Introduction
Afin d'introduire ce sujet, il convient d'expliquer le choix
et la motivation qui m'a animé tout au long de l'année. D'abord
l'enthousiasme ; le football est un sujet qui me passionne depuis toujours et
l'étude de son modèle économique représentait pour
moi une formidable opportunité de recherche. Ensuite d'un point de vue
professionnel ; mon objectif à terme est de travailler dans l'industrie
du sport et spécifiquement dans le football, ce mémoire fait donc
office de première expérience sur la question.
Au-delà du football et des matches en eux-mêmes,
le véritable axe de recherche de ce mémoire se concentre sur le
côté business de cette industrie du divertissement et du
spectacle. Le football a connu de nombreuses mutations depuis la
création du premier club professionnel en Angleterre. Il est devenu une
véritable industrie générant des milliards d'euros chaque
saison. Les clubs sont devenus des entreprises voire même des
multinationales pour certains. Les modèles économiques ont
évolué, les acteurs aussi. La grande popularité de ce
sport à l'échelle internationale a provoqué
l'arrivée de nouvelles parties prenantes, entrainant de profonds
changements. Il a fallu aux clubs une grande adaptation pour répondre
aux nouveaux besoins de cette nouvelle industrie. C'est ce que nous allons
tenter de décrire dans ce mémoire en s'appuyant sur le cas de
l'Olympique Lyonnais, club symbolique de cette nouvelle ère par sa
gestion et l'audace de ses choix.
Nous nous attacherons donc à comprendre comment adapter
la gestion et la stratégie d'un club professionnel aux nouvelles
exigences du football européen.
Pour y répondre, nous analyserons dans un premier temps
l'évolution de l'industrie footballistique en Europe et plus
spécifiquement son passage d'une ère industrielle à une
ère financiarisée au travers de la revue de
littérature.
Ensuite, nous étudierons la gestion d'un club de
football français. Pour ce faire, il conviendra d'analyser les
spécificités du football français avant de se pencher sur
la gestion des activités sportives.
Enfin, nous nous concentrerons sur le cas de l'Olympique
Lyonnais, pour comprendre le modèle économique mis en place par
Jean-Michel Aulas et les résultats de celui-ci.
7
1. Le passage d'une ère industrielle à une
ère financiarisée du football
1.1. Le passage à un modèle
d'économie de marché
1.1.1. D'associations à sociétés
commerciales : l'évolution juridique des clubs français
Depuis la création en 1863 de la Football
Association à Londres qui a marqué l'unification du
règlement, le football a connu de nombreuses révolutions. Cette
rencontre entre les différents clubs londoniens scelle la
séparation entre le football et le rugby.
Avant de devenir le sport le plus populaire au monde, un des
premiers faits marquants fût la professionnalisation du football permise,
encore une fois par les anglais en 1885. Les premières intentions furent
motivées par la volonté des instances d'éviter les
scandales liés aux rémunérations illicites des joueurs
amateurs par les clubs. Avec le statut professionnel, les joueurs pouvaient
être rémunérés légalement par les clubs qui
avaient très tôt perçus les gains potentiels d'une
activité comme le football.
Dès lors, les Anglais tentent d'exporter ce sport
à travers le monde et c'est - paradoxalement lorsque l'on connait le
contexte depuis - aux États-Unis que sera créée en 1894 la
première ligue professionnelle hors des frontières britanniques.
Plusieurs problématiques institutionnelles et financières
viendront sceller le sort de la « American League of Professional Football
» dès la saison suivante.
Entre temps, des Britanniques travaillant au port du Havre
entament la création d'un club en France : le Havre Athletic Club
devient ainsi le premier club de football français en 1872. La
professionnalisation du football français a été
entérinée en 1932, après la vague qui a commencé
par toucher les pays de l'Est et du Sud de l'Europe ainsi que ceux
d'Amérique du Sud (« la Tchécoslovaquie en 1925, l'Autriche
en 1926, la Hongrie en 1926, l'Espagne en 1929, l'Argentine en 1931, le
Brésil en 1932, le Chili en 1933 et le Portugal en 1934
»1) Les pays du nord de l'Europe entameront ce processus
après la Seconde Guerre Mondiale (« les Pays-Bas en 1954,
l'Allemagne en 1963, la Belgique en 1974, le Danemark en 1985, la Finlande en
1990 et la Norvège en 1992 »).
1 Drut B., 2011, Économie du football
professionnel
8
Ce passage au professionnalisme n'a été suivi
que par très peu de clubs qui passèrent le cap, essentiellement
à cause des rémunérations que le statut induisait. Ainsi,
très peu de clubs connurent le professionnalisme avant la
création du Groupement des Clubs Autorisés, l'ancêtre de la
Ligue de Football Professionnel (LFP). Cet organisme avait notamment pour
mission de sélectionner les clubs qui auront droit au statut
professionnel. Cet autoritarisme sera levé en 1970 lorsque le seul
déterminant pour le passage du statut amateur à professionnel
sera le critère sportif.
Cette démocratisation du statut professionnel
donné aux clubs a entrainé des changements de cadre juridique.
Initialement, les clubs de football en France sont
juridiquement considérés comme des « associations à
but non lucratif ». De nombreuses évolutions juridiques ont
été menées durant les décennies 70 et 80, pour au
final permettre aux clubs de rester des associations à statuts
renforcés. Ces lois ont permis aux clubs d'adopter des statuts avec des
particularités juridiques qui ont pris fin en 1999, avec un texte qui
abrogea ces statuts. Ce changement de législation engendre une
transformation amorcée auparavant, qui voit les clubs adopter un
modèle qui se rapproche d'un fonctionnement capitaliste.
Depuis 1999, quasiment tous les clubs de Ligue 1 et Ligue 2
ont adopté le statut de Société Anonyme Sportive
Professionnelle (SASP). Ce statut d'exception a été
créé dans l'objectif de permettre aux clubs d'avoir plus de
flexibilité. En effet, les deux autres statuts autorisés pour les
clubs professionnels - à savoir l'entreprise unipersonnelle sportive
à responsabilité limitée (EUSRL) et la
société anonyme à objet sportif (SAOS) - ne leur
permettent « ni de verser des dividendes, ni de rémunérer
leurs dirigeants ». Ces deux facteurs apparaissent aujourd'hui
obsolètes au vu de l'évolution et de la professionnalisation du
secteur.
Le statut SASP est donc plébiscité par la grande
majorité des clubs professionnels français, qui se voient ainsi
donner plus de flexibilité, notamment en ce qui concerne l'accès
au capital, qui est libre. Cette forme juridique s'est progressivement
répandue afin d'apporter une réponse plus adaptée aux
nouveaux besoins de financement des clubs. Les investisseurs ont ainsi la
possibilité d'acheter des actions du club et obtenir les droits sociaux
en conséquence. Avant la création de ce statut, la recherche
d'investisseurs était difficile pour les clubs français car tous
les bénéfices découlant des activités d'un club
devaient obligatoirement « être affectés à la
constitution de réserves qui ne [pouvaient] donner lieu à aucune
distribution » 2. Les
2 Loi du 16 juillet 1984
9
investisseurs privés n'avaient donc pas ou très
peu d'arguments pour investir dans un club. De plus, la
rémunération des dirigeants a été rendue possible
avec cette évolution. En effet, auparavant, les dirigeants de chaque
club étaient considérés comme bénévoles.
Sachant que la gestion d'un club professionnel est un métier à
part entière, il était difficile pour ces dirigeants de
s'investir pleinement sans percevoir de rémunération. Cette
question a donc évolué avec l'objectif d'attirer des dirigeants
plus compétents et ainsi amener une gouvernance et une gestion plus
rationnelles. Ces transformations règlementaires ont été
menées dans l'objectif de permettre aux clubs de répondre plus
efficacement aux exigences nouvelles d'un football européen de plus en
plus concurrentiel. Il ne manquait alors qu'une étape pour faire
basculer le football français en pleine économie de marché
: la possibilité d'introduction en bourse des clubs. Ce fut chose faite
en janvier 2007 avec une loi permettant la cotation boursière des clubs
sportifs, sous quelques réserves « l'acquisition d'actifs
destinés àÌ renforcer leur stabilité et
leur pérennité, tels que la détention d'un droit
réel sur les équipements sportifs utilisés pour
l'organisation des manifestations ou compétitions sportives auxquelles
elles participent ».3 Les clubs qui veulent tenter l'aventure
doivent ainsi justifier une volonté d'acquérir des actifs
tangibles, notamment un complexe sportif, ce qu'a mis en pratique l'Olympique
Lyonnais par exemple.
Le statut juridique des clubs à travers l'Europe suit
des cadres législatifs très similaires aux sociétés
anonymes classiques, avec quelques spécificités
régionales. Un rapide tour d'horizon sur l'évolution des statuts
des quatre grands championnats européens permet de distinguer ces
subtilités.
En Italie, les clubs ont le statut équivalent de celui
de « Société Par Action » (« societa per
azioni »), à la nuance près qu'ils ont obligation de
réinvestir les bénéfices de l'exercice dans le
développement du sportif du club.
Ce même modèle (SPA) est suivi par les clubs
anglais dès le début du XXe siècle. La seule
différence avec le fonctionnement italien intervient dans la
redistribution des bénéfices sous forme de dividendes : les
organisations anglaises ont plafonné ces indemnités à 15%
de la hauteur des bénéfices.
Concernant l'Espagne, la structure actuelle de quasiment tous
les clubs professionnels (à l'exception de 4 clubs pour lesquels nous
reviendrons plus tard) est la conséquence d'une crise
3 Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006
10
financière qui toucha les clubs espagnols au cours des
années 1980. Les déficits étaient tels qu'il a
été imposé aux clubs l'adoption d'un statut très
proche des SASP françaises en 1990 ; les « Sociedad anonima
deportiva ». Seuls quatre clubs ne bénéficient pas de
ce statut : le Real Madrid, le FC Barcelone, l'Athletic Bilbao et Osasuna. Ces
derniers ont la particularité d'avoir pu garder leur statut
précédent car ils étaient les seuls à ne pas
présenter de déficits entre 1985 et 1990. Ils sont
considérés comme des sociétés civiles sans but
lucratif. Il est donc impossible pour un investisseur d'en devenir
propriétaire en rachetant les parts ; le club appartient donc aux «
socios », des membres qui payent une adhésion annuelle. Cette
dernière permet aux à ces adhérents de jouir d'un pouvoir
de décision et élisent tous les deux ans et demi le
président du club.
Enfin, le modèle allemand s'apparente à une
sorte de variante édulcorée de ce qui est pratiqué par les
quatre clubs espagnols cités plus haut. Ainsi, les membres de
l'association gardent 50+1% des droits de vote ; un investisseur privé
ne peut donc pas détenir plus de la moitié du capital-actions du
club et en devenir le propriétaire. Seules exceptions en date : le Bayer
Leverkusen et VFL Wolfsburg qui ont respectivement été
fondés par les groupes Bayer et Volkswagen.
Il est dont aisé de constater qu'au fil des
époques, la volonté de chacun fut de faciliter le passage d'un
modèle associatif à un modèle libéral, où
l'économie de marché prédomine. Cela a eu pour effet de
professionnaliser la gestion et la gouvernance des clubs concernés, qui
sont devenus de vraies entreprises, au point de devenir pour certains de
véritables multinationales. Une autre conséquence de ces
mouvances se trouve dans la modification des structures actionnariales
constatée dès lors.
A l'origine de la professionnalisation du football, nombre de
clubs étaient implantés dans des bassins industriels. Ce
phénomène est présent aussi bien en Europe qu'en France
où l'on peut constater de grands clubs actuels basés dans des
villes industrielles (Manchester, Liverpool, Dortmund, Turin ...). Des clubs
très importants du paysage footballistique français prennent
également racine au sein de régions industrielles et
étaient liés étroitement à de grandes entreprises ;
le club de l'A.S Saint-Etienne a été fondé en 1933 par le
Groupe Casino, le F.C Sochaux-Montbéliard est le fruit de la
création du Groupe Peugeot, tout comme le RC Lens qui provient de la
compagnie des mines de Lens.
11
Ces entreprises n'avaient pas la possibilité
d'être les propriétaires de ces clubs officiellement.
Néanmoins, il était aisé pour ces dernières de
subventionner à souhait les clubs et donc en détenir le
contrôle implicitement. Ainsi, au fur et à mesure des
évolutions juridiques évoquées ci-dessus, les entreprises
ont pu devenir propriétaires de ces clubs, et nombre d'entre elles n'ont
pas hésité à entrer au capital des clubs. Les motivations
des compagnies en question sont souvent d'associer leur image à un sport
populaire.
Plus tardivement (années 1990), il y a eu une vague de
rapprochement entre clubs et chaines de télévision. En effet, ces
deux parties prenantes sont étroitement liées car le secteur de
l'audiovisuel a rapidement compris les potentiels revenus que pouvaient
générer les retransmissions des matches. Les diffuseurs ont tout
intérêt à ce que les clubs soient les plus attractifs
possibles : il est donc dans leur intérêt d'investir des sommes
importantes pour booster les revenus des clubs. Le football est devenu un
générateur d'intérêts puissant pour les diffuseurs,
qui considèrent alors les clubs comme les « producteurs de contenu
télévisé » diffusé sur ces chaines de
télévision. C'est pourquoi des diffuseurs ont même
été jusqu'à rentrer au capital de certains clubs ; cela a
été le cas pour Canal + qui a investi dans le PSG pour en devenir
le propriétaire de 1991 à 2006 et du groupe M6 qui a
racheté le club des Girondins de Bordeaux en 1999 avant de le
céder au fonds d'investissement General American Capital Partners. Par
ailleurs, le cas particulier du groupe BeIn Media Group est très
intéressant ; ce dernier est devenu l'un des diffuseurs importants des
compétitions européennes à travers l'Europe,
propriété de l'État Qatari dont le PDG n'est autre que
Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG. Nous reviendrons dans la
section ii. Une financiarisation du football sur le
phénomène des droits TV.
Le développement et la professionnalisation du football
en Europe a pris ses racines durant l'âge industriel, pourtant les
évolutions marquées par une libéralisation de notre
économie à toutes les échelles marque s'inscrivent dans la
financiarisation. Tout ceci couplé aux récentes évolutions
juridiques concernant les statuts des clubs en France, qui a eu pour
conséquence une augmentation des capitaux dans les clubs. En effet, la
facilitation pour les investisseurs de s'immiscer dans les clubs a eu pour
effet une financiarisation des structures.
12
|