b. Opposition, contestation, révolution
Les formes et les manifestions de la contestation
extrêmement variable et en général fort peu
systématisées ne permettent pas toujours de distinguer la
contestation de l'opposition ; d'autres plus que celle-ci peuvent aussi
revêtir des formes qui l'apparentent à la contestation. Il existe
plusieurs formes de contestation. Dans la contestation, on peut juxtaposer un
ensemble de manifestations et d'activités qui, même si elles
présentent une certaine unité, peuvent revêtir des formes
très différentes. En effet, l'usage de la violence civile
à titre d'exemple, est un des caractères possibles mais non
nécessaires de la contestation13. L'organisation collective
ne semble pas le critère qui distingue l'opposition politique de la
contestation. S'il est vrai qu'en
10 Ibid, p. 6.
11 Ibid.
12 Ibid., p.7.
13 Ibid.
10
pratique presque toutes les oppositions politiques supposent
et nécessitent une organisation collective, il n'est pas exact que la
contestation politique soit par nature, rebelle à l'organisation
collective et inévitablement individualiste.
La distinction que l'on peut établir entre l'opposition
et la contestation est que la première a pour but de se substituer aux
autorités en place en tant que structure du pouvoir, alors que la
contestation ne poursuivrait que le but platonique de la dénonciation de
la légitimité du système ou le but révolutionnaire
de la subversion de ce système. Mais cette distinction semble
limitée car il y a des oppositions qui, soient en raison de leur
faiblesse, soient en raison de leur radicalisme idéologique, ne peuvent
guère être crues lorsqu'elles prétendent se substituer aux
autorités en place. Quant aux mouvements de contestation, ils peuvent au
moins prétendre que leur refus de reconnaitre la
légitimité du système et de leurs actions pratiques
d'insoumission sont le moyen les plus sûr d'user ce système et de
provoquer son effondrement.
De ce point de vue, il y a certainement des
zones-frontières où certains types d'action peuvent relever aussi
bien, selon le point de vue où l'on se place, de l'opposition politique
de la contestation politique. Néanmoins, on peut trouver, un
critère distinctif de ces deux types d'action. Ce qui caractérise
l'opposition politique, c'est que - quelles que soient les motivations
profondes des opposants et quels que soient leurs buts plus ou moins
manifestes, elle est une action qui s'inscrit à l'intérieur des
structures du sous-système politique.
Ce qui fait la spécificité de la contestation et
qui nous concerne dans ce travail, c'est qu'elle déborde le cadre de
sous-système politique pour mettre en cause non seulement son ordre
normatif propre mais aussi les modèles culturels généraux
qui assurent la légitimité profonde du sous-système
politique. La contestation s'attaque au système qui a la plus grande
valeur « contrôlant ». C'est la raison pour laquelle toutes
contestations politiques débordent du terrain spécifiquement
politique et comporte aussi une « révolution culturelle
»14.
Une autre manière de comprendre l'attitude
contestataire, c'est de la mettre en parallèle avec l'attitude
révolutionnaire. Pour Alain Touraine, le refus peut conduire à la
contestation et à la lutte politique. Il résume donc la
différence entre la contestation et le projet révolutionnaire
comme étant des nouveaux problèmes : « de nouveaux
problèmes et de nouveaux conflits... ont fait irruption dans la vie
sociale de manière sauvage, sans théorie, sans partie, sans
politique »15. Le fond de l'argumentation tendant à
opposer « mouvement contestataire » et « mouvement
révolutionnaire » repose finalement sur cette idée qu'il ne
peut y avoir accès à la conscience révolutionnaire
qu'à la condition de dépasser le stade « primitif » du
refus de
14 Ibid.
15 Alain Touraine, Le mouvement de mai et le communication
utopique, p. 288, Cité par Georges Lavau, Op. Cit.
11
l'adaptation et de « l'intégration ». La
différence entre révolution et contestation parait plus
résider en une différence historique ou une divergence sur les
conceptions stratégiques à l'intérieur du même
phénomène, à savoir le phénomène
révolutionnaire. Ce qui n'implique pas du tout que les mouvements
contestataires que j'étudie dans ce mémoire aient une
efficacité révolutionnaire pratique comparable à celles
des mouvements révolutionnaires. L'ensemble des actions que l'on peut
grouper sous le nom contestataire, écrit Georges Lavau, ne sont rien
d'autres que des actions révolutionnaires qui, pour la première
fois depuis longtemps échappent à un modèle jusqu'alors
indiscuté qui était une certaine version de la pensée de
Marx, mais qui était surtout dérivé du schéma
léniniste. Pour lui, la contestation peut être in fine
comme étant « une action de protestation
véhémente, accompagnée ou non d'actes de violence, qui
méprise les moyens institutionnalisés de l'opposition politique
(lorsque ceux-ci sont disponibles), qui reproche à l'activité
d'opposition de facilité finalement la survie d'un système social
et politique répressif. De plus, c'est une action qui nie radicalement
la légitimité des modèles culturels les plus profonde et
les plus tacitement acceptés du système social, et qui cherche
à en faire éclater la véritable nature oppressive. Enfin,
elle vise non pas un simple changement politique, ni même à une
transformation ordonnée des structures économiques, mais à
une totale de l'être social de l'homme »16.
Structure du mémoire
L'architecture de ce travail sera tripartite. Dans la
première partie, il sera question de montrer comment la Monusco se
trouve à l'épreuve de la contestation (I). L'objectif de cette
partie étant de saisir la manière dont se construit les
rhétoriques contestataires aussi bien par les acteurs politiques que par
la société civile et les mouvements citoyens (A). Ces
rhétoriques contestataires sur la mission de l'ONU en République
Démocratique du Congo, comme je les montrerai, s'inscrivent dans le
prolongement de la contestation nationale comme modes de gestion politique.
Dans la deuxième partie, il sera question de comprendre
comment les conflits et les violences constituent un facteur aggravant de la
contestation à l'égard de la Monusco (II.). La complexité
à mettre en place un plan de résolution de conflit peut se
comprendre non seulement à travers les enjeux politiques mêmes de
ces conflits pour relever enfin les défis de la paix (A.), mais
également l'implication de plusieurs acteurs (B.).
La troisième partie cherchera à comprendre le
rôle de la Monusco dans la résolution des conflits en
République Démocratique du Congo (III.). Comment la Monusco,
malgré les
16 Georges Lavau, La contestation
politique, Op. Cit, p. 10.
12
contestations locales contre son intervention au Congo, met en
avant la promotion des Droits de l'Hommes et la protection des civiles comme
facteur de légitimation de son mandat (A.). Enfin, il sera question de
monter comment la recherche de la légitimation par le prisme de la
négociation toujours renouvelée permet à la Monusco de
passer d'une mission d'observation à une mission d'intervention en
mettant l'accent sur le concept de la coopération.
Méthodologie
Pour mener à bien cette recherche, la méthode de
mon travail a été une enquête sociologique. En effet,
l'enquête sociologique, écrit Serge Paugam, peut être
définie à partir de l'ensemble épistémologique
complet qui comprend la posture scientifique du chercheur, la construction de
l'objet, la définition des hypothèses, les modes d'objectivation,
la méthodologie d'enquête, les instruments d'analyse des
résultats et les formes d'écriture17
Dans cette enquête sociologique, j'ai utilisé une
démarche inductive. Le choix de cette approche se justifie du fait que
j'ai, d'abord, voulu commencer par collecter plusieurs matériaux de
recherche avant de formuler mes hypothèses. La difficulté
à faire le terrain au regard de la situation sanitaire liée au
covid19 et l'impossibilité d'accéder directement aux informations
de la Monusco ont totalement orienté ma démarche vers le choix
d'autres procédés, notamment la collection des documents et
d'archives en ligne. Quant à ces modalités d'accès aux
matériaux de recherche, je me suis spécifiquement basé non
seulement sur les rapports réguliers et officiels de l'ONU, mais
également sur les compte-rendu de l'actualité des Nations Unies
en République Démocratique du Congo. J'ai réussi à
faire la collection de différentes résolutions du Conseil de
Sécurité de l'ONU sur le mandat de la Monusco depuis 2010
jusqu'en 2020 en faisant un travail d'archive en ligne. En outre, j'ai
réalisé dix entretiens (en faisant usage des nouveaux moyens de
communications et technique d'information, notamment les appels
téléphones, les échanges sur le réseau social
WhatsApp) avec des officiers de l'Armée Congolaise à partir de
Beni et Goma qui participent aux opérations conjointes MONUSCO-FARDC.
Les résultats de mon enquête m'amènent
à la conclusion qu'il existe un malaise grandissant au sein de la
population congolaise sur rôle de la Monusco dans les conflits et
violences dans la région de l'Est de la République
démocratique du Congo. La multiplication des massacres des civils par
les rebelles à quelques mètres de postes de la Monusco, la
prolifération des groupes armés et l'insécurité
sont les facteurs qui augmentent la frustration et
17 Serge Paugam, Introduction - L'enquête
sociologique en vingt leçons. Dans L'enquête sociologique
(2012), pages 1 à 4.
13
la méfiance à l'égard de la Mission. Ce
climat de méfiance fait que la population, notamment à travers
les mouvements citoyens de la société civile considèrent
la Monusco comme étant complice aux massacres des civils. Cependant, du
côté des acteurs de la Monusco, cette campagne de diabolisation
contre la mission est une mauvaise appréhension du vrai rôle de la
Monusco qui se veut d'abord une mission pour la protection des civils et la
construction de la paix. Les frustrations accumulées du peuple ont
inéluctablement engendré la révolte et la contestation
à l'égard de la Monusco, réclamant dans le même coup
le retrait définitif de celle-ci.
Ma démarche a été réflexive. La
réflexivité m'a permis de rompre avec le sens commun, à
savoir les représentations partagées par les diverses composantes
de la société. Même si mon expérience personnelle et
mon vécu sont souvent déterminants dans ce travail, j'ai toujours
cherché à faire une distanciation par rapport au sens commun pour
garantir la scientificité de ma démarche. Par exemple, dans ma
note de recherche de Master 1 à travers lequel j'avais voulu comprendre
pour la première fois les soubassements des conflits à l'est du
Congo, il m'était arrivé de plonger dans le sens ou même
dans la passion en adoptant parfois une attitude militante plutôt que
scientifique. Ce qui n'est pas du tout le cas dans ce travail. Mon attitude par
rapport à mon objet d'étude en Master 2 est totalement
différente. Pour changer de paradigme, j'ai d'abord commencé par
prendre du recul face à mon objet d'étude, à questionner
ce qui me paraissait comme étant une évidence. Après cette
gymnastique de la distanciation avec mon objet d'étude, je me suis rendu
compte de la difficulté à travailler scientifiquement sur le
sujet sur lequel on est soi-même, du moins de manière
inconsciente, sujet et objet de recherche sans sombrer dans les
prétentions de jugement de valeurs, surtout lorsque je sais qu'un matin
je peux recevoir un coup de téléphone m'annonçant la mort
d'un des membres de ma famille. Ayant vu l'arrivée de la MONUC,
actuellement MONUSCO et ayant vécu avec elle depuis mon enfance, je
considérais celle-ci, peut-être à tort et à raison,
comme un sauveur qui sortirait le peuple congolais dans le gouffre de la
violence infernale. Cependant, en questionnant le fonctionnement de la
contestation à l'égard de la Monusco aujourd'hui, je me suis
interrogé sur les vraies motivations de la mission qui semblent aller de
soi comme la protection des civiles et la promotion des droits de l'homme. Tout
en reconstruisant la genèse les mouvements contestataires à
l'égard de la mission et les rhétoriques sous-jacentes, j'ai
cherché à comprendre comment les catégories des groupes
contestataires ont pu, au prix de la lutte sociale, imposer leur
légitimité. La démarche réflexive m'a servie
également lors de la réalisation des entretiens à avoir un
regard critique. Ce qui m'a permis de questionner mes données et de ne
pas leur accorder, comme dirait Serge Paugam, « une confiance aveugle
».
14
PREMIÈRE PARTIE :
LA MONUSCO À L'ÉPREUVE DE LA CONTESTATION
ET DE LA NÉGOCIATION
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