1. Enjeux de conflits à l'Est de la RD Congo
Les conflits et violences qui affectent la République
Démocratique du Congo sont liés à plusieurs enjeux. Roland
Pourtier étudie ces conflits à partir des enjeux miniers. Il
souligne trois raisons principales qui sont à la base de conflits
surtout dans le Nord et le Sud-Kivu73. La première raison est
directement est celle de la terre. L'est du Congo est une région de
hautes terres qui est très convoitée en raison de son aptitude
agro-pastorale. C'est un espace qui a plusieurs horsts et volcans. La
deuxième raison est celle de la proximité ou ce que j'appellerai
voisinage. Il s'agit en fait de territoires qui ont été
entraînés dans ce que Pourtier appelle « la guerre des Grands
Lacs par un phénomène mécanique de proximité
»74. Étant proche du Rwanda, ces régions n'ont
pas résisté à l'exportation des conflits rwandais qui ont
conduit au génocide des Tutsis. La troisième raison est celle des
mines. Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu sont des régions où il existe
plusieurs mines. Ces ressources minières ont été
exploitées depuis l'époque coloniale et elles ont
été fortement valorisées par le « boom du tantale au
tournant du militaire : la columbo-tantalite (« coltan »)
»75. Il s'agit donc d'un minerai qui est devenu
stratégique depuis l'explosion du téléphone portable dont
le tantale est l'un des composants irremplaçables76.
À partir de ces trois raisons, il y a lieu de constater
le caractère multidimensionnel des enjeux de conflits dans les
régions du Kivu. Ce qui alimente la guerre à l'est du pays c'est
bien précisément la conjugaison de ces différents enjeux.
Du coup, la résolution des conflits devient complexe. Plutôt que
de parler de « guerres de ressources » comme certains le pensent,
Roland Pourtier ainsi que Philippe De Billon, cherchent plutôt à
comprendre cette multiplicité de violences et conflits. Pour Philippe De
Billon, le contrôle des ressources, de leurs territoires et des
réseaux de commercialisation influencent les stratégies des
groupes armés, le déroulement des conflits et leur
résolution. Toutefois pour lui, qualifier ces conflits de « guerres
de ressources » motivées par la cupidité de combattants est
simplificateur. Il faudrait plutôt prendre en compte autant
d'éléments majeurs, notamment les intérêts
commerciaux des étrangers, le contexte de dépendance
vis-à-vis des matières premières, débouchant
parfois sur « une déliquescence des États
»77. En effet, l'importance du contrôle de ressources,
écrit
73 Roland Pourtier, « Les enjeux minier de la guerre au
Kivu », in Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde,
Armand Colin, 2016, p. 249 à 261.
74 Ibid., p. 250.
75 Ibid.
76 Ibid.
77 Cfr. Philippe Le Billon, « Matières
premières, violences et conflits armées », in Revue
Tiers Monde, Armand Colin, 2003/2 n°174, pages 297 à 321.
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Philippe Le Billon, a souvent eu un impact direct sur les
zones de déploiement et l'intensité des groupes
armés78. Pour lui, le groupes rebelles cherchent à
établir des bases solides ou des zones de forte insécurité
dans les régions de production ou sur les itinéraires de
transport. Dans ce sens, les troupes du gouvernement essayent de manière
générale d'empêcher ceci par des mesures de
contre-insurrection à l'encontre des populations civiles qui sont
déplacées vers des zones de regroupements sous surveillance. Dans
la plupart des cas, malheureusement, les troupes du gouvernement s'associent au
pillage. Un des rapports des experts de l'ONU, connu sous le nom « Rapport
Mapping »79 qui traitent de crimes de violation de droits de
l'Homme et de crimes contre l'humanité commis en République
Démocratique du Congo aborde cette problématique. Il y a parfois
une ambiguïté dans l'effet global des ressources naturelles.
Plutôt que de servir au bien-être de la population, les ressources
minières à l'est de la République Démocratique du
Congo servent plutôt à l'intensification des confrontations au
niveau des zones économiques. Comme écrit Philippe De Billon,
« si les revenus de ces ressources permettent d'augmenter l'armement
et le recrutement des groupent armés, le peu d'affrontement opposant les
belligérants reflète parfois paradoxalement leurs
préoccupations commerciales »80. Dans cette
perspective, on a parfois l'impression que dans les conflits qui rongent la
République Démocratique du Congo, les différents acteurs
qui tirent profit de la situation ne souhaiteraient changer le statu
quo.
Pour Roland Pourtier, l'évaluation de l'impact des
enjeux miniers sur les conflits en République Démocratique du
Congo ne peut s'apprécier qu'à partir d'un contexte. En effet,
à l'Est de la RDC, « la guerre - qui pour être dite de
`'basse intensité» n'en est pas moins très destructrice -
s'est installée dans la durée parce qu'elle traduit des tensions
structurelles extrêmement fortes »81. Pour parler des
enjeux des conflits à l'Est du Congo, Jean-Claude Willame82
parle du paradigme de la « salle climatisée » et de la «
véranda ». Ces termes sont évoqués pour
désigner les deux lieux de pouvoir où se discute, se donne
à voir et se gère le conflit du Kivu. Il entend par la «
salle climatisée » le site symbolique du pouvoir officiel, à
savoir des chancelleries et des conférences internationales. Par la
véranda, il fait l'analogie avec le site des rencontres et du pouvoir
informels. Du coup, il soumet l'instabilité liée à la
guerre
78 Ibid., p. 309.
79 Nations Unies, Rapport du projet Mapping concernant les
violations les plus graves de droits de l'homme et du droit international
humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la
République démocratique du Congo, Août 2010.
80 Philippe Le Billon, « Matières premières,
violences et conflits armés », Op. Cit., p. 309.
81 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au
Kivu », Op. Cit. p. 2049-250.
82 Cfr. Jean-Claude Willame, « La guerre du Kivu. Vue de
la salle climatisée et de la véranda », In Politique
étrangère, 2010/3 Automne, pages 678 à 706.
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au Kivu à cette double perspective de la véranda
pour montrer des « dimensions aussi surprenantes qu'oubliées
d'un affrontement qui ne veut pas finir »83.
Les enjeux politiques de la guerre au Kivu ne peuvent
être compris, selon J.-C Willame, qu'en restituant une dimension
historique à cette guerre, dimension trop souvent méconnue, y
compris par ceux qui sont censés y mettre fin. En revisitant l'histoire,
il montre comment les déplacements de populations à
l'époque coloniale ont abouti aux premières violences entre
rwandophones dès les premières années de
l'indépendance de la République Démocratique du Congo.
Pour lui, même si ces violences ont laissé une marque
indélébile, elles n'ont guère eu de visibilité dans
le « désordre généralisé qui s'est
emparée du pays entre 1960 et 1964 »84. L'antagonisme
entre rwandophones et allochtones mis en avant par certains chercheurs, n'est
donc pour lui que le résultat de l'intrusion brutale de près d'un
million de Hutus au Kivu après le génocide rwandais, mais plonge
plutôt ses racines dans « une compétition forcenée
et de longue durée »85. Pour lui, la richesse des
hautes terres volcaniques, le surpeuplement des pays voisins et la formation
d'une bourgeoisie latifundiaire dans les années 1970 ont provoqué
des émotions meurtrières limitées dans le temps et dans
l'espace. Il note à titre d'exemple les massacres anti-tutsis auxquels
répondent la révolte dite « Kinyarwanda » en 1965,
guerre de Walikale en 1993. Ces massacres ont donc forgé ce qu'il
appelle « des identités meurtrières » qui
n'hésitent pas à manipuler la loi sur la nationalité
à des fins d'exclusivité foncière86. C'est dans
cette perspective de guerres paysannes que s'inscrit les guerres d'État
des années 1990. Il y a lieu de constater ici un système
d'emboitement des conflits où plusieurs petites guerres se
déroulent au sein d'une grande guerre et que Jean-Claude Willame appelle
« première guerre africaine »87. Pour lui, cette
première guerre est celle du Rwanda qui part à la poursuite de
génocidaires réfugiées au Kivu. Cette poursuite des
génocidaires dans le Kivu se transforme avec
Laurent-Désiré Kabila en guerre de succession du régime de
Mobutu comme je l'ai montré plus haut, puis lors d'un revirement dont
l'histoire a le secret, en une guerre sur le territoire congolais mettant aux
prises sept pays africains et deux anciens alliés devenu ennemis,
à savoir le Rwanda et l'Ouganda88. Ce que l'on retient dans
cet évènement, c'est que les guerres d'État ont ainsi
laissé place à un système de « Seigneur de guerre
» qui continue à semer de la terreur jusqu'à nos jours, mais
sous d'autres formes. Les conflits du Kivu a fait intervenir plusieurs
83 Ibid., p. 695.
84 Ibid., p. 695.
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Ibid.
88 Cfr. Ibid.
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acteurs pour tenter de les résoudre. De l'accord de
Lusaka en 1999 à la crise de Goma en 2008, l'Organisation des Nations
Unies, l'Union africaine, la Communauté de développement
d'Afrique australe, l'Union européenne, ont ainsi tenté
d'intervenir pour résoudre ces conflits sans réussir à
orienter de manière décisive, s'il faut reprendre l'expression de
J.-C. Willame « la logique de véranda
»89.
L'histoire des initiatives de paix est celle d'une rencontre
constamment manquée entre la logique de la salle climatisée et
celle de la véranda. J.-C. Willame observe et décrypte pendant
plusieurs années les opérations de maintien de la paix. Le cas du
Kivu servira ainsi pour lui, de façon successive, de laboratoire
à une laborieuse politique européenne, de critère du
maintien de la paix à la mode onusienne, d'impasse existentielle pour
l'aide au développement, et de lieu d'externalisation de querelles
belgo-belges qui iront jusqu'à l'incident diplomatique de 2008. Et dans
ce jeu, renchérit-il, « seul la Chine tient une place à
part, car elle est parvenue à devenir le premier partenaire de la
reconstruction de la RDC sans se mêler réellement de sa
pacification - hormis la présence symbolique de 200 casques bleus
chinois »90.
Les enjeux miniers en République Démocratique du
Congo sont souvent renouvelés. Il convient de préciser que les
ressources minières à l'est du pays ne sont pas comparables
à celles de Katanga. Dans ses recherches sur les conflits à l'Est
de la République Démocratique du Congo, Roland Pourtier affirme
que cuivre, cobalt, zinc, manganèse, or, uranium et germanium ont
scellé le destin de cette province orientale de la
RDC91. Dans le conflit qui avait conduit à
la sécession du Katanga quelques jours après
l'indépendance, l'enjeu était celui de la préservation des
intérêts de l'Union minière du Haut-Katanga (UMHK) qui
constituait l'archétype de la compagnie minière coloniale. La
première intervention onusienne en Afrique subsaharienne mettra fin
à ce projet de sécession. Pourtant, la situation n'est pas la
même avec les conflits à l'Est de la république. En effet,
Roland Pourtier précise que les minerais du Kivu n'ont pas non plus
autant de valeurs que les diamants du Kasaï, province qui fut
également agitée par des tentatives de sécession. La
chasse aux minerais du Kivu est devenue un enjeu économique et politique
crucial « lorsque la compétition minière s'est
emparée d'un espace
89 Willame s'inpire de l'anthropologue Emmanuel Terray pour
penser le conflit congolais à partir du paragramme de la « salle
climatisée » et de la « véranda » pour
désigner les deux lieus de pouvoir où se discute, se donne
à voir et se gère le conflit du Kivu. La véranda est donc
le site des rencontres et pouvoir informel. Tandis que la salle
climatisée est le site symbolique du pouvoir officiel.
90 Jean-Claude Willame, La guerre du Kivu. Vue de la salle
climatisée et de la véranda, Op. Cit, p. 696.
91 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au
Kivu », In Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde,
Op. Cit. p. 252.
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déjà fragilisé par ses tentatives
démo-ethniques »92. Pourtant, cette exploitation de
minerais à l'Est du Congo n'est pas du tout récente.
En effet, la découverte de l'or puis de la
cassitérite dans le Kivu remonte aux années 1920 leur
exploitation n'avait pas les mêmes enjeux comme aujourd'hui. Après
les années de guerre civile, les contrats miniers signés dans les
conditions opaques ont été révisés avec
succès mitigé, pour reprendre les termes de Roland Pourtier, car
la confusion juridique couvre des pratiques de corruption solidement
ancrées dans la société congolaise93.
Aujourd'hui, le paysage minier semble complément
modifié. Avec l'avènement des nouvelles technologies, les
start-up ont soudainement valorisé le tantale. Il est devenu un
enjeu de taille à partir du moment où il est rentré dans
la fabrication des condensateurs qui équipent les
téléphones portables et les consoles informatiques.
L'entrée du tantale dans l'usage des nouvelles technologies aura des
conséquences majeures dans le devenir du Congo en général
et la région du Kivu en particulier. L'abondance de la columbo-tantalite
au Kivu, écrit Pourtier, a provoqué la ruée de dizaine de
milliers des personnes vers les sites miniers abandonnés par la SOMIKI.
Ils ont rejoint l'immense cohorte de ceux qu'on appelle les `'creuseurs»
au Congo-Zaïre. La flambée des cours du tantale n'a
été que de courte durée (1999-2001), mais
l'activité minière s'est adoptée aux variations de la
demande du marché mondial. Elle se partage aujourd'hui entre production
de cassitérite, wolframite, coltan, sans compter l'or dont les cours ont
atteint des sommets en 201394. A partir de ce qui
précède, il convient de souligner le lien qui existe entre
matière première, nouvelles technologies et économie qui
permettent de comprendre le conflit dans le Kivu.
La situation économique à l'Est de la
République Démocratique du Congo est radicalement complexe. La
complexité de celle-ci est due au fait que cette économie,
basée sur les mines, passe du caractère informel au
caractère formel par le prisme de la mondialisation du marché.
Les exploitants miniers du Kivu sont « l'image emblématique de
l'informalisation de l'économie minière congolaise
»95. Le contexte sécuritaire dans lequel se sont
proliférés les groupes armés, l'informel a
été, le paradigme de l'économie du marché. Dans ce
contexte d'une économie déstructurée par le
délitement de l'État et le repli identitaire des campagnes sur
une autosubsistance de survie, la mine offre aux populations locales la
possibilité d'un gain pour une grande majorité, mais en
même temps, elle laisse miroiter la possibilité de chance. A
l'Est
92 Ibid.
93 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au
Kivu », Op. Cit., p. 253.
94 Ibid.
95 Ibid.
44
de la République Démocratique du Congo,
notamment dans les places aurifères, il y a toujours la
possibilité de rêve de trouver une petite.
Le fait d'être informelle, l'économie
minière n'est pas du tout inorganisée. Le secteur minier informel
fonctionne cependant dans un rapport hiérarchique d'un modèle
pyramidal. Tout en bas de la pyramide, on trouve des creuseurs qui extraient le
minerai dans des conditions parfois de fortune sous la responsabilité
d'un chef d'équipe qui coordonne l'exploitation. Les chefs coutumiers
profitent de leurs privilèges pour faire reconnaitre des droits miniers
et prélever ainsi une rente sur l'activité extractive. Il y a
ensuite des négociants qui achètent les minerais et les
acheminent, ou même les font transporter jusqu'aux comptoirs. En suivant
tout un réseau, les minerais sont transportés à des
conditions extrêmement difficiles, parfois à dos d'homme sur
plusieurs kilomètres jusqu'à la grande route dans des sacs qui
sont ensuite acheminés par camion jusqu'à un tronçon
asphalté qu'on utilise comme piste d'atterrissage par de petits avions.
En prenant le relais, les avions évacuent le minerai jusqu'à
Goma. Cette forme de réseau de coopération mise en place pour
l'extraction de minerai est une forme d'organisation, bien qu'informelle, de
l'économie minière. Mais comment passe-t-on de l'économie
informelle à l'économie informelle ?
Le passage de l'informel au formel suit un cheminement par
réseau. Ce réseau de l'ombre pour reprendre les termes de Joroeme
Cuvelier96, bien qu'informel se construit à côté
de projets plus officiels. En effet, les villes frontières
réceptionnent les minerais qui proviennent de l'intérieur. Ces
villes de réception des minerais constituent ainsi une véritable
charnière entre, ce que Roland Pourtier appelle, «
l'économie informelle en amont et l'économie formelle en aval
»97. Du coup, les courtiers et les sociétés
spécialisées dans le commerce des minerais prennent le relai en
servant d'intermédiaires entre les comptoirs et les entreprises
métallurgiques des pays industriels ou émergents,
équipés pour le traitement du tantale comme les
États-Unis, l'Allemagne, la Belgique, la Chine, y compris le Kazakhstan.
La chaine de production se termine dans les usines de la fabrication des
condensateurs et dans celles des portables qui ont envahi le marché
mondial98. Comme on peut le constater, le premier segment de
réseau de circulation, de la mine aux comptoirs, est confronté
à un environnement de grande insécurité, d'absence de
droit, du surgissement de la violence. Dans ce contexte où l'État
congolais a montré ses limites pendant des décennies pour assurer
la sécurité et la protection
96 Joroen Cuvelier, Traduction de Christine
Messiant, « Réseau de l'ombre et configurations régionale.
Le cas du commerce du coltan en République démocratique du Congo
», In Politique africaine, 2004/1 N° 93/ pages 82 à
92.
97 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de
la guerre au Kivu », Op. Cit., p. 254.
98 Ibid.
45
des personnes, il règne alors la `'loi du plus
fort». Il faut également souligner que l'économie
minière a été très militarisée et des hommes
en armes qui assurent `'la police des mines» avant que la situation
politique du Kivu ne conduise à une multiplication de groupes
armés qui trouvent dans leur contrôle des moyens financiers pour
l'achat d'armements. Aujourd'hui, l'Est de la République
Démocratique du Congo continue à vivre une spirale
d'instabilité : lorsqu'un groupe des milices dépose les armes, un
autre groupe apparait.
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