3. Le cas de Minembwe comme carrefour du local, du
national et du régional
La crise de Minembwe avait été
présenté en fin 2019, du moins par les médias
internationaux comme étant un événement nouveau. Pourtant
la guerre sur les Hauts Plateau du Sud-Kivu commençait
déjà ses signes depuis 2015, dans un contexte où les
conflits locaux pour le pouvoir coutumier se sont mêlés aux luttes
de pouvoir régionales dans le sillage de la crise politique de 2015 au
Burundi. L'ingérence régionale, mêlée à
l'opportunisme des hommes politiques ont remis sur la scène nationale
l'ancien débat mais toujours nouveau de la « balkanisation »
du Congo en 2019. Cette situation a alimenté les bases d'une violence
accrue tout au long l'année 2020 jusqu'à aujourd'hui. Cependant,
bien que cette crise présentée généralement comme
un conflit ethnique entre des population autochtones et allochtones, pourtant
Gérard Prunier montre clairement que les identités ethniques ne
sont pas la cause de conflit en République Démocratique du Congo
mais en sont seulement « les outils, conséquence d'une situation
politique, économique et social profondément pourri
»187. Ce qu'il convient de savoir c'est le fait que les raisons
profondes de la violence à Minembwe dans les Hauts Plateaux du Sud-Kivu
demeurent complexes.
Les dernières vagues de violence à Minembwe a
mobilisé l'intervention de plusieurs acteurs. D'ailleurs, les acteurs de
toutes les communautés ethniques se sont retrouvés «
à parts égales parmi les victimes et les instigateur
»188. Comme je l'ai évoqué
précédemment, si les groupes armés recrutent en fonction
de lignes ethniques, par exemple les Gumino mobilisant parmi les «
Banyamulenge », les Maï-Maï Yakutumba et les Biloze Bishambuka
parmi les Bembe, Fuliiro et Nyindu, il s'agit pour ainsi dire d'une
conséquence et d'une cause de conflit. Comme dans d'autres parties de la
République, marquées par la contestation de l'autorité, le
dirigeants politiques et militaires de Hauts Plateau s'accrochent sur des
cadres ethniques et des histoires d'appartenance identitaire pour rallier des
combattants. Verweijen Judith considère que, les explications
privilégiant une « grille ethnique deviennent des prophéties
qui se réalisent d'elles-mêmes »189. Tout ceci
rend complexe la distinction des multiples causes de conflits et violences dans
cette partie de la République Démocratique du Congo.
187 Gérard Prunier, From Genocide to Continental
War. The `Congolese' Conflicts and the Crisis of Contemporary Africa,
London, Hurst, 2009, p. 170-171
188 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre
sécuritaire du Kivu, Center on International Cooperation, « La
Cartographies des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op.
Cit., p. 12.
189 Cfr. Verweijen Judith et al. (à
paraître), Mayhem in the Mountains. How violent conflict on the Hauts
Plateaux of Fizi, Uvira and Mwenga became intractable. Insecure
Livelihoods series, Governances in Conflict network, Université de Gand.
Cité par Groupe d'étude sue le Congo « La cartographie des
groupes armés dans l'Est du Congo », Op. Cit., p. 12.
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Cependant, lorsqu'on examine minutieusement les conflits
à Minembwe, l'on constate que les tensions intracommunautaires sont bien
évidemment plus fréquentes que les tensions intercommunautaires.
Il y a souvent des escarmouches qui ont lieu entre des groupes armés
censés défendre la même communauté
communément appelé « Banyamulenge », comme entre les
Twigwaneho qui est désormais soutenus par le colonel déserteur
Michel Rukunda et les Gumino, tandis que les conflits de succession au sein des
entités coutumières opposent de Fuliiro ou de Bembe entre eux.
Outre ces arguments et en dépit d'une insécurité toujours
croissante, certains lieux de cohabitation entre Bembe, Fuliiro, Vira, Nyindu,
Banyamulenge et Mbuti existe toujours. L'on constate également des
coalitions complexes, très souvent basées sur le principe de
« l'ennemi de mon ennemi est mon ami »190. C'est ce qui
déclenche un enchaînement d'alliance et contribue en quelque sorte
à susciter ce que l'on appellerait aujourd'hui l'antagonisme et la
militarisation des communautés et des groupes armées qui leurs
sont associés.
Un dernier élément qui rend encore complexe les
conflits à Minembwe, c'est l'ingérence du Rwanda et du Burundi
que j'ai suffisamment mobilisée. Le rapport de GEC souligne le fait que
certaines parties de l'opposition de l'armée burundaise ayant choisi
Uvira et Fizi comme bases arrière pour organiser la résistance,
« elles ont conclu des alliances de convenance dans le paysage
tentaculaire des groupes armés dans la plaine de Ruzizi
»191. Dans le même temps, des incursions de
l'armée burundaise se sont intensifiées sur le sol congolais,
souvent en collaboration avec les milices de la plaine de la Ruzizi. L'on
constate par la suite que les forces anti-Bujumbura, en l'occurrence la
Résistance pour un état de droit (RED)-Tabara ou les Forces
républicaines du Burundi ont été soutenu par le Rwanda,
tandis que les acteurs de l'opposition rwandaises tels qui la formation du
congrès national (RNC)/P5 ou le Conseil pour le renouveau et la
démocratie (CRD) et sa branche armée, les Forces de
libération nationale (FLN, étaient soupçonnés
d'avoir des affinités avec le gouvernement de Bujumbura.
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