La MONUSCO dans le résolution des conflits: entre contestation locale et légitimation globalpar Bernard POPO-E-POPO Université Paris 8 Vincennes Saint Denis - Master 2 2020 |
2.3. Groupes armés étrangèresL'émergence des groupes armés étrangers en République Démocratique du Congo s'inscrit dans un temps long. La prolifération de ces groupes armés découle d'une histoire régionale marquée par la montée en puissance des antagonismes politico-ethniques177. Roland Pourtier parle d'un double clivage Tutus/Tutsis, autochtones/allochtones comme étant à l'origine de la formation de ce groupes armés et autres milices se réclamant d'auto-défense. En effet, après les événements malheureux du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, je l'ai souligné, la République Démocratique du Congo a accueilli plusieurs réfugiés Rwanda sur son territoire. En 1996, à la suite de la destruction de camps de réfugiés rwandais, notamment les réfugiés Hutus-rwandais, quelques milliers d'entre eux qui étaient pour la plupart anciens militaires et les miliciens Interahamwe acteurs du génocide vont trouver refuge dans dans la forêt congolaise, précisément dans le Kivu (Cfr. Roland Pourtier, 2016). Ces Interahamwe vont s'organiser en un mouvement politico-militaire connu du nom de FDLR qui signifie Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda. Plusieurs rapports d'experts, en l'occurrence le rapport des experts de l'ONU connu du nom de rapport Mapping178 montre que le FDLR ont souvent bénéficié de l'appui en sous-main des autorités de Kinshasa. Lors de nos entretiens semi-directifs179 avec les trois officiers des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) qui combattent les rebelles à Beni, l'un d'eux qui est à l'Est depuis l'année 2000 me confirmait dans un mélange du français et de Lingala la collaboration des FARDC-FDLR. 176 Gérard Prunier, « L'Ouganda et la guerre congolaise », Op. Cit., p. 51. 177 Cfr. Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au Kivu », in Béatrice Giblin, les conflits dans le monde, Armand Colin, 2016 / page 249 à 261. 178 Le Rapport Mapping parle, Op. Cit., 2010. 179 J'ai réalisé sept entretiens téléphoniques avec trois officiers des Forces Armées de la République Démocratique du Congo qui sont à Beni. Je reprends en annexe, l'intégralité de l'entretien du 12 mars 2021 réalisé avec l'Adjudant que je nomme (S) pour garder son anonymat. 70 Les propos ces officiers tenus en « frangala »180 (qui est mélange du français et de Lingala) lors de nos échanges que je reprends en Annexe et que je traduis, montrent la complexité qui existe dans les tentatives d'éradication des conflits à l'Est du Congo. Les FDLR, disaient ces officiers avec un ton parfois tendu et parfois décontracté, sont des hutus qui sont des indésirables dans leur pays et qui vivent à l'étranger (entendu la RD Congo). Il y a de fois où ils prennent refuge chez eux (le chez eux dont il est question ici c'est le Rwanda), parfois ils demandent un retour légal. Cependant, lorsqu'ils arrivent parfois dans leur pays (entendu le Rwanda), ils sont tués. Ils ont également leur mouvement assez puissant qui fait la loi à l'Est de la RD Congo. Ce sont eux qui occupent ce terrain au Nord-Kivu. (L'idée sous-jacente ici que les FDLR connaissent bien le Nord-Kivu pour avoir vécu pendant longtemps et d'avoir tisser et renforcé les liens avec les communautés local où l'on trouve un plusieurs groupe rwandophone). Mais nous combattons avec eux. Il y a de fois où si nous collaborons avec eux, je te le dis parce que tu es proche de moi et je te fais confiance (Le nous utilisé dans cette phrase renvoi aux militaires de l'armée congolais). Parfois nous collaborons avec eu d'une façon assez bonne ou mauvaise. Par rapport à la question de savoir ceux qui les soutiennent, je te dis qu'ils sont parfois appuyés par les députés nationaux originaire de leurs villages (Lorsque je posais la question de savoir les personnes qui soutiennent les FDLR, le ton de l'Adjudant EJ avait totalement changé. Il n'hésitait pas de m'assimilé aux politiciens. Pour lui, le fait que je suis étudiant en science politique, je fais également partie de cette catégorie des acteurs politiques congolais qui veulent que la situation sécuritaire à l'Est demeure échangée). Pour eux, lorsqu'il y a la guerre, ils profitent de l'occasion, disant qu'à partir de la guerre, les fonds et les moyens de la République sortiront pour pouvoir soutenir leurs actions et avoir une autonomie financière. Par conséquent, s'il y a la paix, ils ne pourront pas avoir des moyens. Lorsqu'il y a l'insécurité, ils sont dans la joie puisque les fonds de l'État sortent. Dans le même temps, ils profitent de l'occasion pour construire des hôtels, acheter des appartements. Aujourd'hui, je suis pressé, mais voilà l'essentiel... Après l'appel en urgence de ses camarades, notre entretien avec l'Adjudant (S) s'est terminé dans une ambiance plutôt conviviale. Il était d'ailleurs content de communiquer avec moi depuis Paris. Comme on le constater dans ces propos de ce soldat de l'armée congolaise, les FDLR comme mouvement politico-militaire contrôlent des territoires miniers au Nord-Kivu et Sud-Kivu, ce qui assure le côté économique de leur mouvement. Leur bonne connaissance du terrain leur permet d'échapper aux quelques tentatives d'opération militaire montée contre eux (Roland 180 Le frangala est un mélange du français et le Lingala qui est l'une des quatre langues nationales en République démocratique du Congo 71 Pourtier, 2016). Même si aujourd'hui le mouvement semble être affaibli par rapport à ses débuts, il continue tout de même semer la terreur au sein de la population et bénéficit non seulement l'appui des acteurs politico-militaires congolais mais également des solides appuis au sein des réseaux de commercialisation de minerais dans l'Est de la République Démocratique du Congo. Ceci montre le caractère ambiguë et complexe des conflits et violence dans la région de Kivu. En 2014, le gouvernement congolais et la MONUSCO, n'ont pas réussi leur plan de désarment de ce mouvement. Les FDLR ne sont pas les seuls acteurs de la terreur dans la région de l'Est de la République Démocratique du Congo. D'autres acteurs méritent d'être soulignés. En effet, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) verra le jour en 2005 sous la houlette de Laurent Nkunda. Ce deuxième acteur se présentait quant à lui comme mouvement de la défense des Tutsis du Congo (Scott STEWART, 2008), implanté dans les territoires à fort peuplement banyarwanda, notamment à Masisi et à Rutshuru. Plusieurs études, notamment celles de Roland Pourtier (2016) et Scott Stewart (2008) montrent que ce mouvement était fortement lié aux élites économiques rwandophones, en l'occurrence les Tutsis. Le CNDP tirait donc une part de ses ressources de l'économie minière. En 2009, le rapprochement entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda aura comme effet immédiat non seulement l'arrestation du leader du CNDP, Laurent Nkunda actuellement au Rwanda, mais également l'intégration du mouvement dans l'armée de la République Démocratique du Congo. Dans le même temps, une partie de ces rebelles contesta cette intégration en 2012 estimant que l'accès aux ressources minières leur était fermé. C'est dans cette perspective qu'ils vont reprendre le chemin de la rébellion en créant en 2012 le Mouvement du 23 mars (M23), avec le soutien du Rwanda181. Le M23 a été vaincu en 2013 avec l'appui de la Monusco, du moins militairement. C'est d'ailleurs l'unique opération réussi de la Mission des Nations unies pour stabilisation de la République démocratique du Congo qui fait l'unanimité. Un autre groupe rebelle étranger comme acteur de l'instabilité à l'Est de la République Démocratique du Congo ce sont les ADF182. Certaines études remontent les origines lointaines des ADF en Inde. En effet, c'est en Inde au début du 20ème siècle que se niche la préhistoire de la rébellion ADF, Allied Democratic Forces183 . En novembre 2018, le Groupe d'Études sur le Congo (GEC) publiait un rapport dans lequel il montre que le premiers membres de ce groupe 181 Roland Pourtier, 2016, Op. Cit. p. 258. 182 ADF signifie Allied Democratic Forces. 183 Matthieu Vendrely, En RDC, qui est la rébellion ADF qui sévit dans la région de Beni ? TV5MONDE. Source : https://information.tv5monde.com/afrique/en-rdc-qui-est-la-rebellion-adf-qui-sevit-dans-la-region-de-beni-334045, Consulté le 04 avril 2021. 72 rebelle appartenaient à la secte Tabligh, née dans une Inde sous la domination britannique. Très actifs dans les opérations des tueries sporadiques dans le Kivu, ce groupe constitue une véritable menace sécuritaire dans les Kivus. Même s'il existe une prolifération des groupes armés à l'Est de la République Démocratique du Congo, il convient de souligner que certains de ces groupes armés dominent les conflits. Le GEC et le baromètre sécuritaire du Kivu en recensent quatre. Il y a tout d'abord le Forces démocratique alliées (ADF), les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), l'Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) me NDC-R, ainsi que l'armée congolaise qui sont responsables de plus d'un tiers de tous les accidents et la moitié de civiles tués184. Aujourd'hui, les ADF sont une grande menace particulière. Ils sont considérés comme responsable de plus de meurtres de de civils (37%) que tout autre groupe armé, et de loin d'ailleurs185. Dans le même temps, d'autres groupes armés qui avaient longtemps constitué des noeuds de conflits, en l'occurrence le FDLR et le Front national de libération (FNL) burundais semble perdre leur importance, quand bien même que les incursions régulières des armées rwandaise et burundaise ont contribué à la contre mobilisation de groupes Congolais. La situation est telle que de zones spécifiques des conflits et de violence ont totalement modelé les types de mobilisation de la violence. Outre la situation qui prévaut à Beni, le NDC-R a formé un noeud de conflit qui attire des alliés mais en même temps galvanise également de rivaux comme son principal adversaire, la coalition des mouvements pour le changement du Congo (CMC), les différents groupes « Mazembe dans le Sud du Lubero ». Le rapport du GEC montre que « l'impulsion du groupe, qui a commencé avec une scission et un moindre soutien de l'armée congolaise en 2020, pourrait déclencher une dynamique inverse »186. Dans les Hauts Plateaux du Kivu, on assiste depuis quelques années à une forte escalade de la violence. Si les acteurs du conflit se multipliés, il s'avère que les principaux protagonistes ont également réussi à rassembler les belligérants au sein de la coalition plus large et décentralisé. Le point suivant abordera l'examen de ces quatre zones géographiques de conflit du Sud au Nord. 184 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre sécuritaire du Kivu, Center on International Coopération, « La Cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op. Cit., p. 9. 185 Ibid. 186 Groupe d'étude sur le Congo « La cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op. Cit., p. 11. 73 |
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