La MONUSCO dans le résolution des conflits: entre contestation locale et légitimation globalpar Bernard POPO-E-POPO Université Paris 8 Vincennes Saint Denis - Master 2 2020 |
3. La fabrique de normes et la sécurisation foncièreAu regard de ce que je viens d'évoquer précédemment, il convient de souligner que le recours à la violence armée est le point central de tensions foncières et qu'il est intéressant de s'accrocher sur cet aspect pour comprendre en quoi cette violence participe à la fabrique des normes dans la sécurisation frontière. En effet, il importe de préciser également qu'à l'Est de la République Démocratique du Congo tout comme dans quelques autres provinces du pays, les jeunes sont souvent armés par les leaders ethniques. Ce qui crée parfois des tensions intercommunautaires autour du pouvoir local et des ressources naturelles. Il s'agit très souvent de tensions qui ont pour objectif la défense du territoire ethnique et la lutte contre toute forme d'agression étrangère. Très souvent, les milices armées se présentent comme étant les défenseurs de revendications ethniques. Mais paradoxalement, l'on constate aussi que même au sein d'une même communauté ethnique, il y a des groupes qui se forment pour sécuriser le pouvoir et la terre clanique. À travers nos entretiens, il ressort qu'au-delà de la sécurisation des terres, les jeunes qui sont généralement 101 Ibid., p. 56. 102 Cfr. Mugangu Matabora, S., « La crise foncière à l'est de la RDC ». In Marysse, S., Reyntjens, F. & Vandeginste, S. (Eds.), L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2007-2008 (385-414). L'harmattan, 2008. 47 en collaboration avec les groupes armés s'appliquent avec constance aussi à des actes de violence, de pillage. D'autres deviennent des coupeurs de routes et font parfois des enlèvements contre rançon. Dans un entretien réalisé par M'munga Assumani en 2016 avec l'un des acteurs de terrain, un habitant témoignait : « Le 10 mars 2016, les milices armées des Banakyoyo sont venues voler mes vaches chez moi, dans la clôture, à 21 heures. Je leur avais donné 1 150 dollars américains pour restituer 7 vaches sur 17 volées »103. M'munga Assumani lie directement le vol de bétail au conflit dans le sens que l'homme à qui appartenait ce bétail était l'un des proches collaborateurs de la nouvelle élite locale au pouvoir à Nyakabere I. Il fait remarquer que ces milices ne vivent pas de la sécurisation foncière de leurs terres, car leurs clans ne prévoient aucun salaire pour les motiver. Du coup, ils pillent les ressources économiques de la population pour satisfaire leurs besoins de premières nécessités104. L'analyse de M'munga Assumani rejoint celle de chercheurs comme Hugon (2009), Jacquemot (2009), Pourtier (2012) Van Acker et Vlassenroot (2001) y compris Jean-Claude Willame (2010) qui, pour eux, focalisent leur idées sur le rapport entre ressources naturelles, violences armées et économique politique de la guerre lorsqu'ils montrent, comme je l'ai évoqué au point précédent, que les forces armées officielles et non officielles sont impliquées directement ou indirectement dans l'accumulation des ressources économiques par les violences armées à l'Est de la République Démocratique du Congo. D'ailleurs pour M'munga Assumani, « l'Est du pays est un noeud gordien où les seigneurs des guerres s'enrichissent par les pillages des ressources naturelles »105. Roland Marchal et Christine Messiant quant à eux considèrent ces « seigneurs de guerre » comme de nouveaux entrepreneurs et des grands prédateurs qui ne luttent pas pour le pouvoir mais qui font la guerre pour la guerre106. La particularité du travail de M'mungana est qu'il met en lumière les rapports de collaboration entre les milices armées claniques et d'autres groupes armés dans les actions inhérentes aux pillages de ressources économiques des autres clans avec lesquels ces milices se trouvent en compétition d'accès au pouvoir local. Les acteurs des conflits agissent de façon stratégique pour sécuriser leurs territoires. En effet, lorsque les acteurs locaux recourent à la violence armée des milices comme mode de 103 Cfr. François M'munga Assumani, « Mobilisation de la violence armée dans la sécurisation foncière », Op. Cit. p. 66. 104 Cfr. François M'munga Assumani, Op. Cit., p. 66-67. 105 Ibid., p. 67. 106 Cfr. Roland Marchal & Christine Messiant, « Les guerre civiles à l'ère de la globalisation. Novelles réalité et nouveaux paradigmes », In Critique internationale, 2003, 18 (1), p. 91-112. https://doi.org/10.3917/crii.018.0091 . 48 gouvernement du foncier dans l'objectif de sécuriser leurs terres, ils agissent en mettant en place des stratégies. L'une des stratégies mises en place est le recours aux appels et messages téléphoniques pour menacer et intimider. Il y a également des tirs à balles réelles, les enlèvements, les visites improvisées sur les champs et les parcelles. Du coup, ces différentes stratégies ont un rôle important dans la mesure où elles permettent à certains acteurs locaux de continuer à exploiter la terre sous la conduite des milices armées. On peut considérer la sécurisation foncière par la violence armée comme étant relativement instable dans la mesure où elle n'a aucune garantie à long terme. Tout semble être provisoire et le risque de tomber dans la violence est permanent. On se rend également compte que les milices armées jouent parfois un rôle important dans la régulation de la société, notamment en matière foncier. Dans ses travaux réalisés en 2013, Janson Stearns souligne que certains groupes armés exercent un large contrôle politique et économique sur leurs fiefs locaux et sont peu enclins à abandonner le pouvoir à l'Est de la République Démocratique du Congo107. Certaines études, en l'occurrence celles de Mathys Gillian et Vlassenroot Koen108 soulignent qu'un grand nombre de litiges fonciers ne sont pas une question de terres comme on le croirait généralement, mais plutôt une manifestation de la crise du gouvernement qui règne dans cette partie de la République109. Au regard de ce qui précède, il parait intéressant de montrer les relations qui existent entre clans, milices armées et Armée nationale, y compris les rapports qu'entretiennent les populations avec l'État. En effet, l'on remarque que les rapports entre clans sont souvent marqués par la compétions et les luttes autour de l'accès au pouvoir clanique et l'accès à la terre. Ainsi, ces luttes finissent généralement par la violence ou même l'extrême violence. Dans cette perspective, le vivre ensemble devient problématique. Concernant les relations entre les milices et l'armée nationale, M'munga Assumani à travers deux études de cas au sein du clan des Bahembwe, montre qu'elles sont dans l'ordre de compétitions armées ou de guerre110. Dans ce cas d'espèce, on voit intervenir une pluralité d'institutions et d'acteurs qui se manifestent à travers un « forum shopping » armé dans la mesure où les acteurs ont recours aux milices armées et les autres recourent à l'armée nationale pour sécuriser leurs terres. Ce qui convient en outre de souligner, c'est le fait que dans le cadre de régime foncier coutumier ou national, il 107 Cfr. Janson Stearns, Judith Verweijen, & Eriksson Baaz, Armée nationale et groupes armés dans l'est du Congo : trancher le noeud gordien de l'insécurité, Rift Valley Institute, 2013. 108 Koen Vlassenroot, Sud-Kivu Identité, territoire et pouvoir dans l'est du Congo, Rift Valley Institute, 2013. 109 Gillian Mathys et Koen Vlassenroot, « Pas juste une question de terre » : litiges et conflit fonciers dans l'est du Congo, RIFT Valley Institute PSRP Briefing 14, Octobre 2016. 110 François M'munga Assumani, « Mobilisation de la violence armée dans la sécurisation foncière. Cas de la plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu en République démocratique du Congo », Op., Cit., p. 68. 49 n'est pas prévu de mobiliser l'armée nationale. Les chefs coutumiers ou même les conservateurs de titres immobiliers suffisent pour gérer simplement la terre au niveau local. Par contre, l'armée nationale peut intervenir lorsque les acteurs locaux recourent aux armes blanches et/ou aux armes feu dans l'accès à la terre. M'munga Assumani souligne également que même certains acteurs économiques possédant des certificats d'enregistrement s'encapèrent des terres paysannes dans la plaine de la Ruzizi et font souvent, de façon illégale, appel à l'armée nationale pour faire face à la résistance des paysans qui refusent de céder leurs terres111. Quant aux rapports des populations à l'État, certaines franges de la population estiment qu'à l'Est de la République Démocratique du Congo, les populations se voient déconnectées de l'État suite à la confusion qui règne dans la gouvernance foncière locale par une diversité d'instances et d'acteurs en la matière. Cette confusion est souvent justifiée au regard de la recrudescence des groupes armés locaux, burundais et rwandais ; les actions terrorisantes de la police nationale et de l'armée ; l'insécurité galopante ; les tueries des masses et quasi quotidiennes des habitants ; les enlèvements contre rançon. Toute cette chaine de violence a comme conséquence l'abandon de certains villages par la population à cause de l'insécurité. Par ses services au niveau local, « l'État congolais est qualifié par la population comme un état absent, violent, post-souverain, fragile et qui a failli dans la vie sociopolitique »112. En fait, en parlant de l'absence de l'État, il ne s'agit pas de soutenir ici l'idée d'un État inexistant, mais bien plus d'un État incapable de protéger ses populations éprises du désir de paix. Le sentiment d'absence de l'État est généralement entretenu en raison de la régularité de meurtres et de la banalisation de la violence ; cette violence qui est devenue le mode de vie pour la survie. La violence a radicalement remplacé les valeurs du dialogue et de la palabre africaine qui ont jadis orienté des peuples dans la résolution des conflits ; conflits qui, à nos jours divisent les populations pourtant obligées à cohabiter dans un destin commun. La permanence de l'instabilité remet en cause la nation même de la souveraineté de l'État congolais. Classé dans la catégorie des états fragiles et faillis113, l'État congolais ne rassure plus ses populations, notamment celles de l'Est de la république. La porosité des frontières, la crise de l'autorité de l'état et l'exploitation illicite et illégale des matières premières dans la violence ont donné lieu à l'émergence des nouvelles théories, nomment celle de minerais de guerre que j'aborde dans le point ci-dessous. 111 Ibid., p. 69. 112 François M'munga Assumani, « Mobilisation de la violence armée dans le sécurisation foncière... », Op. Cit. p. 69. 113 Pascal Boniface, La géopolitique. 48 fiches pour comprendre l'actualité, Paris, Eyrolles, 2018, p. 59. 50 |
|