestation à la liberté d'expression et de réunion, la Constitution congolaise du 18 février 2006 autonomise la liberté de manifestation en lui consacrant une disposition entière, l'article 26 lequel est réparti en 4 alinéas. Cfr. art. 26, Constitution de la République démocratique du Congo, telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République démocratique du Congo, in J.O.RDC., n° spécial, 20 janvier 2011. * 4 DUFFY (A.) et PERROUD (Th.) (dir) et alii, « La liberté de manifester et ses limites: perspective de droit comparé », France, 11, 2017, in Revue des Droits de l'Homme, https://revdh.revues.org/2956. , p. 1. * 5Arrêt 115/1985 du 11 octobre 1985, Tribunal Constitutionnel espagnol, cité par ALCARAZ (H.) et LECUCQ (O.),« La liberté de manifestation dans l'espace public en Espagne », in DUFFY (A.) et PERROUD (Th.) (dir), et alii, Op. cit, p. 8. * 6DENIZEAU (Ch.), La liberté de manifestation en droit européen, in DUFFY (A.) et PERROUD (Th.) (dir) et alii, Op. cit, p. 20. * 7NGONDAKOY NKOY-ea-LOONGYA (P-G), Cours de libertés publiques (polycopié), Université de Kinshasa, D.E.S en Droit de l'Homme, 2018-2019, p. 39. * 8ALCARAZ (H.) et LECUCQ (O.), Op. cit, p. 7. * 9 FRAISSE (R.), « Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle conditionné, diversifié et modulé de la proportionnalité », in Les figures du contrôle de proportionnalité en droit français, Actes du colloque de la Faculté de Droit et d'Économie de la Réunion, du 4 au 5 juin 2007, LPA n° spécial du 5 mars 2009, pp. 74-85, spéc. p. 98. * 10Idem. * 11SAIN SAULIEU (G.), Op. cit, pp. 50. * 12BERTRAND (P.) et LATOUR (X), Libertés publiques et droits fondamentaux, 5eme éd., Mesnil-sur-l'Estrées, Studurama, 2014, p. 1. * 13 NGONDANKOY KOY-ea-LOONGYA (P.-G.), Introduction générale au droit, partie II : Droit public, Op. cit., p. 1. * 14 Ici c'est l'essentialité, l'importance ou l'attachement que lui vouent les citoyens au-delà de l'intervention des pouvoirs. * 15 LÖHRER (D.), La protection non juridictionnelle des droits fondamentaux en droit constitutionnel comparé. L'exemple de l'ombudsman spécialisé portugais, espagnol et français, Thèse de doctorat en droit public, Faculté de Droit, d'Economie et de Gestion École Doctorale, de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2013, p. 41. * 16RIVERO (J.), Libertés publiques, tome I, Paris, 9e édition mise à jour, PUF, 2003, p. 5. * 17Article 64 de la Constitution de la République Démocratique du Congo de 18 février 2006, telle que modifiée le 20 janvier 2011, J.O.R.D.C., 52e année, numéro spécial, 5 février 2011, pour faire échec à un régime soupçonné d'exercer le pouvoir en violation de la Constitution. * 18 SAIN SAULIEU (G.), Op. cit, pp. 16-17. * 19 L'incise « sous réserve du respect de l'ordre public » est généralement détournée de sa vraie portée et s'utilise comme prétexte dans les pays de tendance autoritaire pour interdire les manifestations publiques. La précision contenue dans le Décret-loi français sur la liberté de manifestation manque en République Démocratique du Congo, à savoir que « la menace à l'ordre public doit être grave et précise » et que les troubles ne doivent être supposés. * 20 Depuis l'approche de la fin du mandat du Président Kabila, initialement prévue en décembre 2016, les seules manifestations de l'opposition accordées sont celles organisées dans la périphérie de Kinshasa, dans la Commune de N'djili, à l'espace Saint Thérèse. Certaines analyses démontrent que ce comportement visait essentiellement à éloigner le risque du renversement du régime par les effets spontanés que peut provoquer un rassemblement à proximité de son siège. * 21 Selon SAIN SAULIEU (G.), Op. cit. p. 18. * 22 Expression employée par Paul-Gaspard NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA dans l'étude menée sur Le contrôle de constitutionnalité en République Démocratique du Congo. Etude critique d'un système de justice constitutionnelle dans un Etat à forte tradition autocratique, Thèse de doctorat, Université catholique de Louvain, 2007-2008, p. 35. * 23 Lire le rapport conjoint de la MONUSCO et du BCNDH respectivement pp. 18-25. Informations disponibles sur https://www.radiookapi.net, consulté le 12 avril 2018 à 19h 36'. * 24 NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Le contrôle de constitutionnalité en République Démocratique du Congo. Etude critique d'un système de justice constitutionnelle dans un Etat à forte tradition autocratique, Op. cit. p. 45. * 25 Une lecture minutieuse des textes constitutionnels antérieurs permettra d'avoir une idée juste. * 26 DUFFY-MEUNIER (A.) et PERROUD (Th.), Op. cit, p. 1. * 27 Article 26 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, Op. cit. * 28NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), La liberté de manifestation à l'épreuve des faits, op. cit, p. 66. * 29 Dans l'affaire Hubbard c. Pitt, le Tribunal Suprême espagnol, 3ème Chambre, 26 juin 1991. Citée par Hubert Alcaraz, Op. cit.,p. 2. * 30 Décret-loi n° 196 du 29 janvier 1999 portant règlement des manifestations et des réunions publiques, in JORDC, 40e année, numéro spécial, février 1999. * 31 Article 221 de la Constitution du 18 février 2006 de la République Démocratique du Congo, Op. cit. * 32 ODIMULA LOFUNGUSO (L.), La justice constitutionnelle et la juridicisation de la vie politique en République Démocratique du Congo, Kinshasa-Paris, l'Harmattan RDC, 2016, p. 76. * 33 WASCHSMAN (P.), Libertés publiques, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2002, p. 66. * 34 Jus Politicum Vol. III, Revue de droit politique, « Mutation ou crépuscule des libertés publiques ? », Paris, Dalloz, 2001, p. 25. * 35 WASCHSMAN (P.), Op. cit., p. 66. * 36BETAILLE (J.), Les conditions juridiques de l'effectivité de la norme en droit public interne, illustration en droit de l'urbanisme et de l'environnement, Thèse, Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Limoges, 2012, p. 191. * 37 ENCINAS DE MUNAGORRI (R.), Introduction générale au droit, 3ème éd., Paris, Flammarion, 2011, p. 217. * 38 L'article 140 de la Constitution du 18 février 2006 est ainsi libellé : « Le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours de sa transmission après l'expiration des délais prévus par les articles 136 et 137 de la constitution. * 39 NGONDANKOY NKOY (P.-G), La liberté de manifestation à l'épreuve des faits, Annales de la Faculté de Droit, Actes de journées scientifiques sur le Thème Droit et Société « ubi societas, ibi jus : ubi jus, ibi societas », du 06 au 07 février 2017, Kinshasa, Ed. DES, octbre 2017, p. 1. * 40 BABINEAU (G.), « La manifestation : une forme d'expression collective », Les Cahiers de droit, 53(4) pp. 761-792. * 41 L'accès au juge et la certitude de son issu sont le gage de l'effectivité du droit de manifester. Dans ce cadre, la nécessité d'une citoyenneté active s'impose. * 42 BENDOUROU (O.), Les publiques libertés entre Constitution et législation, exposé lors d'une conférence à la Faculté de Droit de Souissi-Rabat, 2016. * 43 L'approche top down ou descendante consiste, comme son nom l'indique, en un processus d'analyse évoluant de haut en bas ; en l'espèce l'approche va consister, dans l'analyse de certaines notions, à partir du droit international vers le droit interne. * 44 DENIZEAU (Ch.), Op. cit., p. 25. * 45 L'embrasement de la situation à travers toutes les régions du monde exige un regard global et postule à une étude comparative pour une meilleure explication du phénomène. * 46 In concreto, il s'agissait de démontrer l'incohérence du système juridique de protection du droit de manifester au regard de l'esprit libéral imprimé par la nouvelle Constitution promulguée le 18 février 2006. * 47 YATALA SOMWE, La liberté de manifestation et le régime d'information dans la constitution congolaise, Consulté sur www.droitcongolais.info, Cité par ODIKO LOKANGAKA (C.), Mémoire de DES, Faculté de droit, Université de Kinshasa, 2014, p. 6. * 48 LUNGUNGU KIDIMBA (Tr.), L'exercice de la liberté de manifestation en République Démocratique du Congo, Mémoire de spécialisation en droits de l'Homme, CRIDHAC-UNIKIN, 2012, p. 25. * 49 La pénalisation ici doit être comprise comme étant un mécanisme de renforcement des sanctions, consistant, à l'adoption de sanctions plus fortes et dissuasives comme la révocation ou la déchéance d'une autorité pour entrave à la liberté de manifestation. * 50 DENQUIN (J.-M.), Des droits fondamentaux à l'obsession sécuritaire...remarques conclusives, inJus Politicum, Mutation ou crépuscule des libertés publiques ? Revue de droit politique, Volume III, Paris, Dalloz, pp. 95-100. * 51 NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), La liberté de manifestation à l'épreuve des faits, Op. cit., p. 1. |
|