IV.3.2. Arguments des féministes islamistes pour
le maintien de la loi
Sur le sujet de l'héritage, sujet très sensible
au sein de la société marocaine, les féministes islamistes
appuient l'importance du maintien de cette loi. Elles prônent le cadre
islamique pour le partage de l'héritage. Leur principal argument est
évidemment le Coran, à travers l'exemple suivant: «
Devant la loi divine, l'homme est obligé de prendre en charge les
femmes de sa famille : mères, soeurs, filles, épouses. C'est une
obligation juridique et non un octroi d'aumône alors que cette obligation
ne concerne pas la femme. La part d'héritage de cette dernière
constitue un capital dont elle n'usera que pour ses extras (habits, bijoux,
achats de biens, etc) et non pour le dépenser à ses besoins
primaires. »151. Cependant, pour les féministes
islamistes, il y'a des cas où la part d'héritage d'une femme est
égale ou même supérieure à celle de l'homme.
Le texte coranique est clair et détaillé sur la
succession et l'héritage. Les inégalités sont claires
certes, mais elles sont liées à la période et les
circonstances de vie des arabes et des autres peuples. Ainsi, il est
nécessaire que les textes religieux soient compatibles avec le temps et
non l'inverse. Ne nous pouvons donc pas nier que si les situations historiques
changent, le discours et les textes religieux doivent être
interprétés pour en sortir ce qui est encore applicable et ce qui
peut être changé en fonction de l'époque152.
En clair, il s'agit d'interpréter les textes religieux
selon l'époque. Il n'est pas sans importance de souligner que le courant
chiite par exemple, à l'inverse du courant sunnite malékite
adopte une loi plus égalitaire envers les femmes en matière
d'héritage. Cette loi bien plus égalitaire est notamment
appliquée depuis 1963 en Irak. Celle-ci est appliquée aux deux
communautés qui y vivent: sunnites et shiites153. (Deux
doctrines islamiques (voir Glossaire).
Nous sommes donc forcés de conclure que le
problème des islamistes est que leur discours est passé de
discours de Nahda (renaissance) avec les réformistes fin
19ème siècles vers un discours de Azma (Crise) avec
les fondamentalistes islamistes au début des années
1990154.
IV.3.3.Arguments des féministes universalistes
en faveur du changement de la loi
Les féministes universalistes
représentées par les associations féminines revendiquent
la nécessité de changer la loi sur l'Héritagedu fait que
le Maroc a levé toutes les réserves sur l'article de
151 Explication recueillie de l'entretien avec Mrini Mohammed,
journaliste et chercheur dans la question des mouvements islamistes à
Tanger en octobre 2010.
152 ABOU ZAID, N. (2004), p 122-123 (en arabe)
153 MINCES,J. (1980), p 100.
154 ABOU ZAID, N. (2004), p 40-44 (en arabe)
49
la convention CEDAW qui prône l'égalité en
matière d'héritage .Toutefois, il importe de dire que lors des
entretiens pour la présente recherche, les interviewés n'avaient
aucune idée de l'état d'avancement et de la mise en oeuvre du
contenu de la lettre royale155 daté du 10 décembre
2008 qui ordonne la levé de toutes les réserves sur la convention
CEDAW. Ainsi la présidente de l'association Mains Solidaires pour le
droit à la citoyenneté et à la dignité, Asma
Elbaghdadi explique qu' « il n'y a jusqu'à ce jour, aucune
procédure d'opérationnalisation du contenu de la lettre royale,
ni un communiqué officiel sur le levé des réserves sur la
convention CEDAW »156.
Les féministes universalistes mettent en avant diverses
raisons pour revendiquer le changement de la loi sur l'héritage. En
effet, la situation de la femme au Maroc a tellement changé ces
dernières années. Le changement s'est surtout opéré
au niveau du rôle de la femme dans le foyer. Elles prennent de plus en
plus de place dans la famille. Par exemple, plusieurs chefs de familles sont
des femmes, que ce soit dans le milieu rural ou dans le milieu urbain. On
estime alors qu'entre 1960 et 2000, le nombre de femmes actives est
passé de moins de 1 millions à 2,4 millions157. Parmi
ces femmes actives, la majorité participe aux dépenses
liées aux besoins primaires du ménage. Cette
réalité contredit l'idéologie que le principal chef de
famille est l'homme. Au nord du Maroc, beaucoup de jeunes femmes
célibataires immigrent à Tanger pour travailler dans le domaine
du textile (une de formes d'exploitation des multinationales) dans les zones
industrielles de la ville. La majorité de ces ouvrières prennent
en charge leurs familles restées à la campagne ou dans les autres
villes marginalisées158. En conclusion, l'utilisation de
l'Islam n'est qu'un prétexte qui justifie l'inégalité dans
la loi sur l'héritage.
IV.4. MARGINALISATION AU FEMININ
L'observation des cas de violence des centres d'écoute
d'associations féminines oeuvrant dans la région du Nord a
révélé la tolérance de la société
envers les souffrances des femmes. Ceci montre à quel point, la
société est marquée par les traditions, souvent
très dures. L'approche de la violence basée sur le genre dans la
région montre qu'il existe deux approches contradictoires qui encadrent
les associations féministes islamistes et les associations
féministes universalistes. En effet, le principe de
155 La lettre royale envoyée au conseil consultatif des
droits de l'homme organisé à l'occasion de la déclaration
universelle des droits de l'homme le 10 décembre 2008.
156 L'entretien s'est déroulé le 12 décembre
2010 à Larache.
157ZIRARI, H. (2006), « Femmes au Maroc :
entre hier et aujourd'hui quels changements ? », Critiques
internationales, 77 : 65-80.
158 Les observations personnelles tirées lors de la
période de travail sur terrain, entre 2000 et 2007.
50
complémentarité qu'adoptent les
féministes islamistes entraine une approche à la violence
conjugale très particulière. Ainsi, la présidente de
l'association Mawada estime que l'unité de la famille est l'objectif
primordial de l'association. « C'est pour cette raison que l'on
préfère régler le problème de la violence conjugale
en premier lieu par un dialogue et une tentative de réconciliation entre
les époux, car notre centre est un centre d'orientation familiale. On
travaille alors pour la protection de l'unité familiale et plus
particulièrement quand celle-ci est composée d'enfants afin de
les protéger de vagabondage et de clochardisation qui sont les
conséquences du divorce.».159
Alors que l'approche des associations féministes
universalistes se base sur le principe de l'égalité dans la vie
de couple. Elles mettent en avant le droit de la femme à une vie sans
violence et à la protection de sa personne contre toute forme de
violence. Il importe de rappeler que la déclaration sur
l'élimination de la violence faite à l'égard des femmes
(AGNU)160 de 1993 désigne dans son premier article, le terme
de la violence à l'égard des femmes, comme : « Tout acte
dirigé contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux
femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou
psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la
privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou
dans la vie privée. ». En effet, lors de l'entretien avec la
directrice du centre d'écoute de l'association Mains Solidaires et du
soutien juridique et psychologique, l'association revendiquant son statut de
mouvement féministe universaliste, celle-ci a expliqué que «
la dignité et la sécurité de la femme tant dans la
sphère publique que dans la sphère privée font partie des
droits humains fondamentaux. Ainsi, le travail au sein de notre centre se base
sur les conventions des droits humains de la femme. Les femmes marocaines
mariées, célibataires, divorcées ou veuves ont le droit
à une protection et à la justice de leur droits qui sont garantis
par la législation nationale ou par les conventions internationales
»161.
Le point essentiel qui encadre les travaux au sein des centres
d'écoute est la protection de la femme et la punition de l'agresseur.
Cela pose un gros problème dans l'application des lois marocaines et
plus particulièrement, dans les cas de violences
conjugales162. La directrice du centre CAFMAT163 de
l'association ARFEDEC164 de Tétouan, Mariam Moussa a
insisté sur «l'importance de l'approche genre dans le
traitement des inégalités dont souffrent les femmes au Nord du
Maroc et
159 Entretien que nous avons réalisé avec
réalisé dans le cadre la présente recherche.
160 Assemblée Générale des Nations Unies
161 Entretien réalisé dans le cadre de la
présente recherche.
162 Manque de loi pénalisant la violence conjugale dans le
code pénal marocain
163 Centre d'Assistance pour les Femmes MalTraitées de
l'association ARFEDEC de Tétouan
164 Association de la recherche féminine pour le
développement et la coopération.
51
particulièrement dans la région de
Tétouan »165. De plus, les féministes
universalistes insistent sur le travail de la justice et de la pression qu'il
faut lui mettre pour intégrer la violence conjugale dans le code
pénal mais aussi afin de changer le texte de ce code qui discrimine au
sein même des femmes victimes de violence, ces dernières selon
leur statut social.
Nous avons pu constater l'importance du réseau «
printemps de la dignité » créé par des associations
féminines du mouvement des féministes universaliste à
Rabat, pour les associations féminines locales du Nord.
Zakia ELBaghdadi de l'association Mains Solidaires a
expliqué que:« le réseau du printemps de la
dignité a pour but de changer les dispositions qui réduisent les
femmes à des corps à surveiller, et les privent de leur droit
d'en disposer. Ces dispositions sont différentes, selon que la femme est
mariée ou non, vierge ou non»166. Ainsi, le travail
de plaidoirie est plus que nécessaire dans le cadre du partenariat et de
réseautage. Le mouvement féministe universaliste du Nord est
aussi engagé dans le cadre du Réseau ANARUZ167.
Il est primordial de remarquer que la violence basée
sur le genre est devenue plus visible pour la combattre. Nous nous devons
souligner qu'il existe d'autres catégories de femmes
marginalisées au Maroc. Malheureusement, la loi du silence telle qu'elle
est appliquée dans la société traditionnelle, maintient
ces femmes dans l'obscurité et dans une souffrance profonde, une
souffrance silencieuse. De fait, dans une société qui se
transforme mais qui vit toujours entre la modernité et les traditions,
le célibat est mal vécu pour les femmes. C'est pourquoi, les
structures juridiques politiques et sociales de la société, ne
permettent pas à la femme célibataire, divorcée,
mère célibataire, prostituée ou femme abandonnées
d'avoir une place digne puisqu'elle n'a de véritable statut que
lorsqu'elle est mariée ou mère168.
En tout cas, la double marginalisation de ces femmes est le
résultat d'une structure politique et sociale créée par
l'Etat qui se désengage complètement de sa responsabilité
à l'égard de ces femmes laissées sur les bans de la
société. En effet, celui-ci féminise la pauvreté,
refuse de subvenir aux besoins fondamentaux de ces victimes d'une
société machiste. Sans oublier que l'Etat est également
responsable de l'échec de la majorité des projets de
développement mis en place par les associations en collaboration avec
des bailleurs de fonds.
165 Entretien avec la directrice du centre et la
présidente de l'association ARFEDEC le 7 janvier 2011
166 Entretien avec directrice de centre d'écoute de
l'association mains solidaires le 18 novembre 2010.
167 Nom en amazight qui désigne Lumière,
(Réseau national des centres d'écoute des femmes victimes de
violence crée le 24 avril 2004 à l'initiative de 19 associations
des différentes régions du Maroc.
168 COMBE, J. (2001), p 120-121.
52
La question de la professionnalisation et du financement des
associations féminines au Nord du Maroc a été à
l'ordre du jour de diverses discussions avec leurs membres (responsables,
fonctionnaires, bénéficiaires). Aussi, lors des entretiens avec
les fonctionnaires et les responsables d'associations du mouvement
féministe universaliste, un sentiment de déprime est ressenti au
vu des problèmes que rencontrent ces dernières au quotidien pour
mener à bien leurs projets.
Par ailleurs, il importe de dire que le travail de terrain de
ces associations a été « un palliatif au
désengagement de l'Etat »169. Cependant la
tâche est lourde pour les associations féministes. En effet, le
désengagement de l'Etat a poussé les associations
féministes à mettre en place des projets contribuant à
aider les femmes pauvres à surmonter les difficultés
financières et sociales du quotidien. Par conséquent, cet
engagement a entrainé un recul au niveau du combat de ces associations
pour la défense des femmes au niveau juridique. L'idée de mettre
la pression sur la justice pour changer les lois discriminatoires à
l'égard des femmes a été peu à peu
abandonnée. Cependant, les projets des associations ont contribué
à absorber les chômeurs diplômés
particulièrement au sein des femmes universitaires. Paradoxalement, la
nature des projets à durée déterminée sur lesquels
travaillent les jeunes diplômés n'offre à ceux-ci qu'une
phase de transition dans l'attente d'un poste au sein d'une administration
publique. Ainsi les associations ne forment pas de cadres dont le but serait de
s'investir à fond dans une association mais dans le but de renforcer au
maximum, leurs capacités institutionnelles. Donc, nous pouvons en
conclure que, les associations sont toujours en manque de ressources humaines
et de volontaires.170
|