2.2. De l'ingérence ougandaise en RDC
Il existe plusieurs interprétations sur
l'ingérence de l'Ouganda dans les conflits congolais. L'une des plus
fréquentes consiste à voir dans l'intervention militaire de
l'Ouganda une tentative d'établir dans l'Est de la République
Démocratique du Congo en symbiose avec le Rwanda et le Burundi un «
empire hima »165. D'après ce courant, l'on soutient
l'idée que le président Museveni s'est lancé depuis
longtemps dans une grande entreprise impériale dans l'Afrique des Grands
Lacs, dont la conquête du Rwanda par le Tutsi entre 1990 et 1994 n'a
été que la première étape166. De ce
point de vue, ce courant de pensée affirme que les États-Unis
sont pour ainsi dire, censés soutenir l'Ouganda pour des raisons
géostratégiques liées aux intérêts miniers.
Le deuxième argument de l'ingérence ougandaise au Congo est donc
celui de la propagande des États-Unis. Si l'on part de cette
hypothèse, l'Ouganda, loin de toute finalité impériale, ne
serait en République Démocratique du Congo que pour des raisons
de sécurité. Le troisième argument est celui de « la
coalition ougando-rwandaise »167. Cet argument, écrit
Gérard Prunier, a couramment servi dans les milieux des organisations
internationale comme l'ONU et dans une certaine mesure l'Union
européenne : « Kampala se trouverait au Congo dans le but de
soutenir un régime rwandais menacé par un retour offensif des
tenants de l'ancien système génocidaire »168. On
parlerait ici des régimes rwandais et ougandais qui opéraient
concomitamment et main dans la main dans l'objectif d'empêcher le retour
des Interahamwe. Cependant, Gérard Prunier ne considère qu'aucune
de ces explications ne fonctionne et que les véritables motivations de
l'ingérence ougandaise dans les conflits congolais sont beaucoup plus
complexes et méritent un traitement approfondi et nos
simplifié.
En effet, Gérard Prunier remonte l'intervention
ougandaise en République Démocratique du Congo à partir de
l'histoire de la décolonisation en Afrique. « Quarante ans
après la décolonisation, nous assistons à un processus
d'éclosion d'État-nations en Afrique, avec tout ce que cela
implique d'intérêts matériels des élites, de
mauvaise foi nationaliste, de réflexion honnête sur la nature des
intérêts nationaux, de récupération propagandiste de
la détresse du `petit peuple' face aux phénomènes de
violence, de calculs diplomatiques complexes et de contradictions inextricables
héritées de l'État prénational est encore
165 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », Op. Cit.
166 Ibid., p. 43.
167 Gérard Prunier, Op. Cit., p. 44.
168 Ibid.
68
vivante »169. Il s'agit surtout de
faire « du désordre comme instrument politique »170
pour reprendre les termes de Patrick Chabal et Jean-Paul Daloz.
Gérard Prunier replace l'ingérence ougandaise en
République Démocratique du Congo dans son contexte. Ce contexte
est celui de la vision révolutionnaire et nationaliste réformiste
de président Museveni « pour qui certaines idées
essentielles président à l'action »171. L'une des
raisons de l'ingérence ougandaise en République
Démocratique du Congo est l'initiation venue de ce soubassement
idéologique radical. Le deuxième objectif de l'ingérence
ougandaise en République Démocratique du Congo (Zaïre
à l'époque) était celui du renversement du
Président Mobutu qui était l'antithèse presque
systématique du président Museveni. Pour le président
Museveni, « le Maréchal Mobutu représentait un solide danger
pour la sécurité ougandaise »172. Dans cette
perspective, l'argument de poursuite de rebelles Nalu et Amon Bazira
n'était qu'un épiphénomène, car ceux-ci
n'étaient que des irritants périphériques. Du coup, il
importe de comprendre que pour l'Ouganda, à la différence du
Rwanda le danger du péril était essentiellement extérieur,
même si, affirme Gérard Prunier, ses causes profondes
étaient plutôt extérieures.
Bien au-delà de l'engagement idéologique et le
souci sécuritaire, le troisième facteur de l'ingérence
ougandaise en République Démocratique du Congo tient aux
idées économiques du président Museveni qui, au demeurant
est marxiste. En tant que marxiste, « il continue à voir dans
l'économie la clef de l'histoire et ne croit pas à une
transformation du continent africain sur le plan politique sans de profondes
transformations du soubassement économique »173. En
fait, même si le Président Museveni croit à l'idée
américaine de la bonne gouvernance comme le souligne Gérard
Prunier, il ne croit pas non plus qu'elles doivent s'exprimer dans le
multipartisme avant que celui-ci ne puisse s'appuyer sur une base
économique plus ferme. En mettant en symbiose son ancien
déterminisme marxiste avec sa nouvelle religion libéral, «
il est littéralement obsédé par la nécessité
d'élargir les marchés en Afrique »174. Dans cette
perspective, il apparait comme l'anti-Nkrumah, si bien qu'ils ont une filiation
intellectuel commune qui remonte à Georges Padmore175. Il
importe de noter également à la suite de Gérard Prunier
que l'ingérence ougandaise auprès au sein du régime de
Laurent désiré était éminemment politique. Le
président Museveni souhaitait voir Laurent-Désiré Kabila
créer en
169 Ibid.
170 Patrick Chabal et Jean-Paul Daloz, L'Afrique est mal
partie, Paris, Economica, 1999.
171 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », Op. Cit., p. 44.
172 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », p. 45.
173 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », Op. Cit., p. 46.
174 Ibid.
175 Cfr. Georges Padmore, Panafricanisme ou communisme ?
Paris, Présence africaine, 1960.
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République Démocratique du Congo une
régime « progressiste » avec lequel il aurait pu collaborer
pour éviter tout retour offensif des Soudanais dans le Haut-Congo, et
avec lequel il aurait la possibilité de « faire des affaires
», notamment étendant au géant de l'Afrique médiane
le projet de communauté économique dont Kampala
rêvait176. Comme on le souligner, les interventions
rwando-ougandaises ont ainsi occasionné le développement des
groupes armés étrangers sur le territoire congolais.
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